• Le rapport introductif du 14e colloque du CERES… Annexe 1

     

    La brochure Socialisme et République

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    Autres annexes:
    2) Les échos des deux premières phases 
    3) Le dossier Notre République
    publié par En jeuen avril 1985
    4) L’interview de Jean-Pierre Chevènement
    dans le numéro de septembre 1983 d’En jeu.

     

    On reproduit ici au format PDF la brochure parue comme supplément à Volonté socialistedonnant le compte-rendu de la dernière phase du 14ecolloque du CERES (samedi 19 et dimanche 20 avril 1986). On a transcrit ci-dessous les trois interventions du dimanche qui nous paraissent en rapport avec le sujet qui nous intéresse, celles de Didier Motchane, Jean-Pierre Chevènement et Michel Charzat, dans l’ordre donné par l’éditorial de VS, où elles ont apparemment été prononcées (qui n’est pas celui de la publication) et  le rapport général (La postface de Didier Motchane est entièrement transcrite dans le commentaire du rapport introductif). On trouvera enfin, en annexe à cette annexe, une interview de Jean-Pierre Chevènement au Matin, telle qu’elle est reproduite par le numéro 56 de VS. Elle n’est pas datée, mais sa parution est manifestement de peu postérieure à la réunion, du 21 ou du 22 avril donc, et a probablement été donnée sur place.

     

     

    1) Intervention de Didier MOTCHANE le dimanche 20 avril

    Nous discernons désormais clai­rement les contours d'un projet poli­tique pour la gauche des 15 ou 20 prochaines années. Certains d'entre vous pourraient penser que c'est là une très grande prétention, que c'est un exorde un peu emphatique.

    Mais prendre un engagement politique, « faire de la politique » a cette ambition ou n'est rien. En tout cas, rien qui vaille.

    La guerre économique — qui est une vraie guerre, car son enjeu est la survie ou la destruction, la domina­tion, la pire des dépendances... — a pris désormais des caractères absolu­ment nouveaux.

    La mondialisation du capita­lisme est telle que les vitesses et les contraintes de ses mouvements sont sans commune mesure avec ce qu'elles étaient. C'est la raison pour laquelle notre premier devoir, c'est de préserver ou de reconquérir nos possibilités d'exister, d'être nous­ mêmes, d'être libres... l'espace de la liberté, l'espace de la démocratie... Cela nous a conduits à cette idée que — si nous regardons notre histoire récente, celle du monde aussi bien que celle de la France — ce qu'on appelait traditionnellement le mouve­ment ouvrier et que représentait poli­tiquement la gauche en France et ail­leurs, s'était accoutumé, en quelque sorte, à être soumis à cette guerre économique. Le retournement qu'il s'agit d'opérer, c'est de cesser de subir pour conduire.

    Si la gauche ne prend pas la tête de ce mouvement, elle n’a plus de sens, car les possibilités d'être soi-même, les possibilités de la démocra­tie — à plus forte raison, un jour, cel­les du socialisme — n'ont plus de sens.

    Croissance... L'activité, c'est le moyen de tout faire. C'est la leçon que nous pouvons tirer assez simple­ment de ces cinq dernières années : ceux qui ne se donneront pas les moyens de la croissance tomberont dans une dépendance accrue, rapide­ment irréversible. La croissance, ce sont les moyens de l'indépendance et ce sont aussi les moyens de la démo­cratie.

    La démocratie, c'est le but de la croissance. Mais c'est aussi, dans la mesure où les individus sont des citoyens responsables, des gens « dans le coup », la condition qui fait que, dans le monde d'aujourd'hui, la croissance peut redevenir possible.

    Cette relation réciproque — dia­lectique — entre démocratie et crois­sance, comme entre indépendance et croissance, entre indépendance et démocratie, il est facile de la décliner dans tous les secteurs, dans tous les domaines de la politique et, au-delà, de la vie collective.

    Démocratie, qu'est-ce à dire ?

    C'est la démocratie sociale, c'est la justice sociale, c'est la solidarité. C'est la responsabilité, c'est-à-dire la possibilité de se déterminer soi-même et de concourir à la décision et à la vie collective.

    Il ne convient pas de parler de ces valeurs dans le ciel de l'abstrac­tion. Ces valeurs ne sont pas en-dehors, au-delà de l'histoire. Elles ont une couleur ; elles ont un sens ; et, dans notre pays, elles ont une his­toire propre... Cette histoire, c'est celle de la République. Et ces valeurs, ce sont celles de la République, de notre République.

    La République est le courant dominant d'une récente histoire qui lie inextricablement celle de notre pays et celle du mouvement ouvrier. La République, c'est l'histoire du mouvement socialiste, des efforts et des combats du mouvement socialiste pour donner toute sa force, tout son sens, toutes ses conséquences à la Révolution française dont le principe l'emportait très au-delà du point où les tenants de la République libérale voulaient l'arrêter. C'est l'histoire de ce qu'on appelait la Sociale, la Répu­blique sociale. C'est la conception du monde et de la société que Jaurès a le mieux exprimée et qu'il a développée à travers un grand nombre de formu­les dont je ne rappellerai que l'une des plus célèbres : le Socialisme est l'accomplissement de la République.

    Faire du combat de la gauche le combat pour la République, le com­bat pour la construction de la Répu­blique, c'est prendre notre engage­ment de socialistes véritablement au sérieux. C'est prendre la vraie mesure de ce qu'est la France, de ce qu'elle peut et de ce qu'elle ne peut pas — et des chemins qui conduiront à élargir sa liberté, l'espace de notre politique.

    Un projet est indispensable. Il n'y a pas de stratégie sans projet. Il faut évidemment une stratégie : ce sont les moyens de la politique. Mais il faut d'abord un projet politique... Ce que nous en avons dit hier, c'est que, là aussi, la période sera nou­velle.

    Zone de texte: 19Les militants qui sont dans cette salle sont de ceux qui ont lutté avec le plus d'acharnement pour l'union de la gauche, pour que la gauche se ras­semble elle-même, seul moyen de rassembler plus largement une ma­jorité dans ce pays. Il est clair qu'aujourd'hui, les voies de ce ras­semblement seront nouvelles.

    Il ne m'appartient pas — il ne nous appartient pas — de préjuger l'avenir, y compris en ce qui concerne le destin du parti communiste fran­çais. Certains de nos camarades com­munistes pensent encore pouvoir sor­tir ce parti de sa crise historique et le rénover. D'autres, assez nombreux semble-t-il, ont cessé ou cessent de le penser et discutent des moyens —pour que le « courant » communiste, ou la « culture » communiste, ou la « sensibilité » communiste continue à jouer le rôle dans la gauche et pour la gauche. Je pense que notre tâche à nous, socialistes, est de faire tout notre possible pour que ce courant, puisse jouer effectivement son rôle là où il sera...

    La gauche rassemblera dans la mesure où — je le répète — son pro­jet apparaîtra comme le seul projet rassembleur — car c'est la seule réponse pour la survie de la démocra­tie et de la France. Et vous savez qu'en France, nous avons un mot, un seul, qui manifeste cette confluence, cette jonction, c'est celui de Républi­que.

    Il est clair que la vieille devise de la République — quand on regarde ce qu'elle veut dire — n'a jamais été plus moderne. Il est clair qu'elle n'a jamais été plus exigeante...

    Comme vous le savez, le Centre d'Études, de Recherches et d'Éduca­tion Socialistes a décidé de tirer les conclusions — en ce qui le concerne — de cette affirmation qu'une nou­velle période commence. Il a donc décidé de changer de forme et de changer de nom.

    C'est prendre conscience des transformations et des efforts de rénovation qui sont nécessaires. En même temps, je ne pense pas que cela puisse être ressenti comme un adieu. Tout au contraire. Ce n'est pas un adieu à son combat. C'est la conclu­sion raisonnable de la nécessité de se mettre à la hauteur des exigences de ce temps.

    Cette proposition a été faite hier — elle était d'ailleurs, à la suite de circonstances fortuites, connue depuis quelques jours. C'est en fait la discussion que je vous ai résumée qui en a préparé la conclusion.

    2) Intervention de Jean-Pierre CHEVÈNEMENT le dimanche 20 avril

    Le 16 mais la droite a remporté une victoire mais elle n'a pas gagné la France.

    La mode ultralibérale se brisera sur le caractère national, et cela d'autant plus sûrement que la politi­que engagée par M. Chirac va à l'encontre des nécessités de la moder­nisation : elle favorise à nouveau la terre et la pierre — par clientélisme — et découragera l'industrie qu'elle privera d'argent frais à travers les dénationalisations qui assécheront le marché financier au profit de l'État.

    La mode « ultra » (je veux dire ultralibérale) passera. Ce n'est donc pas aujourd'hui le moment pour le parti socialiste de devenir un parti libéral.

