• Le rapport introductif du 14e colloque du CERES… Annexe 2

    Les premières sessions du quatorzième colloque
    dans Volonté socialiste (printemps 1985)


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    Autres annexes:
    1) Le compte-rendu
    de la dernière phase du quatorzième colloque,

    3) Le dossier Notre République
    publié par En jeuen avril 1985
    4) L’interview de Jean-Pierre Chevènement
    dans le numéro de septembre 1983 d’En jeu.

     

    I– Numéro 44 (7 mai 1985)Annexe 2
     

    1) L’éditorial de Didier Motchane

    La période qui s'achève sous nos yeux aura été marquée par la victoire remportée par la ligne d'Epinay sur la droite mais aussi sur le sectarisme d'une direction communiste qui n'avait pas supporté de voir la maîtrise de l'union de la gauche lui échapper.

    Du point de vue de l'avenir, l'exercice du pouvoir par les socialistes depuis 1981 n'aura pas manqué de résultats positifs. L'alternance, c'est-à-dire concrètement la capacité de la gauche à prendre en charge les affaires de la France est entrée dans les faits, et, quels que soient les brouillards - et les brouillages - médiatiques, dans les têtes. Les grands chantiers ouverts dans le champ de la recherche, de la formation professionnelle, de l'école ont fait sauter des blocages anciens et commencé à dispo­ser les mentalités à assurer l'avenir. Une bataille d'arrêt contre le déclin Industriel a été engagée, et la construction d'un secteur public élargi a jeté les bases d'une renaissance. La décentralisation et les lois Auroux en créant de nouveaux centres de responsabilité favorisent le développement de l'initiative.

    En même temps, il est vrai, d'autres éléments ont assombri l'action de la gau­che. Une faiblesse de volonté dans la maîtrise des échanges extérieurs de la France a fait accepter un effort de croissance tout à fait insuffisant pour garantir notre indé­pendance et développer la justice sociale. Des choix de classe trop fragiles ont con­duit de trop nombreux socialistes à mesurer le sens et les résultats de leur action aux raisonnements et aux critères des libéraux. Le redressement de la balance commer­ciale et la réduction de l'inflation ont été obtenus par des rééquilibrages vers le bas, et le poids de la dépendance extérieure, culturelle autant qu'économique, n'a guère été allégé. Les choix de politique économique opérés de 1981 à 1983 ont progressive­ment démobilisé une part croissante de la gauche, et, le Parti Communiste étant ce qu'il est, abouti irrésistiblement à la rupture de l'union.

    En bref, la période que nous venons de vivre aura marqué à la fois l'aboutisse­ment de la ligne d'Epinay et l'épuisement de sa force propulsive. Faute d'avoir fait passer dans les têtes, et pour ce faire d'abord dans les leurs, les analyses et les valeurs du projet socialiste, les socialistes, réduits à leurs seules forces, doivent faire face à une puissante contre-offensive réactionnaire» Au fond, le choix de la propor­tionnelle, et l'installation d'un régime présidentiel de fait, est assez largement une conséquence de ce qui vient d'être résumé et de la rupture de l'union de la gauche. Mais dans la période que nous vivons, l'avenir de la gauche dépendra largement de celui du Parti Socialiste.

    D'aucuns considérant que le Parti d'Epinay a vécu, qu'il doit accomplir son « Bad Godesberg » c'est-à-dire renoncer à l'analyse et à la perspective socialiste, pactiser avec les forces du déclin, s'abimer dans un social libéralisme mondialiste et s'apprê­ter à ressusciter des alliances type « troisième force ».

    Ce n'est ni notre appréciation ni notre choix.

    Nous considérons que le Parti est d'autant moins perdu que la partie ne fait que commencer.

