-
A propos de la date de Noël (1)
Puisque c’est de saison, nous allons parler de la date de Noël.
On commencera par le plus facile : non, Jésus n’est pas né, comme on le lit ou l’entend beaucoup trop souvent encore (compris dans des documents de catéchisme à caractère officiel, hélas), le 25 décembre de l’année zéro à minuit, et pour une raison évidente (les plus tristement drôles sont ceux qui déclarent péremptoirement que « les exégètes », voire « les théologiens » ont récemment démontré qu’il ne l’était pas contrairement à ce qu’on croyait jusque là), qu’il n’y a pas eu d’année zéro. Comme chacun devrait savoir, le zéro est une invention bien postérieure des mathématiciens arabes, inconnue de l’Antiquité. L’année d’un événement était donc l’an un, la précédente l’année avant, la suivante la deuxième année, et ainsi de suite. C’est pourquoi, soit dit en passant, il est abominable de parler de « moins » pour les années avant notre ère (ou toute autre d’ailleurs), puisqu’il ne s’agit absolument pas d’algèbre, et pour cause. On peut raisonnablement penser que quiconque oserait, dans une société convenablement civilisée, proférer une horreur telle que « César a été assassiné en moins quarante-quatre », devrait être passible du plus horrible des supplices.
Pourquoi le 25 décembre ?
Il paraît aussi que la science moderne a démontré que Jésus n’était pas né un 25 décembre. Une chose est aussi certaine qu’il est possible de l’être en matière historique : ce n’est pas parce qu’il est né un 25 décembre que nous fêtons Noël ce jour là. Les premières traces que nous ayons d’une célébration liturgique de la naissance de Notre-Seigneur (natalis dies, d’où Noël) datent du milieu du IVe siècle, à Rome (Nous n’en avons aucune de sa création). Elle s’est rapidement généralisée à toute la chrétienté, mais était manifestement inconnue des siècles précédents.
Il peut sembler curieux que les chrétiens n’aient pas pensé plus tôt à fêter ça. Un fait peut l’expliquer, au moins en partie : aucun des quatre évangiles, ni aucun des textes contemporains ou immédiatement postérieurs, n’en donne la date. Ce n’est pas surprenant : on connaît fort peu de dates de naissance de personnages de l’Antiquité, toujours de grands hommes, presque toujours d’hommes que leur naissance destinait à être grands. Les Romains semblent y avoir attaché une importance particulière, d’ordre religieux, contrairement à la plupart des autres. On ne les connaît néanmoins, presque toujours par une seule source, que pour ceux dont nous avons une biographie ou, pour les princes et leurs familles seulement, par les sacrifices pour leurs anniversaires (qui ne sont connus que par des inscriptions les signalant, donc très partiellement, en fonction du hasard des conservations et des découvertes).
Les évangiles ne donnent d’ailleurs aucune date précise de l’année, hors celle, par le lien avec la fête de Pâque, de la mort de Jésus (nous en parlerons peut-être sur ce blog au printemps). Chez Marc et Matthieu, c’est la seule : aucun des autres évènements qu’ils rapportent n’est situé dans l’année, même en référence à une saison. Luc ne se distingue d’eux qu’en citant une autre Pâque, l’année des douze ans de Jésus, seul épisode connu de sa vie entre sa naissance et le début de sa vie publique vers ses trente ans. Jean, qui est le plus précis, en cite deux autres pendant la vie publique, et fait également référence à d’autres fêtes juives, qui permettent, pour son évangile seulement, d’établir une chronologie approximative sur trois années.
Cette imprécision se comprend fort bien vue la façon dont ont été probablement écrits les évangiles, tardivement, à partir de récits des témoins transmis d’abord oralement. Que le seul évangéliste qui se donne comme un témoin visuel, Jean, (même si la science moderne a bien sûr contesté cela) soit le moins imprécis paraît également logique, mais il écrit longtemps après les faits qu’il raconte.
Elle a une autre raison, qui nous ramène à notre sujet, la diversité des calendriers à cette époque. On oublie facilement aujourd’hui, alors que nous avons un calendrier à peu près universel, le chrétien, issu des Romains, qu’utilisent dans la vie courante même ceux qui ont un autre calendrier religieux, qu’une date est toujours ke résultat de choix arbitraires, même s’ils ont en général fondés au moins partiellement sur la combinaison d’éléments naturels. Au premier siècle, le calendrier romain (d’ailleurs horriblement compliqué) était utilisé par les Romains seulement. Les Juifs, comme tous les autres peuples, avaient le leur. Si les témoins de la vie de Jésus avaient retenu certaines dates, c‘était selon ce calendrier là. Il se trouve aujourd’hui de braves chrétiens pour dire que Marie avait évidemment retenu la date de l’anniversaire de Jésus, et l’avait certainement donnée aux Apôtres. Ce n’est pas si évident que ça : on n’a pas de trace de gâteaux à bougies à cette époque dans cette région. Même si c’était le cas, elle n’aurait pu retenir qu’une date du calendrier juif, ne signifiant rien dans un milieu grec ou romain.