     Tout au contraire il lui appar­tient de restaurer l'État républicain, garant des libertés individuelles, outil de justice sociale, comptable de l'ave­nir national.

    La République c'est la démocratie éclairée, c'est le citoyen rendu res­ponsable grâce à l'instruction que dispense l'école, qu'on n'appelle pas pour rien en France « l'école de la République » : c'est qu'elle a pour première mission de former des citoyens, c'est-à-dire des hommes et des femmes capables de penser par eux-mêmes.

    A partir du moment où la classe ouvrière a cessé de se vivre comme la classe rédemptrice de la société tout entière, il n'y a pas de mérite particu­lier pour un parti qui se veut « de gouvernement » à borner son rôle à relayer les revendications même du plus estimable des corporatismes. Cela ne nous a d'ailleurs pas réussi : quand, dans notre action au Gouver­nement, nous avons voulu satisfaire les revendications certes anciennes et quelquefois consacrées mais insuffi­samment élaborées de certaines de nos clientèles, nous avons rencontré le mur des réalités et dû rebrousser chemin. Rien ne vaut, en définitive, pour un parti qui se veut de Gouver­nement — et surtout s'il est dans l'opposition — la pensée de l'intérêt général.

    Le Parti socialiste a tout à gagner s'il veut fonder solidement —y compris dans l'opposition — sa cul­ture de gouvernement, à reprendre à son compte le concept exigeant de la République. L'intérêt général — la Res Publica — est certes chose malaisée à dégager. La République impli­que non seulement le respect d'une éthique scrupuleuse mais aussi désintéressenent, abnégation, hauteur de vue.

    Cette forme française de la démocratie qui s'appelle la Républi­que est une belle et glorieuse tradi­tion. L'exacerbation des égoïsmes et le règne des corporatismes à l'inté­rieur, comme la montée des empires à l'extérieur redonnent aujourd'hui à l'idée républicaine fraîcheur et actua­lité.

    Zone de texte: 14Appuyons-nous sur la tradition pour construire l'avenir !

    On me dira que la République n'est en France l'apanage de per­sonne et que l'identité des socialistes ne peut se ramener à un Républica­nisme. Mais c'est une vue statique des choses : la République de la droite est une République arrêtée. D'ailleurs la droite ne s'est ralliée à la République, il y a un siècle, que con­trainte et forcée. Elle a fini par en accepter les conquêtes successives : de l'école laïque à la retraite à soixante ans. Mais elle ne l'aime pas. La République est au contraire por­tée par la gauche. Notre République est une République conquérante, affamée de donner corps à sa devise. Que la gauche défaille, et 1a Républi­que s'effondre. Cela s'est vu : la République sans la gauche cela donne Vichy. Et qui ne voit que le socia­lisme peut se décrire comme recher­che de la liberté réelle, de l'égalité.

    Les socialistes qui avaient fait du plan un des fondements de leur pro­jet, mesureront à travers cet exemple que la République n'est pas en deçà du socialisme. Mieux vaut une Répu­blique efficace qu'une idéologie bavarde, une langue claire qu'un jar­gon exotérique. Se faire comprendre c'est déjà commencer à agir. Pour rassembler une majorité de progrès autour de lui le Parti socialiste a tout à gagner et rien à perdre à œuvrer dans le cadre de la République et à partir de ses idéaux.

    Mieux même, le concept de la République est à la fois le meilleur garde-fou contre la culture d'opposi­tion, c'est-à-dire la critique irrespon­sable, systématique, en dehors de tout projet politique sérieux, et le meilleur antidote contre le libéra­lisme c'est-à-dire l'idéologie de ceux qui sont les plus forts sur le marché mondial et qui sont nos adversaires les plus redoutables dans la compéti­tion économique internationale.

    Pour rester fidèle à soi-même il faut savoir changer. Le CERES s'était créé au début des années soixante sur la base d'un pari qui anticipait largement sur l'évolution de la gauche et de.la société fran­çaise : refondation d'un grand parti socialiste, création, sur la base de l'union de la gauche, d'une dynami­que majoritaire, réformes de structu­res de grande ampleur.

    Nous devons être capables d'effectuer à nouveau des choix à longue portée, d'anticiper sur l'évé­nement, de nous redéfinir par rap­port aux enjeux de l'an 2000. Et naturellement parce que la période est différente nous devons conduire la plus profonde refonte qu'un mou­vement politique soit capable de s'imposer à lui-même. Ce faisant nous travaillons pour le Parti socia­liste tout entier et pour l'avenir démocratique de la France.

    Mais bien entendu si « Socia­lisme et République » est le titre du nouveau chapitre qui succède au pré­cédent dont « CERES » était l'inti­tulé, c'est toujours le même livre que nous entendons écrire. Nos valeurs n'ont pas changé : c'est l'amour indissociable de la France et de la démocratie, le sens de la justice sociale, la foi en la raison, la con­fiance en l'homme créateur de lui-même.

    Nos grands objectifs restent l'indépendance nationale et euro­péenne, la construction d'une société solidaire sans laquelle la République ne peut offrir qu'un visage mutilé.

    Pour construire l'Europe comme une confédération de nations libres nous avons besoin d'une France forte, indépendante et frater­nelle. Pour moderniser notre pays, nous avons besoin de toutes les forces de la France. Mais parce que les travailleurs, à la différence des capitaux ne peuvent pas déménager, nous pen­sons que ce rassemblement ne peut s'effectuer qu'à partir de la gauche. Certes, l'union de la gauche telle que nous l'avions conçue est aujourd'hui derrière nous, par le fait des choix opérés par la Direction du Parti communiste. Mais nous continuerons d'œuvrer à l'union des forces popu­laires.

    La véritable unité des socialistes repose en fait sur la clarté de leur projet.

    Pour faire fructifier ce précieux capital qu'est, pour la gauche tout entière et pour la démocratie, l'exis­tence d'un grand parti socialiste, sachons lui donner de l'horizon. Il en a besoin car il ne pourra l'emporter dans les prochaines batailles, adossé sur son seul bilan.

    Notre rôle c'est de constituer autour du Parti socialiste la majorité de progrès dont François Mitterrand a besoin.

    Le laminage du PC peut ne pas être notre intérêt tant que le relais n'a pas été pris, mais l'effondrement de l'influence électorale du PC ne fait que traduire celui de sa stratégie.

    L'erreur pour les socialistes serait de croire que les « réserves » n'existent qu'à droite ou plus exacte­ment au centre.

    Elles existent aussi à gauche et d'abord chez ceux qui ont choisi l'abstention le 16 mars 1986. Le Parti socialiste pour vouloir être un parti de gouvernement ne doit pas pour autant cesser d'être un parti popu­laire.

    Rien n'est plus important dans la période qui vient que l'enracine­ment de notre Parti dans le monde du travail, en particulier à partir des sec­tions et des groupes d'entreprises.

    Le Parti socialiste, tout en res­tant attentif à l'évolution du Parti communiste et sans rejeter ceux de ses militants qui conçoivent encore leur avenir dans la gauche, doit par­ler un langage que ses électeurs peu­vent comprendre.

    Là encore la référence à la Répu­blique est essentielle. Car c'est elle qui fonde théoriquement notre « cul­ture de gouvernement » par la réfé­rence constante à « l'intérêt géné­ral » et c'est elle aussi qui permettra de nous faire comprendre.

    C'est seulement en assumant la République que le parti socialiste ras­semblera la majorité de progrès dont la France a besoin et fondera dura­blement autour de lui cette « alliance pour le progrès » — à la fois con­fluent de sensibilités et rassemble­ment de forces politiques et syndica­les — qui est nécessaire pour que la réussite de la modernisation soit aussi celle de la démocratie.

    L'enjeu c'est le visage de nos sociétés en l'an 2000 : n'hésitons pas à opérer une vigoureuse translation ! Un changement de coordonnées ! Nous sommes à un moment où l'ouverture est le meilleur gage de la fidélité.

    3) Intervention de Michel CHARZAT le dimanche 20 avril

    Le moment est venu de prendre toute la mesure des temps nouveaux. Cette guerre économique mondiale que nous vivons, que nous subissons, confronte en effet moins des entre­prises que des systèmes sociaux qui organisent la mobilisation du savoir, des capitaux et du travail. Cette com­pétition mondiale met en cause la hié­rarchie des peuples et des cultures.

    Socialisme et République, dans cette perspective, propose à la gauche française une tâche exaltante. Tâche exaltante qui consiste à faire prendre au mouvement ouvrier la tête de la guerre économique, à rassembler une majorité de progrès en cimentant l'alliance des productifs contre les forces du déclin — et ainsi, comme l'indiquait J.-M. Bockel à l'instant donner corps à l'idée d'une Europe européenne, d'une confédération d'états capables de proposer une alternative à cet ordre bipolaire entré en crise et de favoriser par là-même le développement des pays du Tiers-Monde.