    Le Parti Socialiste doit, dans la période qui s'ouvre, constituer le môle de ras­semblement contre toutes les forces du déclin. Ce rassemblement ne se fera pas, dans un premier temps, au nom d'un socialisme dont l'image s'est aujourd'hui brouil­lée aux yeux des masses à l'ouest comme à l'est. Personne ne peut aujourd'hui mobi­liser les travailleurs au nom du socialisme et personne ne le pourra avant que l'his­toire ne redonne « un sens plus pur au mot de la tribu ». Voilà pourquoi c'est à la République que nous demandons les thèmes et le langage de masse capable de ras­sembler. Mais qu'on ne s'y trompe pas il ne s'agit en rien d'appeler à un vague ras­semblement sans âme et sans principe. Le contenu de la République est aujourd'hui la question décisive, tout comme l'était au congrès d'Epinay « le contenu de l'unité ».

    La République moderne, notre République s'identifie à trois exigences fonda­mentales : Démocratie sociale, Croissance, Indépendance.

    2) L’intervention de Gilles Galade à la « première session » (30-31 mars ?)

    L’ALTERNATIVE

    On lira ci-dessous l’intervention de notre camarade Gilles GALADE Tire de la première partie du 14ecolloque du CERES.

    .… Je ne sais pas si ce colloque va être historique, en tout cas, il sonne triste. (...) On croirait des gens qui voient que le jugement dernier va arriver et qui se demandent s'il y aura une résurrection. Je me suis dis qu'il fallait quand même essayer de parler un  peu de résurrection, c’est-à-dire de notre avenir et de savoir s'il y a pour nous un avenir. Et lequel.

    Sur le constat, tout le monde est d'accord sur le fait que la gauche a emporté en 1981 une victoire à la Pyrrhus. Mais la question qui se pose  au-delà de ce constat c'est de savoir si la morale de cette triste histoire c'est qu'il n'y a pas d’alternative plus mobilisatrice que, soit un retour en masse de la droite, soit la fuite en avant dans les alliances centristes et dans la politique de troisième force. Si c’est  ça l'alternative, la seule, pour le pays - et donc pour nous. S'il n'y a pas d'autre alternative à construire. Un camarade a dit tout à l'heure que la société duale a progressé depuis 4 ans...

    Ce qu'on appelle la société duale, c'est une alliance de classe pour revenir à notre langage accoutumé. C'est l'alliance de classe qui caractérise la situation des pays colonisés. C'est l'alliance entre une bourgeoisie qui est vendue à l'étranger et les groupes sociaux qu'elle a rassemblés autour d'elle et puis tout le reste qui est désintégré, qui est dominé, qui n'a aucune perspective d'avenir. L'enjeu de la société duale, cela reste, aujourd'hui comme hier, l'alliance entre la bourgeoisie multinationale et ce que nous avons appelé des fractions de la nouvelle petite bourgeoisie intégrée dans un système mondialiste, et puis le reste éclaté, désintégré, (...). Voilà quelle est la réalité pour la France actuellement et dans les années qui viennent. J'essaierai d'ordonner mon propos autour de 2 idées.

    La première idée c'est que, par rapport à l'enjeu principal qui est l'extension du mondialisme et de l'hégémonie de son idéologie d'accompagnement (le dogmatisme libéral ou le libéralisme mondialiste) il est nécessaire de fixer une ligne de conduite, un discours, des alliances, un programme - et j'essaierai de montrer que le mot d'ordre de République moderne, c'est le point d'appui - et on peut, bien sûr, discuter de ce qui le sous-tend. Mais c'est le point d'appui face à l'expansion du mondialisme et du dogmatisme libéral. La deuxième idée, c'est qu'adopter ce mot d'ordre de République moderne, cela ne signifie pas pour nous le fait de cesser d'être socialiste, mais le fait qu'on n'a pas cessé de l'être.