Il n’y avait pas non plus de conversion possible. Presque tous les calendriers connus sont fondés sur la combinaison de trois éléments naturels, le jour, qui correspond à la durée de la rotation de la Terre sur elle-même, le mois, à celle de la rotation de la Lune autour de la Terre, l’année, à celle de la Terre autour du Soleil (Certes, à cette époque, c’était le Soleil qui tournait autour de la Terre. Ça ne changeait rien aux nuits et aux jours, et on n’en connaissait pas moins le cycle des saisons). Étaient totalement arbitraires, et forcément variables selon les peuples, le moment du début de l’année, et le décompte des années, ce qui ne nous concerne pas encore (on y viendra quand on parlera de l’année de la naissance de Jésus). L’étaient, à plus forte raison, les moyens de faire correspondre ces trois données. Il y a dans l’année solaire environ douze mois lunaires (d’où l’importance symbolique accordée à ce nombre chez les Juifs comme chez les Romains, et à peu près partout, d’où aussi le découpage du jour en douze heures par analogie), mais non exactement, et un peu plus de 365 jours. Au moment de la naissance de Jésus, les Romains avaient adopté le calendrier dit julien, du nom du dictateur César, qui divisait l’année de 365 jours en douze mois de longueurs inégales (supprimant donc tout rapport avec les phases de la lune), et en rajoutait un 366e tous les quatre ans, calendrier qui est aujourd’hui le nôtre à un détail près. Ils étaient apparemment les seuls. Partout ailleurs, et donc chez les Juifs, on continuait à faire ce qu’avaient fait les Romains avant : on avait des années de douze mois lunaires, incomplètes donc, et quand le décalage avec l’année solaire commençait à se voir vraiment, on rajoutait des jours, ou un mois à l’année en cours pour le compenser. Le calendrier officiel ne correspondait ainsi au soleil et à la lune que l’année suivant la rectification, et s’en éloignait ensuite jusqu’à la suivante. C’est pourquoi nous sommes incapables également (certains essaient bien sûr) de donner dans notre calendrier la date de la mort de Jésus : les évangiles, en citant la Pâque, donnent le 14 ou le 15 (il y a désaccord entre Jean et les trois autres sur ce point) du mois juif de nisan, ce qui est proche de l’équinoxe de printemps, mais ne peut être précisé à un mois près, puisque bien sûr nous n’avons aucune trace des rectifications opérées.
On a décidé tardivement, à Rome, de fêter la naissance de Jésus. Il n’est pas impossible que cela ait un rapport avec l’importance, déjà évoquée, que les Romains accordaient au dies natalis. Malgré tous les efforts et tous les calculs tordus faits par des obstinés à prouver que Jésus est vraiment né le 25 décembre, à partir de l’alternance des classes de prêtres au Temple[1]voire du passage de la comète de Halley, l’hypothèse d’une date de naissance réelle pieusement conservée et transmise oralement seulement (comme la recette de la potion magique ne l’est que de bouche de druide à oreille de druide) jusqu’à cette décision au milieu du IVe siècle n’est décidément pas tenable. On peut être certain, autant qu’on peut avoir une certitude en histoire, que cette date a, faute de date réelle connue, été fixée arbitrairement.
L’opinion dominante aujourd’hui est que l’Église de Rome a choisi cette date pour faire concurrence à une fête païenne, ce qui permet à beaucoup de gloser sur Noël comme méchant complot clérical contre sainte Laicité (le paganisme étant bien sûr laïc). Ceux qui affirment cela ne précisent pas, le plus souvent, de quelle fête il s’agissait. On sait que l’empereur (entre 270 et 275) Aurélien avait créé à cette date du 25 décembre la fête de Sol inuictus, le soleil invaincu. C’était récent, et n’a pas beaucoup duré. On parle parfois des Saturnales, beaucoup plus anciennes, qui ont cet inconvénient qu’elles ont lieu quelques jours avant. On ne peut dire que cela est impossible. On ne peut que constater que nous n’avons aucun texte de cette époque disant une telle chose.