    C'est donc ici, avant la fin de ce siècle, que doivent être relevés ces formidables défis, que doivent être sauvegardées l'identité de nos nations et d'abord l'unité de la société fran­çaise.

    Mais, en revanche, depuis cinq semaines, c'est une France qui s'engourdit à nouveau. C'est une France qui emprunte à nouveau le chemin de la facilité, qui commence à écouter de nouveau les sirènes du cor­poratisme. Le printemps libéral, c'est le printemps des privilégiés. C'est aussi l'éternel retour de cette vieille France inerte, rentière, égoïste, indif­férente au monde du travail, indiffé­rente au monde productif. Il suffit, à cet égard, de souligner ce que repré­sente le collectif budgétaire. La droite fait en effet une éclairante leçon de choses politique qui doit bien davantage à l'esprit de Vichy qu'à l'esprit progressiste et construc­teur de la Résistance, qu'il s'agisse des faveurs pour l'or, pour la pierre, pour la terre ; qu'il s'agisse à contra­rio de ces coupes sombres dans les crédits en faveur de la recherche, de la culture, de l'industrie ; qu'il s'agisse du bradage du patrimoine national pour financer les cadeaux électoraux à ses clientèles et aux cor­porations du passé... (vifs applaudis­sements). Ce n'est pas ainsi qu'on prépare la France à se battre pour gagner ! (applaudissements). Ce n'est pas ainsi qu'on aide la France à mobiliser ses ressources — et d'abord ses ressources humaines, au premier rang desquelles se place la jeunesse. Ce n'est pas non plus avec cette poli­tique sécuritaire à la Pandraud que l'on peut véritablement assurer la cohésion et l'unité nationale, qu'on peut identifier — comme nous le demandait Fernand Braudel — la France au meilleur d'elle-même.

    Pourtant, comme en 1792, comme en 1871, comme pendant la dernière Guerre mondiale, le parti du mouvement et le parti de l'indépen­dance nationale ne font aujourd'hui qu'un. Car si les capitaux n'ont pas de frontières, n'ont pas de patrie, les travailleurs, les citoyens, eux, en ont une.

    Ainsi, en prenant la tête de la guerre économique, la gauche pourra d'abord isoler les forces du déclin, ses classes dirigeantes rétrogrades et complices de la mondialisation. Elle pourra rassembler le peuple au-delà même de ses frontières naturelles.

    « Socialisme et République » s'adresse en effet à tous et à toutes, car sans rien renier de son passé, le CERES pense qu'à temps nouveaux doivent correspondre des formula­tions nouvelles, des analyses nouvel­les, des objectifs non pas neufs, mais adaptés aux conditions historiques de la situation en France et dans le monde.

    La gauche, à cet égard, doit pro­poser des compromis sociaux dyna­miques à l'ensemble des producteurs, à tous ceux qui créent des richesses par leur travail, leur savoir et leur talent. Mais elle doit également ouvrir des perspectives à tous ceux que la crise marginalise, exclut, prive d'avenir. C'est ce que nous appelons une large alliance des productifs.

    Cette alliance, certes, ne mettra pas fin aux antagonismes sociaux. Mais elle peut matérialiser, dans des compromis dynamiques — qui sont d'ailleurs des compromis autant poli­tiques que sociaux — les forces vives de la nation. Ces compromis, c'est d'abord la priorité à la formation et à la qualification. C'est ensuite la modernisation des relations sociales dans l'entreprise, avec le rôle nou­veau pour les syndicats, le renouveau de la planification.

    Cette alliance pour le progrès appelle — on l'a dit — un projet d'indépendance, de croissance et de démocratie. Si cette alliance permet­tra d'aller vers plus de justice sociale, vers plus d'égalité des chances, elle n'ouvrira pas pour autant la voie, dans une perspective brève, au socia­lisme. Mais, néanmoins — et c'est fondamental pour nous — elle don­nera un sens socialiste à la majorité que nous voulons rassembler.

    La République, c'est l'oxygène de la démocratie. C'est le moyen de l'indépendance nationale. Elle fait respirer aux socialistes un air plus salubre, plus tonique. Elle peut nous permettre — à condition que nous soyons effectivement de vrais répu­blicains — d'assumer et l'héritage du mouvement ouvrier et l'avenir de notre pays.

    4) Le rapport général, tel qu’il est publié

    Nous publions ci-dessous de larges extraits du rapport général soumis à la discussion de notre 14e Colloque.

    Sur la base d'une analyse du passé, sans complaisance mais sans masochisme, le colloque « Socialisme et République » propose aujourd'hui aux socialistes et à toute la gauche le mouvement vers une position qui permettra demain une contre-offensive victorieuse.

    Un projet clair et mobilisateur pour la période prochaine est indispensable pour fixer l'horizon de notre combat et donner corps à une entreprise dont François Mitterrand définissait récemment les raisons d'être internationales : « L'indépendance nationale, l'équilibre des blocs militaires dans le monde, la construction de l'Europe, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, le développement des pays pauvres ». (François Mitterrand : réflexions sur la politique extérieure de la France). C'est ce projet qui est présenté dans les pages suivantes.

    PRENDRE L'INITIATIVE DANS LA GUERRE ÉCONOMIQUE MONDIALE

    I. L'INDÉPENDANCE.

    1. La guerre économique mondiale, choc de stratégies.

    Il se trouve de bons esprits pour contester la pertinence du concept de « guerre économique mondiale ».

    Pour l'orthodoxie libérale il n'y a, en effet, qu'une « compétition internationale » entre les entreprises, et que le meilleur qui gagne.

    Un peu de mémoire fait rapidement justice de cette vision réductrice des choses. Les entreprises ne sont pas seules en compétition, mais des systèmes productifs, et à travers eux des sociétés entières, à l'intérieur desquelles l'articulation des entreprises, de l'État, de l'appareil bancaire, de la recherche scientifique, du dispositif d'enseignement est décisive.

    Parler de guerre économique signifie donc tout simplement mettre à jour les stratégies de conquête, de résistance ou de contre-offensive collectives qui structurent les relations économiques internationales face à la crise du monde capitaliste.

    Dès le début des années 70 s'enclenche une stratégie de réaffermissement du leadership américain, menée par les milieux financiers américains selon une cohérence globale qu'il convient de remettre en perspective. 

    De Nixon en Carter et de Carter en Reagan, se dessinent, au-delà des profils psychologiques et de la diversité des « administrations », les lignes de force d'un redressement idéologique et technologique impressionnant. En retirant les États-Unis du guêpier vietnamien, R. Nixon et H. Kissinger, bien loin d'affaiblir l'Amérique, lui permettent d'engager une alliance stratégique de revers avec la Chine communiste contre la Russie soviétique. J. Carter est le promoteur de l'idéologie des « droits de l'homme » comme entreprise de réarmement moral de l'Occident contre le totalitarisme. R. Reagan, enfin, restera peut-être comme l'artisan du regain technologique des États-Unis.

    En Russie soviétique, après vingt années d'immobilisme brejnévien, la Pravda appelle encore à « mettre fin aux excès bureaucratiques, au népotisme, â l'art de vivre fastueusement aux frais de l'État » (Le Monde du 15.2.86). La « force propulsive d'Octobre », pour reprendre l'expression d'Enrico Berlinguer, est bel et bien « épuisée ». Le « paradis du socialisme » s'est transformé en un astre éteint. Experte à tirer parti des faux-pas de ses antagonistes sur la scène internationale, la Russie soviétique est aux prises avec de redoutables problèmes de blocage internes dont le dépassement hypothétique est sans doute l'enjeu principal du « modernisme », à la Gorbatchev.

    La capacité de manœuvre du Japon dans cette guerre de mouvement a saisi les esprits. On trouve, dans le cas de cette société passée sans transition du féodalisme au capitalisme de monopole, non seulement une intégration sans équivalent des différentes stratégies internes projetées sur le monde extérieur mais aussi un pilotage très fin de la variable monétaire au service de cette projection. La forte sous-évaluation du yen dans un premier temps, a servi à la fois à un gigantesque transfert de technologie vers le Japon et à un déferlement de produits japonais bon marché à l'étranger. Puis, une fois les pôles de compétitivité dans l'électronique en voie de constitution, la remontée du cours du yen a permis au Japon de bénéficier de « termes de l'échange » favorables.

    Dans ce rapport Ouest-Ouest, les pays du Sud apparaissent trop comme des enjeux, encore que la dernière période voit poindre quelques géants tels le Brésil ou l'Inde, juxtaposant à l'intérieur de sociétés dualistes de vastes zones arriérées avec des secteurs à technologie avancée qui ne fonctionnent pas de façon extravertie mais sur une base nationale. Il reste que c'est le Tiers-Monde qui supporte les fardeaux les plus lourds.

    Bref, la crise est toujours devant nous et la guerre économique ne s'achemine pas, à ce jour, vers une trêve.