    En fait, mes chers camarades, il faut savoir tourner la page pour ne pas rester coincé entre les feuillets, et surtout pour pouvoir écrire d'autres pages. Mais cela, beaucoup de gens en France le pensent. Il est vraisemblable que le Président de la République le pense. Mais le problème c'est que ces autres pages que nous devons écrire, si nous en avons encore le temps, il faut qu'elles soient dans la continuité de notre propre histoire. L'enjeu de ce colloque, l'enjeu des mois qui viennent, c'est bien cela : nous devons tourner la page pour ne pas rester coincés entre les feuillets - certains resteraient coincés, je le sens avec tristesse - mais aussi d'écrire d'autres pages dans la continuité de notre histoire passée, en s'adaptant à des conditions nouvelles. Et quand je dis cela, je ne pense pas seulement au courant, mais à la gauche toute entière...

     Le mondialisme a le vent en poupe. On pourrait dire, d'une certaine façon, que c'est un autre nom pour l'impérialisme. Mais c'est un monde qui s'uniformise sous une seule hégémonie, sous un pouvoir que nous connaissons. L'idéologie mondialiste est ce qui fait que l'on acquiesce à ce processus, que l'on dise que c'est une bonne chose... Par rapport à cela, le mot d'ordre de socialisme autogestionnaire lui-même porte le poids du discrédit et de l'imposture - l'imposture, c'est de dire une chose quand on en fait une autre - qui a consisté à gouverner au nom du socialisme pour ne pas remettre en cause la logique du mondialisme et de la colonisation progressive de la société française, économique, sociale, intellectuelle.

    Est-ce que le mot d'ordre du socialisme est aujourd'hui face à la marée du mondialisme un point d'appui qui nous permet de résister et de repartir à l'offensive ? Personnellement je pense que le passage de la gauche au pouvoir - quelle que soit d'ailleurs l'issue des élections de 1986 - comporte, au moins pour les 15-20 années qui viennent un coup très dur à l'impact symbolique, à la possibilité d'hégémoniser une société au nom du socialisme. Le mot d'ordre de République moderne, qu'est-ce qu'il signifie ? Je ne dirai pas en soi, parce que les mots ne veulent rien dire en soi. Evidemment, les mots ont un passé -et du passé, ils tiennent une certaine charge -, mais ce qui compte, c'est la charge que nous leur donnons aujourd'hui. Qui se souvient encore que le Front National, c'était le nom d'un rassemblement érigé par le Parti Communiste à la libération ? Le mot d'ordre de République moderne par rapport à la marée du mondialisme, qu'est-ce qu'il signifie ? D'abord, l'intransigeance sur l'indépendance nationale - indépendance économique, indépendance culturelle - et sur sa capacité politique de constituer un espace de choix collectif autonome. S'il n'est pas possible de faire respecter cette indépendance dans le seul cadre d'une nation, il faut construire le cadre d'une alliance de nations. C'est le problème de l'Europe. Indépendance d'abord. Ensuite, la question de l'affirmation d'une volonté politique autonome. C'est la question de l'Etat. Quand je dis la question de l'Etat, je ne veux pas dire la question de l'administration de l'Etat - on a trop vite fait de passer muscade en confondant l'administration - c'est-à-dire l'Etat dans son apparence - et puis la notion d'Etat comme foyer d'une volonté politique. Dieu sait qu'il faut rénover, l'administration, la démocratiser - c'est quelque chose de terrible les pesanteurs administratives ; ce n'est pas le Leviathan, c'est une espèce d'escargot géant - mais, dans cette administration, il y a aussi des forces qu'on peut utiliser pour le renouveau. Il ne faut pas caricaturer. Pourtant, quand on parle de l'Etat, le problème, ce n'est pas le sort de l'administration ; c'est la capacité d'une volonté politique autonome à se focaliser autour d'un appareil d'Etat. Ceux qui attaquent l'Etat au nom de la lutte contre la bureaucratie, mais en fait parce que cette attaque contre l'Etat fait le jeu du mondialisme, parce que l'Etat, ce n'est plus seulement la bureaucratie, c'est une structure d'appartenance, de solidarité collective qui s'oppose à la marée du mondialisme - ceux-là savent très bien ce qu'ils font. Leur adversaire, ce n'est pas la bureaucratie, c'est une capacité autonome de choix collectif dans un monde dominé par la tendance du développement mondialiste.