La connerie étant la chose au monde la mieux partagée (puisque personne ne s’est jamais plaint d’en manquer), il s’est trouvé récemment de bons catholiques, très savants (savants comme on l’est aujourd’hui) pour entreprendre de réfuter savamment cette accusation en trouvant une autre explication. Certains l’ont trouvée, qui racontent que chacun sait que dans l’Antiquité on croyait qu’un grand homme vivait un nombre d’années exact, et mourait à son anniversaire. Ils ne disent pas d’où ils sortent cela, ayant pour principe de ne jamais citer leurs sources, et je ne trouve (mais peut-être cela m’a-t-il échappé), rien de tel nulle part. Il est pourtant certain que Jésus n’est pas mort en décembre. Les mêmes ajoutent aussitôt que la vie commence à la conception, donc neuf mois avant, donc le 25 mars, que Jésus est certainement mort un 25 mars, et qu’ainsi tout s’explique. On croyait naïvement jusque là que la fête de l’Annonciation avait été placée dans un second temps neuf mois avant Noël, comme cela semble logique. Ces grands savants nous démontrent que bien au contraire, on a commencé par fêter l’Annonciation le 25 mars parce que c’était le jour de la mort de Jésus, et qu’on en a déduit ensuite, en ajoutant neuf mois, la date de sa naissance. On constate une fois de plus que la recherche historique permet des découvertes stupéfiantes depuis qu’on a découvert qu’il était vain de se soucier des sources. Cela n’est pas propre aux catholiques, mais ils ont remarquablement su adopter les nouvelles mœurs (on trouve aussi des merveilles sur la question du célibat des prêtres, tant de la part de ceux qui « démontrent » qu’il remonte aux apôtres, voire en deçà, que de ceux qui « prouvent » qu’il n’a été institué qu’avant-hier).
Si on s’en tient aux anciennes mœurs, et prend ces aventures de l’inintelligence pour ce qu’elles sont, le choix du solstice d’hiver pour fêter, faute de date connue, la naissance de Jésus est assez facilement explicable. C’est le moment où la nuit est la plus profonde. C’est aussi celui où le jour commence à regagner sur elle. On ne saurait trouver de plus beau symbole pour signifier la naissance du sauveur qui vient apporter la lumière à l’humanité plongée dans l’obscurité. C’était le sens de la fête païenne de Sol inuictusdont nous avons parlé plus haut : le soleil, après avoir longtemps reculé devant la nuit, reprend le dessus. Rien ne permet cependant de parler de concurrence, si rien non plus ne permet de l’exclure. Plutôt que de voir là un méchant calcul commercial que rien, décidément, n’atteste, on peut plus vraisemblablement supposer une coïncidence. La plupart des religions connues fondent des fêtes sur les phases du soleil, les chrétiens situant déjà (d’après les Juifs avant eux) Pâques en fonction de l’équinoxe de printemps : il n’est pas étonnant qu’il y en ait plusieurs, à la même époque, pour marquer le solstice d’hiver.
Reste une question : pourquoi Noël, fêté le 25 décembre, doit-il être lié au solstice d’hiver, que chacun sait être le 21 ou le 22 ? Un point est très simple : le 25 décembre était alors la date officielle du solstice à Rome. Il est moins simple d’expliquer pourquoi : il faut pour cela replonger dans l’histoire compliquée de notre calendrier. On a vu que le calendrier dit julien alors en vigueur (et pour longtemps) était le premier calendrier perpétuel harmonisant le rapport entre jours, mois, et années sur un cycle de quatre ans, avec une année de 365 jours un quart. Il y avait là une petite erreur, ou approximation ; d’un peu moins d’un centième de jour, ce qui était bien peu par rapport aux errements précédents, mais créait un décalage d’un peu moins d’un jour par siècle entre l’année officielle et l’année solaire. Cela explique le décalage entre solstice officiel et solstice réel au IVe siècle. Pour expliquer qu’il soit resté le même aujourd’hui, il faut en venir à la rectification du calendrier julien faite à la fin du XVIe siècle par le pape Grégoire XIII, à un moment où le décalage était devenu énorme, et où les progrès de l’astronomie permettaient de l’analyser. Dix jours ont été ainsi supprimés : on est passé à Rome directement du 4 octobre 1582 au 15 octobre. Pour éviter le retour du décalage, on a supprimé un peu moins d’une année bissextile par siècle : la dernière année du siècle n’est bissextile que si le nombre formé par ses deux premiers chiffres est lui-même divisible par quatre (ainsi, 1600 et 2000 ont eu un 29 février, mais non 1700, 1800 et 1900).