    2. Le déclin de l'Europe, enjeu majeur de la guerre économique mondiale

    La question est aujourd'hui de savoir si l'optimisme de la volonté aura raison de l'europessimisme de l'intelligence. Le déclin — crise lente dont on ne sort plus — s'étale sur la durée de plusieurs générations.

    Il s'inscrit dans une tendance séculaire ponctuée, au XXe siècle, par deux conflagrations mondiales nées au cœur de l'Europe et par deux crises générales qui l'ont affecté avec une particulière virulence. Autant de marches d'un escalier que l'Europe semble descendre tandis que les États-Unis et le Japon le gravissent.

    La crise en cours accuse encore la tendance. Le défaitisme devant la croissance, attitude mentale strictement européenne, en est un triste symptôme. « Si la croissance américaine continue à un rythme supérieur à 4% pendant encore 3 ou 4 années — écrivait Jean Ribout, financier et industriel international, dans Le Monde du 26 février 1985 — alors que l'Europe stagnerait entre 0 et 1%, il n'y aurait plus à proprement parler d'industrie européenne. Quelques vestiges épars au milieu des grands mouvements de l'histoire et des plages pour touristes américains et japonais ».

    L'approfondissement de la dépendance qui retire à une société la maîtrise de ses processus de décision est la voie assurée du déclin. C'est sous ce jour — géopolitique — que la fameuse question de la « contrainte extérieure » mérite d'être posée.

    La contrainte extérieure renvoie en fait moins à l'ouverture qu'à la dépendance plus ou moins grande d'une économie. Ce n'est pas un hasard si, au Nord, la crise affecte davantage les pays d'Europe nettement plus ouverts au commerce mondial que les États-Unis ou le Japon, mais aussi énergétiquement, technologiquement plus dépendants. (De 1975 à 1983 : production CEE + 12%, USA + 22%, Japon + 41% ; emplois industriels CEE – 4%, USA + 5 %, Japon + 21% ; part du marché mondial CEE – 6 % , USA – 6%, Japon + 25%).

    La dépendance extérieure comporte deux origines : les handicaps internesde chaque pays, qui relèvent de son histoire et les stratégies de domination extérieurequ'il subit et s'avère plus ou moins capable d'identifier. Ainsi, la suzeraineté des États-Unis se manifeste-t-elle par l'absence de contrainte extérieure monétaire puisque leurs paiements à l'étranger se font avec leur monnaie nationale. Il y a donc quelque chose de suspect chez ces zélateurs de la « contrainte extérieure » qui, loin de se borner à en faire le constat, la fétichisent comme un bienfait, un progrès de la civilisation internationale, épargnant aux peuples des égarements fatals et se perdent en prosternations devant cet autel où la latitude d'action des États est sacrifiée. Le fétichisme de la « contrainte extérieure » est dans les pays d'Europe occidentale un sûr indice de la présence d'un parti du déclin épars dans tout le corps social.

    L'aliénation de l'Europe qui se manifeste de moins en moins insidieusement dans l'ordre socio-économique et technologique, est éclatante dans l'ordre militaire et stratégique. L'épisode des euromissiles entre 1979 et 1983 en a été l'illustration flagrante.

    3. Le primat de l'indépendance nationale

    Certains se posent la question de savoir s'il n'est pas déjà trop tard... Une chose est sûre : la pente du déclin ne sera pas remontée sans que des forces sociales nombreuses en Europe se décident de prendre l'initiative. On ne marquera pas de points dans la guerre économique mondiale sans se battre. Encore faut-il exister et d'abord pour cela résister à l'entraînement de la pente. La capacité d'agir par soi-même est la première condition de la lutte contre le déclin de la France et de l'Europe. Cela suppose qu'il y ait en Europe un pôle de décision indépendant sur les plans technologique culturel et militaire. C'est en ce sens que doit être posé le primat de l'indépendance nationale, comme objectif et comme levier. Or, la gauche moderne n'a jamais tiré vraiment au clair ses rapports avec le concept de nation et ne s'applique nullement, dans sa majorité, à démêler ce qui distingue le nationalisme du patriotisme, dans un pays « où l'on est à la fois chauvin sans connaître son pays et cosmopolite sans penser mondial » (Régis Debray). Comme s'il fallait laisser la France à Le Pen dont il a d'ailleurs été très bien dit qu'il en « usurpe les symboles et en piétine les valeurs ».

    La « question nationale » a toujours été l'impensé du mouvement ouvrier international qui, sous l'influence du marxisme, vouait le capitalisme à périmer rapidement le fait national et exaltait l'internationalisme du prolétariat qui « n'a pas de patrie ». Sauf rare exception, comme l'austromarxiste Otto Bauer au début du XXe siècle, mais, il est vrai, au sein de l'empire austro-hongrois agité par de brûlants problèmes de nationalités. Or cet impensé, tout au long du siècle, n'a cessé de « faire retour » et un retour fracassant. L'explosion des nationalismes dynamite, dès le début de la première guerre mondiale, la « deuxième internationale ». La « troisième » s'est trouvée n'être que l'instrument du nationalisme grand russe.

    Enfin, c'est d'abord comme étendard de mouvements de libération nationale que la rhétorique du « socialisme » s'est diffusée dans le Tiers-Monde exprimant l'alliance de masses populaires et d'une bourgeoisie nationale contre les impérialismes. Processus qui ont souvent débouché sur des régimes rien moins que démocratiques ou sociaux.

    La « question nationale » doit être aujourd'hui repensée à la lumière de la conjoncture contemporaine, par rapport à cette Europe « fin de siècle » en perte de vitesse relative, dans un monde en mutation où les cartes se redistribuent rapidement. Or, en cette matière, il n'y a pas d'absolu. La « nation » accaparée en France par la droite était née à « gauche » dans la foulée de la Révolution française. La nation, en Europe, peut redevenir un concept progressiste.

    Il serait absurde de nier la dimension des grands problèmes : pour ne prendre qu'un exemple, la conquête spatiale dépasse les moyens des États d'Europe séparés, tout comme la stratégie militaire à l'échelle de l'espace. Mais la question de l'indépendance, celle des marges de manœuvre, mérite toujours d'être posée et si ce n'est au niveau national, elle doit l'être dans le cadre d'une alliance de nations. L'alternative ne peut être fixée qu'au niveau du défi. L'interdépendance oblige à penser mondial.

    La locomotive du capitalisme multinational a déjà quitté la station « Nation » et elle a brûlé, sans s'y arrêter, la station « Europe ». « Lorsque la classe des capitalistes —écrivait Otto Bauer — incline vers un grand État multinational dominé par une seule nation, la classe ouvrière soutient la vieille idée bourgeoise de l'État national indépendant. »

    Il y a désormais solidarité de destin entre le sort des travailleurs —l'immense majorité du pays — et la nation française. La même pression externe, la même poussée interne, concourent à la fois à la désintégration du tissu industriel, de la classe ouvrière, et à la désintégration de la France. L'indépendance nationale est le cadre privilégié, la condition même, de la démocratie. Tout projet national manquerait singulièrement de souffle mais d'abord de crédibilité, s'il ne considérait la France comme point d'appui pour le levier d'une plus vaste ambition.

    La France, par sa devise Liberté-Égalité-Fraternité et avec ses moyens (qui ne sont ni ceux de la « grande nation de 1789 », ni le petit « 1% de la population mondiale » à quoi feignait de la réduire Giscard) n'a aujourd'hui d'avenir comme valeur qu'en se donnant pour mission d'être le point de catalyse d'énergies encore diffuses, mais qui pourraient donner naissance, dans les vingt ans à venir, à un véritable équilibre multipolaire du monde. 

    II. CROISSANCE-DÉMOCRATIE

    1. CROISSANCE.

    La mobilisation économique, ressort de la croissance.

    Les diatribes contre le « produc­tivisme » se sont heureusement tues. Ce sera un des mérites de la période gouvernementale de gauche d'avoir fait définitivement litière d'une série de poncifs des années 70 sur la société « post-industrielle », et les mérites d'une croissance « douce ». La gau­che a commencé à se réconcilier avec l'impératif industriel tant il est vrai qu'aucun des grands problèmes de notre société ne peut trouver de solu­tion durable, si la base productive s'affaiblit (...).

    L'analyse de la « contrainte extérieure » le démontre : force, indépendance et croissance se nour­rissent l'une l'autre ; à l'inverse, dépendance et sénescence économi­que ont partie liée. On ne gagne de marges de croissance comme de mar­ges d'indépendance qu'en renforçant la cohérence et l'intégration du système productif.

    On discerne ainsi derrière la dénonciation du « volontarisme », ce pont-aux-ânes de l'idéologie du déclin, une pernicieuse « volonté de dépendance » qui s'applique à entra­ver la mobilisation des forces produc­tives et milite, de ce fait, pour une sorte de désarmement économique unilatéral (...).