    Donc d'abord, l'intransigeance sur l'indépendance. Ensuite, la position du problème de l'Etat comme pôle de volonté autonome Et troisièmement, ce que j'appelle rai le problème des solidarités.

    Le dogmatisme libéral met l'individu au pinacle. Ce n'est pas l'individu comme tel qu'il met au pinacle, évidemment, mais. la destruction de toutes les structures.de solidarité collective : les syndicats, les partis, l'Etat, la nation… Or il y a des solidarités sociales, entre groupes sociaux, entre classes d'âge, entre groupes ethniques… que seule la gauche peut aujourd'hui porter et que la mondia isation détruit sans retour. Tout cela est concret. Le débat sur l'école, le débat sur l'audiovisuel, le débat sur la sécurité sociale, mettent aux prises ces deux conceptions.

    Donc on ne peut pas parler du mot d'ordre de République moderne dans l'abstrait... Le problème est de définir une perspective stratégique avec la symbolique, les mots d'ordre, le discours et si nous devons donner ce sens à notre engagement, il faut voir pourquoi le mot d'ordre de République moderne est en phase avec la situation que nous allons vivre dans les toutes prochaines années.

    J'en viens ainsi à la deuxième idée sur laquelle je voudrais faire quelques considérations, de savoir que si on adopte ce mot d'ordre, de République moderne, ce n'est pas parrce qu'on a cessé d'être socialiste, mais parce que, précisément, en n'a pas cessé de l'être. Vous remarquerez que le débat sur l'autre politique n'a pas été un débat gauche/droite. C'est que l'autre politique, ce n'était pas une politique socialiste. J'ai eu l'occasion de le dire au colloque que nous avons eu à Paris : l'autre politique, était un moyen, en ouvrant un espace d'activité accru, de lutter contre le chômage qui démobilise les travailleurs, qui désagrège les structures dans lesquelles ils peuvent se reconnaître. En ce sens, l’autre politique, c'était notre intérêt. Naturellement, nous n'étions pas les seuls à penser cela. Il y avait des gens de droite qui pensaient cela, bien entendu... Il suffit de lire certains articles, d'écouter certains discours... je ne parle pas des politiciens de droite, mais de gens qui, en tant que journalistes intellectuels, économistes... se situentnt dans la mouvance traditionnelle de la droite. Et puis il y avait des gens de gauche, qui étaient évidemment contre l'autre politique - et vous remarquerez que toute leur argumentation était puisée dans le à malices du dogmatisme libéral.

    Il faut réfléchir à cela. Parce que quand on dit : le socialisme ce n’est pas à l'ordre du jour, cela fait sursauter. La lutte pour le socialisme sera toujours à l'ordre du jour. Si on avait décidé dès le départ que était une République moderne qu’on voulait faire - en 1981 - cela aurait peut-être évité un certain nombre d'ambiguïtés et de déconvenues.

    Quel rassemblement peut-on voir sous le mot d'ordre de République moderne ? Quel est le rassemblement social qui nous permette de défendre l'indépendance, de préserver la capacité de dégager une volonté politique autonome, appuyée sur un Etat, et de lutter contre la désagrégation des solidarités sociales et de créer de nouvelles solidarités ? Quel est ce rassemblement? Est-ce qu'il existé aujourd'hui ? Non. Si on y réfléchit, il me semble qu'il ne faut pas y réfléchir en termes uniquement logiques, mais aussi en termes culturels et intuitivement, je dirai qu’un rassemblement c'est ce qui exclut et ce qui regroupe. Et qu'est-ce qu'il faut exclure dans la France des 20 années qui viennent. Deux types de forces - au sens large : d’abord les forces qui acceptent l’abandon au mondialisme, celles qui acceptent que nous devenions une colonie, une sorte de Québec...