Il ne vous aura pas échappé que cette rectification ne comblait pas totalement le décalage accumulé depuis l’époque du dictateur César, mais ramenait seulement à la situation du IVe siècle. Le solstice est donc à sa date réelle de l’époque, et non à sa date officielle qui a été choisie alors pour fêter Noël. C’est qu’au XVIe siècle, le souci n’était pas le rapport entre la date de Noël et le solstice, qui était arbitraire, mais celui entre celle de Pâques et l’équinoxe de printemps, qui ne l’était pas, puisqu’il remontait à la fête juive autour de laquelle les évangiles placent la mort et la résurrection de Jésus. Sa date avait été fixée, également au IVe siècle (on attribue en général cette décision au concile de Nicée de 325), au premier dimanche après la pleine lune suivant l’équinoxe, celle-ci étant placée à sa date réelle alors, le 21 mars. Le but de Grégoire XIII était donc qu’elle y revînt.
On se demande certes pourquoi, en fixant les dates des deux fêtes d’après la position du soleil à quelques années d’intervalle, on a utilisé pour l’une la date réelle, pour l’autre la date officielle. On ne le saura pas. On ne peut qu’émettre des hypothèses. La querelle sur la date de Pâques semble avoir été tranchée en milieu grec, où le calendrier officiel romain n’avait pas la même importance qu’à Rome. C’était une querelle : jusque là, on fêtait Pâques à des dates différentes selon les lieux, chacun ayant interprété à sa manière le rapport avec le calendrier juif, et l’harmonisation a été âprement négociée pour arriver au système compliqué toujours en vigueur, ce qui peut expliquer, aussi, qu’on ait eu le souci de mesurer et de retenir la date alors exacte de l’équinoxe. Personne n’avait jamais, autant que nous le sachions, fêté l’anniversaire de la naissance du Christ : la fête a été créée d’abord à Rome, imitée assez rapidement par toutes les autres églises, sans qu’il y eût matière à controverse sur la date, puisqu’elle était arbitraire.
On signale au passage qu’il n’y a jamais eu, et qu’il n’y a toujours pas de controverse sur la date du 25 décembre. On entend parfois certains, qui tiennent manifestement à passer pour des imbéciles, affirmer que la preuve que cette date est le fait d’un horrible complot romain contre une fête païenne est que les Églises schismatiques d’Orient fêtent la naissance du Christ le 7 janvier. Elles la célèbrent en fait le 25 décembre du calendrier julien, auquel elles sont restées obstinément attachées (considérant que le soleil ne pouvait qu’avoir tort du moment qu’il était d’accord avec le pape), soit actuellement treize jours plus tard que celui du calendrier grégorien, les dix de 1582, et les 29 février maintenus de 1700, 1800 et 1900 (De même pour Pâques, la divergence porte sur la date de référence du 21 mars, ce qui entraine des variations beaucoup plus compliquées).
On peut donc conclure qu’il est tout à fait certain que la date du 25 décembre a été choisie sans rapport avec la date réelle de la naissance de Jésus, alors inconnue, même s’il serait bien audacieux d’affirmer qu’il n’est pas né le 25 décembre : il peut l’être ce jour là, comme n’importe quel autre. Il est on ne peut plus probable qu’on l’ait choisie parce qu’elle était alors la date officielle du solstice d’hiver, le moment où le jour commence à regagner sur la nuit. Rien n’indique, même si on ne peut évidemment totalement l’exclure, qu’on l’ait fait dans le but de concurrencer la très récente fête païenne de Sol inuictus, moins encore les Saturnales qui n’étaient pas à cette date (leur origine avait certainement aussi un rapport avec le solstice, mais c’était bien avant le calendrier julien). Il est surprenant que des gens dont certains au moins sont apparemment raisonnables mettent tant de fureur à s’écharper sur ce qui est somme toute assez simple.
Nous envisagerons dans la suite de cette note la question de l’année de naissance de Jésus, un sujet sur lequel on dit encore plus de bêtises, et verrons que c’est très différent, puisque nous avons beaucoup plus d’éléments, mais pas de solution raisonnable.
Bellegarde, deuxième dimanche de l’Avent.
Pour commenter, c'est ici, sur Facebook
[1]Comme chacun sait, l’évangile de Luc commence par l’annonce faite au prêtre Zacharie, alors de service au Temple, de la conception de son fils Jean (qui sera le Baptiste), dont on apprend ensuite qu’elle a précédé de six mois celle de Jésus. Les prêtres étaient réparties en classe, chacune officiant à tour de rôle. Comme Luc précise que Zacharie était de la classe d’Abia, il s’est trouvé des dangereux pour entreprendre de calculer le moment de la date où elle était de service, d’où la date de la conception de Jean, d’où, quinze mois plus tard, celle de Jésus. On ne sera pas surpris que de tels calculs donnent systématiquement le résultat qu’on voulait atteindre en les entreprenant.