    La lutte contre le déclin exige une stratégie nationale et internatio­nale, qui, au-deçà de l'antagonisme des intérêts, ne peut reposer que sur une concertation minimale des prota­gonistes sociaux et la prise de cons­cience, à côté des enjeux de conflits, d'intérêts supérieurs communs. En France, cela s'appelle un plan. Les contrats régionaux resteront un acquis pour la coopération entre l'État et les Régions, mais le « plan intérimaire » a connu le sort de ses devanciers, tandis que l'intention des « contrats de plan » industriels —innovation essentielle de la période — s'est arrêtée en chemin. En réalité la « mentalité économique » en France est à la fois trop timide sur le « marché » — par sous-estimation du rôle des entreprises — et sur le « plan » — par culpabilité d'éta­tisme. Il nous faut à l'avenir réaliser une solide alliance du plan et du mar­ché, autour d'objectifs clairs et peu nombreux.

    2. DÉMOCRATIE

    Moderniser la France par des compromis sociaux dynamiques.

    a) La nécessité de moderniser la France procède de la dureté des temps. Il s'agit d'une exigence vitale pour la mobilisation de l'intelligence, du travail, de la technologie, de la ressource humaine.

    Notre pays, héritant d'une double tradition anté-industrielle — le mépris aristocratique du « com­merce », le discrédit d'origine catho­lique jeté sur le profit — a été facile­ment dominé par une mentalité anti­industrielle. L'inspiration industria­liste de Saint-Simon, le premier « socialiste utopique », a tourné court.

    Si l'on ajoute que l'enseigne­ment technique a toujours été le parent pauvre de notre dispositif édu­catif et que les milieux d'entreprise et le monde enseignant se sont observés pendant des décennies depuis des pla­nètes hostiles, on constate que la société française se complaît dans le cloisonnement là où pourrait jouer une synergie dynamisante. C'est en quoi réside son archaïsme : un système de relations industrielles, profondément contraire, non seule­ment aux valeurs de la démocratie, mais aussi aux exigences de la guerre économique.

    b) La gauche, en ouvrant, pen­dant cinq ans, tant de grands chan­tiers de l'avenir a eu le mérite d'affronter directement ces facteurs d'archaïsmes, elle a su oser ce que les gouvernements précédents n'avaient pas entrepris parce qu'elle a commencé à réimpliquer dans la dynami­que de la décision des forces long­temps tenues à l'écart du pouvoir.

    Il n'empêche que de nouvelles règles du jeu claires et stables n'ont pu être fondées ni avec les dirigeants d'entreprise, ni avec les syndicats.

    Les grandes tendances d'évolu­tion de la société française n'ont en effet pas été inversées (...).

    — Les nationalisations de pôles industriels et du système financier n'ont modifié en profondeur ni les processus de décision, ni l'influence des milieux d'affaires internationaux sur l'économie française.

    — Surtout l'éclatement lent du monde du travail entre un secteur relativement protégé et un vaste domaine où l'emploi est hautement précarisé se poursuit.

    La crue du chômage que la gau­che avait fait promesse d'endiguer résulte au total de la difficulté à pren­dre à contrepente des tendances lour­des à l'œuvre depuis longtemps.

    c) Ces tendances ne peuvent être redressées qu'au prix de nouveauxcompromis sociaux mobilisateurs.

    Les bases objectives d'unealliance des productifscontre le déclin existent dans ce pays.

    1) La notion de travail produc­tif ne peut plus rendre compte de l'imbrication du sous-système indus­triel dans les systèmes productifs développés. Que devient la fonction ouvrière dans les processus de fabri­cation et de conception assistées par ordinateur où l'ingénieur d'étude programme lui-même les gammes de fabrication 7

    Les salariés de la production matérielle qui représentent aujourd'hui comme il y a trente ans 42% de la population active, ne cons­tituent plus qu'une petite moitié du nombre des salariés contre 70% en 1854 et 90% en 1851. (...)

    Il ne peut plus être soutenu, sauf à tomber dans l'ouvriérisme, que la classe ouvrière au sens étroit du terme, constitue un groupe central en expansion, doté d'une influence croissante et d'une claire vision d'une « mission historique ».

    2) Au-delà des classifications empiriques ou des définitions théori­ques, c'est par rapport à un projet historique qu'une classe ou une alliance sociale se constitue dans la pratique.

    Face à l'enjeu historique de la guerre économique mondiale et du déclin de la France et de l'Europe, une partie des élites de la classe diri­geante a lié son sort au nouvel ordre économique mondial et accélère déli­bérément les évolutions qui minent la société française. Mais d'autres for­ces peuvent réagir dans une situation où les facteurs d'éclatement du corps social semblent l'emporter sur les facultés de cohésion.

    Un compromis social dynami­que permettrait une riposte à la mesure de l'enjeu.

    L'organisation du travail, l'organisation de l'entreprise, deux points de vue, sur une même ques­tion, sont au cœur du compromis à passer entre les forces vives de la société d'où pourrait naître l'alliance des productifs.

    L'alternative se dessine claire­ment. Au plan de la société, une imbrication compétitive des divers sous-systèmes qui concourent à la productivité de l'ensemble (recher­che, formation, circuits financiers, production). Au plan de l'entreprise, une polyvalence accrue de travail­leurs plus qualifiés, formés à des familles de métiers, assurent des tâches multiples d'entretien, con­trôle, assistance.

    Il y a place pour un type d'entre­prise moderne, transparente à l'inté­rieur, ouverte sur son environne­ment, traversée par un dialogue social équilibré dans lequel les diri­geants auraient compris que les sala­riés et leur représentation syndicale doivent avoir toute leur place et les délégués syndicaux que l'entreprise est un cadre d'action collective, qui crée les richesses en même temps qu'elle les répartit.

    La double reconnaissance de la légitimité du pouvoir syndical et de la nécessité du profit d'entreprise opé­rera une petite révolution de la men­talité économique en France.

    Une modernisation de la France fondée sur un tel compromis à la fois productiviste et démocratique revêt donc des aspects culturels, économi­ques et sociaux autour d'un équilibre plus avancé de la société française.

    S'excluent d'elles-mêmes de ce rassemblement deux types de forces. D'abord celles, puissantes dans les médias, l'université, le monde des affaires, les milieux politiques passés « sous influence », qui ont un intérêt matériel ou intellectuel à ce que la France et l'Europe deviennent un Québec au carré, ou encore soit la proie d'un processus de « panamisa­tion » et acceptent une irrémédiable vassalisation. N'y a pas sa place, d'autre part, le courant xénophobe, raciste, ultra conservateur que les ligues des années 30 ont exprimé, « fascisme à la française » qui ressur­git aujourd'hui, non seulement autour de J.-M. Le Pen, mais à l'intérieur même des droites françai­ses traditionnelles.

    III. Une Europe libre et indépendante est le deuxième cercle de l'action pour un ordre plus démocratique du monde

    L'idée d'une Europe vraiment européenne commence à venir à l'ordre du jour, parce que le cours de la guerre économique atteint la subs­tance même de nos contrées et menace de transformer un rêve d'avenir en nostalgie irrémédiable. Risque alors de disparaître ce qui fait la spécificité des vieilles nations d'Europe, en particulier une échelle de valeurs dont la question est de savoir si elle mérite d'être défendue. Le goût de la liberté qui nous distin­gue bien sûr des pays de l'Est, mais aussi du Japon. Le sens de l'égalité sociale, l'exigence de solidarité qui dessinent une société différente de celle du modèle américain. Notre his­toire, l'empreinte profonde qu'y ont laissé le mouvement ouvrier et les lut­tes sociales, confèrent aux sociétés d'Europe un équilibre propre et une tension réelle vers des exigences d'égalité et de justice dont on pour­rait trouver la marque aussi bien dans les régimes de protection sociale que dans le rôle assigné à l'État ou le régime des libertés publiques.

    La France est, par sa position géographique, sa tradition politique et culturelle, son poids scientifique, économique et commercial, en posi­tion décisive pour peser dans le sens d'une Europe qui, comme disait le général De Gaulle, « en soit une ».

    Au nationalisme chauvin s'oppose le patriotisme comme l'affirmation des valeurs d'une répu­blique moderne qui fonde, sur le rejet des dominations étrangères, le vérita­ble internationalisme. En ce sens, on peut dire que le patriotisme français a la tâche de forger le consensus de la communauté de destin qui, seule, peut unir .les peuples d'Europe.

    Avec la France, l'Allemagne occupe une position stratégique et, depuis trente ans, à travers les alter­nances de régime, le couple franco-allemand a toujours joué le rôle moteur dans la marche en avant. Tout affaiblissement de ce couple pénalise l'Europe, tout resserrement des liens la renforce.