    Ce sont des forces puissantes dans l'Université, dans les media, dans le monde politique, évidemment, dans le monde des chefs d'entreprises, le patronat, les fractions qui ont un intérêt de classe à ce que nous soyons complètement vassalisés. Et puis il y a d'autres for,: ces qui n'ont pas place dans ce rassemblement. Ce sont toutes celles que produit la décomposition du tissu social, le regain de ce vieux courant xénophobe, raciste, ultra-conservateur que les ligues dans les années 30 ont exprimé, fascisme à la française en fait, et que Le Pen aujourd'hui symbolise - et que d'autres que Le Pen symboliseraient si Le Pen n'existait pas. Parce que ce n'est pas un effet personnel, mais un effet de structure. Ça c'est l'archaïsme au sens vrai du terme. Non pas l'ancien par rapport at nouveau. Mais ce qui est dessous, ce qui est au fondement, une sorte de sauvagerie qui naît de la désagrégation du bien social. Archaïsme qui existera toujours et contre lequel on construit une civilisation.

    Le mouvement ouvrier, dans ce rassemblement, je ne dirai pas seulement qu'il y a sa place, je dirai que c'est sa seule chance de survie historique. Comme la définition d'une perspective stratégique est aujourd'hui la seule chance de survie historique de la France.

    La place du mouvement ouvrier est centrale dans ce rassemblement. 1...1.

     


     

    II– Numéro 44 (7 mai 1985)

    On lira ci-dessous 5 textes avec lesquels nous commençons à rendre compte de Annexe 2
    la 2• partie du 14. colloque du CERES (22 et 23 juin). 3 d'entre eux résument les débats qui se sont déroulés en commission le 22 juin.

    1) intervention de Michel Charzat

    Les fonctions de notre colloque sont triples :

    - vérifier le consensus entre nous

    - approfondir et actualiser notre analyse politique

    - déduire une tactique au service de cette ligne.

    Nous trouvant au cœur de la discussion, nous sommes conduits à resserrer le débat sur l'essentiel.

    Nous devons être clairs avant 1986, afin de surmonter la situation du printemps 86.

    A cet effet, trois nécessités complémentaires s'imposent à nous :

    - anticiper collectivement

    - préserver notre cohésion

    - clarifier.

    I - Anticiper :la force du CERES réside dans sa capacité d'anticipation, de synthèse, de proposition d'une logique au service d'un projet.

    Les trois grandes séquences de notre trajectoire commune attestent de notre capacité à déterminer l'essentiel et à proposer concepts et analyses opératoires :

    1965-1974: Unité et Rénovation, Programme Commun de Gouvernement et Autogestion.

    1975-1985 : Contenu de l'union : les communistes, les socialistes et les autres, gauche « américaine » et restructuration idéologique de la droite, projet socialiste et enfin autonomie du P.S. (Bourg).

    1985... : Comment laisser ouverte la question du socialisme et desserrer les contraintes en France et en Europe ?

    Continuité et novation doivent inspirer notre démarche actuelle. Des acquis existent, car beaucoup a été fait, qu'il s'agisse de l'analyse de la société française, de la crise, du bilan des dernières années.

    Des remises en perspective, certaines réévaluations s'imposent. Nos analyses sur l'Europe, la Défense, le Tiers-Monde méritent d'être concrétisées.

    La stratégie économique et sociale de sortie de crise doit tenir compte des évolutions, nous ne sommes plus en 1974 ni même en 1982.

    Surtout, des enjeux nouveaux se précisent :

    - la restructuration du champ politique est à réaliser. Il faut lutter contre l'atrophie, l'anémie sociale, la dilution des valeurs collectives.

    - il faut aussi restaurer un clivage droite-gauche opératoire, ni passéiste à l'instar de la laïcité ringarde ou de l'ouvriérisme rétro ; ni moderniste à l'image de cette fuite en avant technologiste et économiste. Le socialisme ce n'est pas un Bad Godesberg plus l'ordinateur.

    A cet égard, le rôle du Parti Socialiste demeure décisif. Il lui revient d'ouvrir des perspectives, de conduire le débat dans la perspective d'une hégémonie à construire autour de son projet, afin de sélectionner son candidat à l'élection présidentielle.

