• Au bout de huit semaines

    Le confinement, qui a été totalement improvisé quand on est passé en quelques heures de "C'est une petite grippe. On ne va pas bloquer le pays pour ça. Continuons à aller au théâtre et remplir des urnes pour bien montrer que nous ne cédons pas à la panique" à "C'est la peste noire. Vous allez tous mourir", posait un problème évident, qui aurait dû être évident du moins: l'impossibilité de contrôler son respect.

    Si confiner avait été un but en soi, ça aurait été très simple. On aurait pu, par exemple, demander à chaque citoyen de faire viser par l'autorité compétente la liste de ses sorties indispensables de la semaine, avec possibilité d'y revenir en cas de besoin imprévu. Mais le but du confinement était de limiter au maximum les contacts, et il aurait été dommage de se contaminer en faisant la queue à la mairie ou à la gendarmerie (On ignore cependant s'ils ne l'ont pas fait parce qu'ils avaient compris, quand même, que ce serait une connerie, ou parce qu'ils n'en ont pas eu l'idée).

    Ça ne pouvait donc reposer que sur la confiance. Expliquer clairement en quoi c'était utile, et compter que presque tous agiraient en conséquence, personne n'ayant envie de tomber malade. Ça n'est malheureusement pas dans leurs mœurs. Ces gens là, parce qu'ils sont méchants, ne connaissent que la schlague et, parce qu'ils sont bêtes en plus, ne la manient que contre tout bon sens.

    On a sans doute tort d'y voir la preuve qu'ils nous méprisent et se croient supérieurs à nous, pauvre plèbe incapable de comprendre où est son bien si on ne lui tape pas dessus. Il est plus probable qu'ils nous traitent ainsi parce qu'ils s'arrogent le droit de penser que, c'est beaucoup plus insultant, nous sommes exactement comme eux, qui se croient tout permis tant qu'ils ne se font pas taper dessus. Par exemple, le gars qui, étant directeur général d'une mutuelle, a fait offrir par celle-ci un immeuble à sa femme, en le lui faisant louer au montant exact des mensualités qu'elle avait à payer pour l'acquérir, n'a toujours pas compris en quoi ce pourrait être mal, puisque notre belle justice indépendante et impartiale a dit qu'elle ne trouvait pas là matière à lui taper dessus.

    Donc, puisqu'ils ne pouvaient envisager de ne point taper, et qu'il était impossible de le faire rationnellement, ils ont choisi de taper au hasard. Ce fut l'attestation à la con, qui ne prouvait rien, mais permettait de matraquer tous ceux qui n'avaient pas compris le truc, et également tous ceux qui, ayant compris, avaient le malheur de tomber sur un flic n'ayant pas compris, et étaient trop bien conditionnés pour envisager de contester. Ça leur a permis d'afficher, à défaut de masques, de tests, de respirateurs, des chiffres de contredanses montrant que le confinement c'était sérieux.

    Le plus affreux (même si tout ce qui précède est déjà très affreux) est leur incapacité totale à distinguer ce qui était explicitement interdit (peu de choses, forcément) et ce qui était, sans pouvoir être interdit, justement déconseillé, au point de laisser croire que tout ce qui n'était pas interdit était encouragé. On en est ainsi arrivé au droit de sortir de chez soi pour se promener, en plus des courses réputées indispensables, une heure par jour dans un rayon d'un kilomètre. Qui faisait ça habituellement ?

    Si j'avais usé de tous les droits qu'ils me donnaient, j'aurais passé beaucoup plus de temps dehors que jamais depuis quatorze ans que je suis revenu à Bellegarde. Evidemment, je ne l'ai pas fait, et suis sorti exactement comme d'habitude, à ceci près que je devais perdre mon temps à remplir l'attestation à la con, et que j'avais au ventre la peur de croiser un flic analphabète qui la trouverait, contre toute vérité, non conforme.

    Des fers, des bourreaux, des supplices.

    Bellegarde, 11 mai 2020.

     

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