    La construction d'un centre de décision indépendant en Europe, avec une technologie, une culture, une défense propres deviendra de plus en plus le point de clivage déter­minant de la vie politique des pays du vieux continent, entre une alliance des productifs déterminés à se battre et le parti du déclin, prêcheur de rési­gnation.

    Pour peser, en effet, l'Europe doit être mue par une volonté propre qui suppose que les Européens apprennent à travailler ensembledavantage.

    Disons-le clairement : nous vou­lons aller vers une confédération européenne. Mais nous refusons les mirages d'une supranationalité qui dissoudrait la France sans faire exis­ter l'Europe autrement que comme l'alibi de décisions prises ailleurs en fonction d'intérêts qui ne sont pas européens. Dans ce sens, la coopéra­tion franco-allemande, aussi difficile que décisive, sera le môle d'une véri­table construction européenne.

    FONDER UNE NOUVELLE HÉGÉMONIE INTELLECTUELLE

    IV. La prise de conscience des impostures de la dogmatique libérale est le commencement du salut public 

    A la bourse aux valeurs idéologi­ques, ces dernières années l'« indi­vidu », le « privé », l'« entreprise » enregistrent une hausse record. Déva­lués le « collectif », le « public », le « syndicat », le « Parti », la « Nation », l'« État ». La gauche, on l'a suffisamment dit, est arrivée au pouvoir en 1981, sur un fond de défaite idéologique. Mais les cinq années qui ont suivi, ne l'ont pas vu reprendre l'initiative sur ce terrain. La culture n'a pas rattrapé la politique, la seconde s'est plutôt alignée sur la première (…).

    Un vent idéologique violent venu d'Outre-Atlantique, et complai­samment relayé dans les médias fran­çais a fait des ravages (...).

    La mouvance socialiste même, qu'elle soit politique ou syndicale, n'est pas épargnée par l'hégémonie du libéralisme. Le thème de l'auto­gestion qui avait un sens comme la maîtrise consciente de la société par elle-même — peut-être fondée sur l'utopie d'une transparence du pou­voir social — a subi une trajectoire idéologique saisissante pour se méta­morphoser en régulation des autono­mies par le marché.

    Le libéralisme étant devenu une dogmatique, au nom de quoi une poi­gnée d'intellectuels normalisés, fer de lance du parti du déclin dénonce comme totalitaires en puissance toute ambition théorique de penser la société autrement qu'en miettes et toute volonté politique d'imaginer l'avenir autrement que dans le sillage de la première puissance mondiale, la prise de conscience des impostures de cette dogmatique doit être le com­mencement du salut public pour les forces prêtes à relever le gant de la guerre économique mondiale.

    Car non seulement l'hégémonie du libéralisme se fonde sur une triple imposture, mais elle n'est la solution d'aucun de nos problèmes devant l'Histoire.

    Morale prêchée par les plus forts à l'usage des plus faibles, en réalité, la dogmatique libérale désarme moralement la France et l'Europe, est un facteur de diminution de notre vitalité nationale et sociale parce qu'elle met en danger notre aptitude à nous défendre et à prendre cons­cience de ce qui est à défendre. La conscience des vrais enjeux (guerre économique, déclin de l'Europe, éclatement de la société française et vassalisation de la France) disparaît. L'intérêt national se dissout, l'intérêt général même devient le sous-produit du marché. La solidarité sociale n'existe plus (...).

    La gauche n'en doit pas moins balayer devant sa porte. Il ne suffit pas de dévoiler les ambiguïtés du « moins d'État ». L'administration où elle trouve une part de sa base sociale fonctionne mal. L'incompé­tence et la tracasserie tâtillonne don­nent souvent une image déplorable de l'État. Avons-nous su annoncer dans les années 70, avec suffisamment de force, réaliser dans les années 80, avec suffisamment d'efficacité, la modernisation de l'État, sa débu­reaucratisation ?

    Il y a là un défi à une saine con­ception de la République. Y répondre ne conduit pas à succomber aux sirè­nes du libéralisme. Encore faut-il pour les faire déchanter, être au net sur le bilan du socialisme et sur les conditions qui peuvent permettre aux socialistes de rassembler le pays.

    V. Le moment est venu de faire le point des avatars du socialisme au XXe siècle

    Jamais dans l'Histoire de la France les forces de la gauche n'avaient exercé le pouvoir plus de quelques mois (...).

    Or, l'alternance a résisté. Les socialistes se sont installés psycholo­giquement dans la durée.

    Ils ont, ce faisant, rencontré leur propre réalité, sociologique, intellec­tuelle, politique. Rien ne sera plus dans les esprits comme avant.

    L'erreur serait de considérer le « socialisme » comme une « Idée », à la mode de Platonil y a 2 500 ans, une essence dans le ciel, une idée « fixe » intemporelle et « inoxyda­ble », à travers l'histoire. Marx disait du communisme qu'il est le mouve­ment réel de la société. Le socialisme n'existe pas indépendamment des socialistes, sauf à considérer avec le philosophe marxiste allemand Ernst Bloch que « le socialisme est aussi vieux que l'occident, et, avec l'archétype qui le soutient sans cesse, celui de l'âge d'or, encore plus vieux que lui ». De même que la France n'est rien d'autre que le peuple fran­çais, à travers les siècles, dans sa con­tinuité, le socialisme ne peut préten­dre s'identifier à rien d'autre, ici et maintenant, qu'à l'évolution du mouvement socialiste.

    Le bilan des acquis est immense. Les grandes avancées sociales du XIXe siècle et du XXe siècle qui ont allégé la peine des hommes au travail se sont faites sous l'égide du socia­lisme. Il a été l'instrument par lequel les travailleurs ont quitté une situa­tion de misère et de servitude si bien évoquée par Zola ou Hugo pour devenir des salariés qui comptent parmi les mieux protégés et les plus instruits du monde. Il a permis que des millions d'hommes et de femmes voient aujourd'hui leur dignité reconnue et leur niveau de vie porté à un niveau élevé, même si de nom­breuses inégalités demeurent ou apparaissent.

    Le mouvement socialiste est donc depuis toujours, le levain de l'amélioration de la condition ouvrière et, plus largement, du monde du travail.

    Zone de texte: 7Si la démarche pratique a fait ses preuves, l'utopie rédemptrice, à l'œuvre dans le socialisme de la libre association des égaux, a subi l'éro­sion de l'Histoire. Face aux décep­tions du réel, on peut toujours dire que le socialisme « ce serait autre chose »... Mais la force d'entraîne­ment de ce postulat s'amoindrit à mesure que naissent et meurent les générations. L'espérance d'octobre 1917 se levant au milieu des carnages de la « grande guerre » fut gran­diose. Elle s'est aujourd'hui perdue dans les pesanteurs de la bureaucra­tie, la dureté de la répression.

    En 1986, il n'est plus possible —notre crédibilité se joue ici — de dire que le socialisme n'est que la longue histoire de successives trahisonsou plus prosaïquement de répéter que, « ce sera mieux demain », car pour la première fois dans l'Histoire, nous sommes apparus avoir le temps à nos côtés.

    Car, remarquons-le, la gauche fran­çaise n'a obtenu le pouvoir, même fugacement, que sur des thèmes de rassemblement. Les querelles qui avaient occupé et divisé les socialistes perdaient leur sens lorsque la gauche sut poser les vraies questions au bon moment, lorsque la gauche sut ras­sembler : contre le fascisme et pour « le pain, la paix et la liberté » en 1936, contre le retour des forces sociales discréditées et pour une France nouvelle à la Libération, pour la croissance et pour l'emploi en 1981.

    La période commencée le 16 mars 1986 ne prendra donc figure de parenthèse qu'à une double condi­tion : que les socialistes soient capa­bles de proposer le projet clair et mobilisateur d'un rassemblement majoritaire mieux qu'ils n'ont su le faire ; qu'ils surmontent leur crise d'identité avivée par l'exercice du pouvoir ; autrement dit qu'ils réus­sissent, pour leur propre compte, la réforme intellectuelle et morale qu'ils entendent proposer au pays. De là naît le projet d'uneRépublique Moderne.

    VI. Indépendance/croissance/démocratie, c'est le projet d'une Républiquemoderne, le seul qui puisse rassembler une vaste alliance pour le progrès

    Le tryptique : « croissance/indépendance/démocratie » détermine des clivages dont l'inter­section, en excluant à la fois le cou­rant mondialiste et le courant xéno­phobe,trace les contours de ce que pourrait être une vaste alliance pour le progrès à vocation majoritaire.

    Le programme minimum d'une réponse progressiste aux défis de la crise ne manque pas d'être, pourtant — qui pourrait en douter à son seul énoncé ? — d'une ambition extrême. C'est le programme d'une Républi­que Moderne.

    Les valeurs de la République en effet, la liberté, l'égalité, la frater­nité, sont modernes en ce qu'elles res­tent à conquérir ; plus que jamais à l'ordre du jour parce que menacées par le déferlement du mondialisme.