    Le rôle du CERES consiste à être le logiciel commun d'une gauche sérieuse, capable de diviser le bloc adverse, au lieu d'être, comme c'est le cas, affaiblie par le libéralisme.

    Nous devons, en somme, être les acteurs autonomes d'un jeu, dont nous ne maîtrisons pas toutes les règles et, pour ce faire, être capables de peser à tous les niveaux du débat.

    Parmi les enjeux nouveaux, il convient aussi de mentionner le débat institutionnel.

    Les problèmes institutionnels sont, sans doute, à réévaluer à la lumière de l'éclatement du champ politique et de l'instauration du système proportionnel qui en accentue les dangers.

    Dans ce domaine, le choix se situe entre régime présidentiel et présidentialisation accrue.

    Nous devons être capables, après 1986, de maintenir un clivage droite-gauche opératoire, de faire prévaloir l'intérêt national, la pérennité des choix en dehors des pressions et des appétits des groupes charnière, et de faire fonctionner une alternative dans l'alternance.

    L'évolution vers un régime présidentiel peut, en restaurant le Parlement dans ses prérogatives, préserver les impératifs de stabilité et de contrôle démocratique.

    II - Préserver notre cohésion

    Il faut regarder au-delà de 1986, pour ne pas être broyé par les événements ; il ne faut pas, pour autant, passer 86 par profits et pertes.

    Notre survie politique est subordonnée à l'anticipation, à la capacité de rebondir collectivement. La tactique demeurant soumise à la stratégie, il importera de ne pas céder à des pulsions, à des velléités.

    Aussi, la question de la motion doit-elle rester ouverte.

    Nous devons nous tenir prêts, moins par des déclarations définitives, que par une réelle capacité à proposer et à entrainer les socialistes.

    A cet égard, le conflit Fabius-Jospin constitue un événement à ne pas négliger...

    Nous n'avons à jouer ni les Sherpas, ni les Ponce-Pilate.

    L'essentiel consistera à donner un contenu à la notion de souveraineté du Parti qui vient d'être opportunément, mais tardivement, affirmée.

    Nous ne sommes pas neutres, même s'il convient de prendre conscience que nous ne sommes pas les acteurs de ce conflit.

    Tout au plus pouvons-nous exiger une solution positive à cette situation qui divise davantage le courant A que le - Parti.

    En clair, si les problèmes tactiques sont correctement gérés, dans les mois à venir, nous préserverons nos forces intactes, pour peser efficacement le moment venu. Nous disposerons, alors, d'une influence non négligeable dans le Parti Socialiste, et d'une proposition de ligne politique pour la gauche toute entière.

    III - Clarifier

    Pour pouvoir rebondir, il importe, préalablement, de clarifier ce qui doit l'être.

    - Le débat novation-continuité relève du faux débat. Si nous travaillons pour le socialisme éternel, il n'y a pas de nouvelle période.

    En revanche si nous travaillons pour les 10 ans à venir, force est de constater qu'il existe aujourd'hui des données différentes de celles des décennies 60 et 70.

    Laisser ouverte la question du socialisme ne signifie pas brader le socialisme, mais chercher à éviter la marginalisation ou l'écrasement, chercher à articuler le court terme au moyen terme.

    - Le débat République moderne / Socialisme appartient aussi à la liste des problèmes mal posés. Ce qui est en cause, c'est le contenu de la République.

    La République correspond, en France, à la forme historiquement spécifique de la démocratie, c'est une utopie positive.

    Le Socialisme ne se construira pas en dehors de la République (Jaurès), mais comme son accomplissement.

    De ce point de vue, nous sommes prêts à accepter une meilleure formule que République moderne. Mais qu'on nous la propose.

    - La relation courant/Chevènement est également souvent mal traitée.

    Nous faisons de la politique en France, en 1985. L'action de Jean-Pierre Chevènement et celle du courant sont complémentaires. Lui, c'est lui, nous c'est nous, et la somme des deux donne le CERES.

    Nous ne voulons plus servir de force d'appoint, de Sherpa intellectuel, ou de Harkis pour les temps difficiles.

    A ce propos, le détour institutionnel doit être pris en compte si nous ne voulons pas qu'il nous impose d'autres choix.

    Un projet, un candidat, des militants sachant où ils vont, définissant une perspective commune. Forts de notre accord, la confiance mutuelle fera le reste.

    2) Intervention d'Hélène Goldet

    Je ne parlerai pas de la contribution[1].

    (—) Même si cette contribution se situe largement dans le long terme, elle est, pour tous les responsables CERES, un outil politique dans une bataille de court terme.

    Les quelques remarques qui suivent concernent le syndicalisme mais je m'efforcerai de ne pas adopter pour autant un point de vue de syndicaliste.

    Il y a deux manières d'être ouvriériste :

    Il y en a une qui est frileuse, timorée et qui consiste à escamoter la dimension politique des luttes sociales.

    De Bergeron à Rocard et même à Krivine, une vaste palette s'offre à ceux que tente cette démarche facile et manipulatrice.

    Il y en a une autre qui constitue le squelette des analyses du CERES et que l'on peut résumer ainsi : la gauche ne survivrait pas à la disparition du mouvement ouvrier.

    Mais, et c'est là, me semble-t-il, le cœur des nouveaux problèmes que nous avons à affronter, la décomposition de l'ensemble des projets politiques qui structurent la gauche et bien sûr d'abord - mais non exclusivement - l'Union de la Gauche comme projet, comme exigence et comme rêve crédibilise un projet autrement plus dangereux : celui d'un mouvement ouvrier qui survivrait à la gauche.

    Ce n'est pas là une situation totalement nouvelle dans notre pays. Ce phénomène est récurrent partout où, comme en France, ne domine pas la social-démocratie. De 1927 au début des années 50, après 1958 et, dans une certaine mesure aussi, de 1977 à 1981 les mêmes tendances ont été à l'œuvre.

    A moins de rêver d'un bouleversement politique considérable, il est évident, pour qui prend la peine de réfléchir, que cette perspective ne mène nulle part.

    Une autre manière, moins abstraite, de décrire ce qui se joue ici est de dire ceci : le désarroi manifeste des équipes qui dirigent les grandes confédérations syndicales -mais aussi nombre de grandes associations et mouvements populaires -donne une responsabilité, un espace considérable à un courant comme le nôtre : celui d'offrir, peut-être pas immédiatement mais lorsque les circonstances seront

    favorables, des raisons décisives d'être à gauche.

    Ce qui ne veut pas dire réduire la gauche à ces équipes et à ceux qui sont sous leur influence. La gauche n'est pas le secteur politique des confédérations syndicales, nous ne sommes pas dans la Grande-Bretagne travailliste des années 50.

    La lutte contre le chômage, la démocratie ouvrière, dont l'autogestion n'est qu'une image d'Epinal, la démocratie économique et politique à qui nous avons redonné le beau nom de République sont bien les thèmes qui nous engagent dans cette voie.

    Mais prenons garde de conserver en permanence la volonté consciente d'y parvenir et de dégager les moyens nécessaires faute de quoi, comme toujours en politique, rien ne se fera.

    Pour conclure mon intervention, j'aimerais rappeler une évidence : ce n'est pas sur nos idées, ou grâce à la séduction personnelle - toujours subjective - de certains dirigeants du CERES ou de République Moderne, que nous construirons dans le pays un élan quelconque. Un tel ralliement de forces sociales et politiques diverses, y compris - pourquoi pas - parmi les dirigeants d'entreprises qui constituent le résidu d'une bourgeoisie française non compradore, ne s'opérera que si nous pesons politiquement, et nous ne pèserons que parce que les forces vives de ce pays, c'est-à-dire le mouvement ouvrier, se retrouveront majoritairement dans notre projet politique.