    La République s'identifie à la Nation, solide rempart contre tout alignement sur les grandes puissances quelles qu'elles soient. L'indépen­dance restera encore longtemps la possibilité d'un espace de liberté.

    Dans l'ordre économique, l'idée républicaine, sans nier les sujets par­ticuliers — le consommateur, l'entre­prise, la corporation — remet chacun à sa place en fonction de l'expression d'une volonté générale. Il n'est pas de meilleur fondement aux idées de planification et de politique indus­trielle pour que s'y adosse la crois­sance.

    Dans l'ordre social, la Républi­que appelle la défense du service public, partout où il est utile au peu­ple ; elle n'interdit nullement sa remise en cause dans ses abus, mais elle impose un devoir de solidarité, ce nom moderne de la fraternité parce qu'elle refuse l'exclusion sociale, revendique la justice sociale.

    La démocratie qui s'étiole dans le repli sur les égoïsmes individuels et les corporatismes de groupe, s'épa­nouit au contraire dans la participa­tion active des citoyens aux affaires qui les concernent. Voilà pourquoi la planification, selon cette conception, se qualifie de démocratique. C'est le sens moderne de la « Res publica ».

    Ainsi la République est-elle aujourd'hui une idée positive, une idée de reconquête, une idée d'avant-garde. Loin de traduire une conces­sion, une posture défensive dans la bataille des idées, une sorte de ligne de repli devant le reflux du pouvoir d'entraînement du « socialisme ici et maintenant », la République moderne est le seul terme capable de dresser une alternative face au libéra­lisme dominant — antinational, anti­démocratique, socialement régressif — et de mettre la France, et l'Europe avec elle, sur la bonne voie.

    Cette nouvelle synthèse de la République et du socialisme actua­lise, dans le contexte des années 80, l'intuition de Jaurès, lequel avait bien compris que l'éternel débat des « réformistes » et des « révolution­naires » n'est pas l'un des moindres responsables de l'inactualité du socialisme.

    CONSTRUIRE L'AVENIR DE LA DÉMOCRATIE

    VII. Le parti socialiste doit devenir le grand parti républicain de notre temps

    La voie est tracée clairement devant les socialistes : agir afin de donner vie à une alliance majoritaire pour le progrès de toutes les forces décidées à se battre contre le déclin.

    L'union de la gauche « modèle 72 » (« pour ouvrir la voie du socia­lisme » avec le programme commun de gouvernement) révisée 81 (« pour le redressement national ») est défunte.

    Le rétrécissement du PCF n'est d'ailleurs pas, en soi, une bonne chose pour le Parti socialiste car nombre de militants ou d'électeurs communistes, en rupture de ban, ne s'y retrouvent pas et sont perdus pour la gauche. Mais le fait est là et il faut en tenir compte.

    Bien entendu, le PS conserve sa vocation au rassemblement des for­ces populaires. Quels que soient les scénarios de l'évolution des commu­nistes, c'est à partir de ce constat qu'ils se retrouveront nécessairement un jour ou l'autre face à leurs respon­sabilités.

    Rien ne serait plus néfaste aujourd'hui pour le PS que de se réfugier dans le confort d'une culture d'opposition et de se rétracter sur un discours purement revendicatif.

    Nous parviendrons à rassembler au nom d'une République Moderne, contre le déclin. Les socialistes doi­vent approfondir une véritable « cul­ture de gouvernement », c'est-à-dire affirmer la supériorité de l'intérêt général sur les intérêts particuliers. .

    L'intérêt général prend corps dans un projet et le parti socialiste doit par priorité être un projet capa­ble de fédérer les énergies. Rien ne sert de proclamer rituellement la nécessité d'un « parti de masse » si le carburant intellectuel du moteur fait défaut. Sauf à se perdre, le PS ne saurait devenir un simple parti de gestion : c'est ce que veut dire le refus d'un « Bad Godesberg à la française ». Pas plus ne saurait-il se transformer en une plate-forme de lancement pour prétendants à la pré­sidence de la République, configura­tion molle imprimée par la « média­cratie ».

    Répétons-le, l'avenir du PS passe par une volonté de mouvement animée par une culture de gouverne­ment.

    La question des institutions doit être abordée avec le même souci.

    Il n'y a de démocratie que si le citoyen peut peser directement sur ses choix. L'évolution vers un régime véritablement présidentiel comporte­rait l'avantage, tout en consacrant le rôle directeur de l'élection du Prési­dent de la République au suffrage universel direct, de permettre, mieux qu'aujourd'hui, au Parlement d'exercer ses prérogatives essentiel­les : élaborer la loi, contrôler le gou­vernement. Cette évolution pourrait commencer par la réduction à cinq ans du mandat présidentiel, rythme normal des choix offerts au citoyen dans une démocratie moderne. Elle pourrait s'accompagner de la désué­tude du droit de dissolution et serait définitivement consacrée dans les tex­tes par l'abandon de la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée Nationale. Rappelons qu'un vérita­ble régime présidentiel est en effet tout le contraire du présidentialisme.

    VIII. La responsabilité des syndicats sera cruciale pour la construction d'une alliance pour le progrès

    Jamais l'espace d'action ouvert aux syndicats français n'a été aussi grand qu'entre 1981 et 1986. Pourtant la crise du syndicalisme, antérieure à 1981, n'a pas été enrayée depuis.

    La crise du syndicalisme est un des éléments du déclin de la France. Une société de progrès a besoin de syndicats puissants et responsables. Ni la croissance, ni l'indépendance, ni avant toute autre considération la démocratie, ne peuvent se construire et se renforcer en France et en Europe sur l'abaissement des syndicats, la désagrégation des solidarités entre les travailleurs.

    Une République moderne implique l'affirmation de la responsabilité sociale et culturelle des syndicats dans l'entreprise et dans la nation. Car si l'entreprise reste le cœur de la contradiction sociale, elle est en même temps le lieu de la création des richesses et, comme telle, elle doit se renforcer dans son caractère propre.

    Les syndicats doivent savoir jouer simultanément leur rôle traditionnel de contre-pouvoir, de défense des intérêts des salariés, y compris de manière conflictuelle, tout en développant une fonction nouvelle de coresponsabilité et d'influence sur les choix stratégiques tant des entreprises que des grands secteurs économiques où ils se meuvent.Un tel renouvellement de la conception du travail des syndicats apparaît aujourd'hui comme la condition nécessaire pour la remontée de leur influence.

    La légitimité du « pouvoir syndical » doit donc être reconnue, dans l'intérêt public, dans l'intérêt des entreprises. La répartition des gains de productivité(comptes de surplus), la mise en place des plans de formation professionnelle,l'introduction négociée des nouvelles technologies: voilà trois espaces majeurs pour le dialogue social et le déploiement d'une conception renouvelée et dynamisante des relations du travail.

    Dans un pays tel que le nôtre, l'action syndicale demande un débouché politique. On a pu expérimenter les inconvénients de subordonner la première au second, au cours de la période dite « du programme commun » (1972-1977). Mais les secteurs les plus vivants du syndicalisme ont besoin d'une perspective politique. Celle que leur propose le projet d'une République moderne fondée sur 'une alliance pour le progrès est sans doute la seule aujourd'hui qui permette d'empêcher la transformation de la crise du syndicalisme en débâcle historique.

    IX. L'avenir de la démocratie ne se conçoit qu'à l'échelle du monde

    « Le développement (écrivait le pape Paul VI dans l'encyclique Populorum progressio) est le nouveau nom de la paix ». Et aussi celui de la démocratie.

    L'avenir se joue dans le Sud, avec ses démographies galopantes, ses peuples d'enfants et d'adolescents, l'héritage, en Asie, au Proche Orient, en Amérique Latine, de civilisations brillantes, sa misère.

    L'émergence d'un troisième pôle européen est la seule voie qui permette d'aller vers un desserrement de la logique des blocs. Enjeux des rivalités des grandes puissances, les États du Sud, qui voudraient jouer le jeu du non-alignement ne trouvent pas où s'appuyer. De quel poids pèserait pour l'émancipation du Sud une diplomatie européenne indépendante !

    Les efforts pour le désarmement et la sécurité collective ne valent pas seulement pour écarter du monde la menace de la guerre, mais aussi pour permettre de consacrer au Sud des ressources aujourd'hui stérilisées dans la dépense militaire, ce mal nécessaire dans un monde de violence et de menace.

    Le « marché » ne porte pas en lui la solution de ces problèmes. L'inspiration mise un moment en avant par la France du codéveloppement trouve là son fondement, puisqu'il s'agit en principe d'une sorte de coplanification d'un développement concerté. Les périodes de .stabilisation des marchés ont toujours joué un rôle bénéfique, mais leur organisation s'effondre aujourd'hui à tour de rôle, l'étain et le cacao étant les derniers exemples en date.

    Le codéveloppement pour s'édifier sur une base multinationale (voir les difficultés de la réforme de la Banque mondiale) a besoin d'un rapport de forces et de points d'appui qui ne peuvent se consolider que sur une base bilatérale. C'est donc avec des pays comme l'Algérie, le Mexique, l'Inde, le Brésil qu'une diplomatie économique pourrait aller vers des accords à long terme significatifs.

    La stratégie du dialogue des cultures s'inscrit aussi dans l'idée d'un rééquilibrage et d'une démocratisation de l’ordre du monde.

    Culture, économie, même combat ! s'exclamait Jack Lang. L'écho de la politique culturelle du gouvernement français entre 1981 et 1986 a aussi pour cause son ouverture à toutes les cultures du monde, du Tchèque Kundera au Colombien Garcia Marques, au Japonais Kurosawa, etc. A travers l'exigence culturelle consacrée, c'est la dignité de tous les peuples qui est exaltée.

    L'alliance pour le progrès, qui peut naître en France, aurait des répercussions internationales, non pas à l'image de celle que J. Kennedy. proposait à l'Amérique du Sud, perdue dans le désert des bonnes intentions, mais comme la base d'une alliance de nations pour un nouvel ordre plus équilibré et démocratique du monde.

    5) Entretien de J.P. Chevènement au « Matin», repris (sans date) par Volonté Socialiste, 56 (25 avril 1986)

    Socialisme et République.

    On lira ci-dessous un entretien accordé par J.P. Chevènement au « Matin ».

    LE MATIN — Entre les positions qui étaient celles du CERES et les thè­ses de Socialisme et République, y a-t-il rupture ou continuité ?

    JEAN-PIERRE CHEVENEMENT —Le CERES a été créé en 1966, il y a vingt ans. Tout mouvement politique doit savoir évoluer. Pour cela, il doit s'inter­roger en permanence sur ce que sont ses objectifs et ses moyens. Quand le CERES a été créé en 1966, il anticipait sur les transformations très profondes de la société qui ont eu lieu ensuite, en mai 68 ou en 1981. Les moyens que nous préconisions étaient l'union de la gauche et la naissance d'un grand parti socialiste. Nous l'avons réalisé par la création du parti d'Epinay, le Pro­gramme Commun de gouvernement, la victoire de François Mitterrand en 1981, et les transformations de structures les plus profondes que la France ait con­nues depuis la Libération.

    Mais nous sommes aujourd'hui dans une période entièrement nouvelle. Nous sommes au coeur de ce qu'on appelle « la crise ». C'est en fait une guerre économique entre les Etats-Unis, le Japon et l'Europe. Sur le plan inté­rieur, le paysage a changé : l'union de la gauche, modèle 1972, est définitive­ment derrière nous. Quel est donc l'objectif aujourd'hui ? L'avenir de la démocratie en France et en Europe à l'horizon de l'an 2000. Saurons-nous résister aux tendances à l'éclatement de notre société ? A la vassalisation de notre pays au sein d'un vaste empire ? Dans ce contexte, la gauche, en France et en Europe, ne doit pas subir mais conduire la guerre économique. Mais en fonction de ses valeurs : amour de la démocratie, justice sociale, volonté de défendre l'indépendance nationale. Plus profondément, sur un plan philosophi­que, nous gardons une approche ratio­naliste de la société. Nous avons foi en la raison humaine, foi en l'homme créa­teur de lui-même. Notre objectif est de construire une société démocratique solidaire dans une Europe et dans une France indépendantes. Ces objectifs ne sont pas différents de ceux que le CERES se donnait dans les années soixante. C'est la période qui a changé. Il faut savoir changer pour rester fidèle à soi-même. Quand une armée se trouve dans une plaine marécageuse, il faut savoir lui faire gagner le sommet de la colline pour lui permettre de remporter de nouvelles batailles.

    Ne craignez-vous pas que votre volonté d'enraciner les valeurs du socialisme dans celles de la Républi­que ne soit un peu difficile à com­prendre pour les Français, les jeunes en particulier ?

    Dans une société livrée aux indivi­dualismes et au corporatisme, l'idée de République est une idée très moderne. Les jeunes eux-mêmes commencent à se fatiguer de n'entendre parler que de réussite individuelle et de projets étri­qués. Il ont besoin d'inscrire leur réus­site personnelle dans la réussite collec­tive. Il y a des intérêts qui réussissent, des causes communes au-delà des divergences. On a connu une situation analogue dans les années trente contre l'esprit de soumission. Il a fallu que le pays réagisse : ce fut la Résistance. La République est une idée qui peut nous permettre de rassembler. Qu'est-ce d'ailleurs que le socialisme sinon la devise républicaine : « Liberté, égalité, fraternité » réalisée ?

    Il est vrai que beaucoup de gens peuvent se reconnaître dans cette « famille républicaine ». Est-ce à dire que vous vous adressez à tou­tes les familles politiques sans exclusive ?

    Au départ, nous n'excluons per­sonne. Mais il y a des gens qui s'excluent d'eux-mêmes : ceux qui acceptent l'éclatement de la société, ceux qui acceptent l'existence d'une société duale, ceux qui précisément ne sont pas prêts à donner son sens au mot République. Le rassemblement auquel nous aspirons doit se faire à par­tir de la gauche, d'un Parti socialiste populaire, enraciné dans les entreprises, à partir du monde du travail. Nous n'excluons personne a priori, mais vingt ans d'expérience nous apprennent qu'il y a des réalités de classe « incontourna­bles ».

    Précisément, vous faisiez allusion à l'approfondissement de ce qu'on appelle « la crise » dans la dernière période. N'avez-vous pas le senti­ment que cet approfondissement ait radicalisé les différences plutôt qu'il n'a effacé les clivages ?

    Au contraire. Je crois que depuis 1981 on a mieux mesuré l'importance de la notion -de « travailler ensemble ». Les liens affirmés entre recherche et indus­trie, entre école et entreprise, par exem­ple l'importance du dialogue social au sein de l'entreprise, sont des éléments décisifs dans la modernisation de la société. La planification moderne reste à inventer pour orienter l'évolution de la société. C'est une notion fondamentale­ment républicaine. Pierre Mendès France en parlait déjà il y a vingt ans. Les socialistes n'ont pas été capables à ce jour de relever le plan. Il faudra inventer une planification moderne, ouverte sur le marché mondial. C'est l'une des tâches d'une République moderne. Comme vous le voyez, les socialistes ne sont pas forcément en avance par rapport à la République...

    N'y a-t-il pas dans ce rassemble­ment que vous préconisez autour de la notion de République le risque d'une de ces illusions que le CERES a dénoncées dans le passé ?

    Nous sommes suffisamment ins­truits par l'expérience pour savoir dis­cerner les fausses solidarités des solida­rités justes. Nous savons que la moder­nisation ne sera possible que dans la justice sociale, et par l'approfondisse­ment du dialogue social. Mais ce n'est pas parce que la référence à l'intérêt général a pu être détournée de son sens que l'intérêt général n'existe pas. Nous proposons au mouvement socialiste d'en prendre la tête. Il a acquis suffi­samment de maturité pour se fixer un objectif aussi ambitieux. Ou on pense que le Parti socialiste est à la hauteur d'une telle ambition dans la période qui vient, et on prend des risques, ou on reste minoritaire en refusant de prendre des risques.

    En résumé, il s'agit de fonder soli­dement la culture de gouvernement des socialistes, à la fois sur le plan théori­que, par la référence à la République, et sur le plan politique, par rapport aux grands enjeux du XX. siècle. Il s'agit de dépasser définitivement les tropismes minoritaires. Le Parti socialiste doit être capable de rassembler une majorité de la France pour la conduire sur le chemin du progrès.

    Les espoirs que vous semblez placer dans l'édification européenne pour la promotion du socialisme vont surprendre. Compte tenu de ce qu'est actuellement l'ensemble européen, n'est-ce pas une illusion ?

    Nullement ! Nous affirmons que l'Europe est la dimension dans laquelle nous devons construire notre indépen­dance. Mais celle-ci ne peut revêtir que la forme d'une confédération de nations libres. La priorité est de forger dans cha­que pays une conscience de l'identité européenne et une volonté d'indépen­dance par rapport aux empires. L'exis­tence d'une France forte et indépen­dante est un levier essentiel pour la réussite de cette entreprise. Nous ne tombons donc pas dans les illusions de la supranationalité qui, dans l'état actuel des esprits, serait un frein pour l'affirmation de l'Europe. Avançons résolument, mais an mettant un pied devant l'autre : ne séparons pas l'indé­pendance nationale de l'indépendance européenne. Ne donnons pas congé au patriotisme français avant qu'il existe un patriotisme européen qui ne saurait d'ailleurs être que son prolongement.

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