    Il n'y a pas aujourd'hui plus qu'hier, même si c'est vrai que la période a changé avec le départ des communistes, de contradictions entre notre engagement à la tête du mouvement ouvrier et notre volonté de rassembler toutes les forces de progrès dans ce pays.

    Il y a une synergie à trouver et je souhaite que, malgré leurs insuffisances, la contribution et l'ensemble des textes qui engagent actuellement notre responsabilité collective nous permettent d'y parvenir.

     

    3) Commission n°5 Problèmes du syndicalisme

    La discussion en commission s'est articulée autour de 3 points :

    a) une présentation d'actualité sur chacune des organisations

    b) les caractéristiques de l'action syndicale aujourd'hui

    c) les thèmes de réflexion et d'action que notre courant et le Parti doivent proposer aux militants et organisations syndicales afin de faire avancer notre projet.

    A. L'actualité sur chacune des organisations :

    La C.F.D.T. : son congrès vient de se terminer et l'on peut dire, sans se tromper, que celui-ci n'a rien réglé. Malgré son succès sur le quitus, le secrétaire général apparaît isolé ; les idées du courant dit moderniste ne sont pas passées au congrès ; les négociateurs qui ont mené la négociation sur la flexibilité ont été les plus mal élus à l'élection du Bureau National.

    Annexe 2

    Le débat reste donc ouvert au sein de l'organisation notamment au sein de la majorité mais aussi au sein de la minorité en particulier sur l'adaptation du syndicalisme et les réponses syndicales les plus adéquates à la période et au problème majeur : celui de la résorption du chômage et de la création d'emplois.

    La C.G.T.: prépare à son tour son congrès qui se déroulera en novembre prochain. A la C.G.T. le tournant peut être daté en 1978, au 40. congrès de Grenoble. Celui-ci avait suscité des espérances et des ouvertures tant sur le fonctionnement que sur l'unité d'action.

    Celles-ci furent sans suite.

    Une lutte d'influence et d'appareils s'est déroulée. Séguy a été mis sur la touche, sa démarche d'ouverture a été condamnée car estimée non payante pour la C.G.T. Krasucki a été l'homme de cette situation même si aujourd'hui il apparaît, comme secrétaire général de la C.G.T., quelque peu en décalage par rapport au P.C.

    En fait, il convient d'analyser la situation de la C.G.T. d'abord à partir de la situation du P.C. et notamment à la lumière du 25° Congrès de celui-ci marqué par une nette régression quant à la place qu'il estime occuper dans la société française.

     Le débat, public maintenant, semble porter davantage sur des questions tactiques que l'on peut ainsi résumer :

    - la C.G.T. doit-elle être le fer de lance du P.C. (voir S.K.F.) ?

    - ou bien faut-il d'abord préserver l'unité de la C.G.T. et de ses diverses composantes : communistes - socialistes - Òsans parti ?

    Ces questions devraient réapparaître dans la préparation du congrès et sans nous immiscer dans la vie interne de cette organisation, cette situation pourrait donner à nos camarades du parti et du courant un espace d'expression supplémentaire.

    F.O. : F.O. s'est servi de la C.F.D.T. et de la C.G.T. comme repoussoirs afin d'apparaître comme le seul syndicat indépendant et libre.

    Cela s'est traduit pour cette organisation par des succès électoraux aux élections sociales (v. sécurité sociale), un peu moins aux élections professionnelles. Ceci n'a pas pour autant entraîné un développement de son implantation dans les entreprises.

    En réalité, le syndicalisme est aussi en crise à F.O.

    En effet, l'anticommunisme - qui fonde l'identité de F.O. - tend à se banaliser, après s'être généralisé, de même aujourd'hui l'image d'un P.C. super-puissant ne correspond plus à la réalité.

    Par ailleurs le flou des positions de F.O. lui permet de recruter dans un éventail large qui va des R.P.R. aux trotskistes mais ceci ne peut durer qu'un temps : pour trouver un nouveau souffle, F.O. devra choisir. Choisir entre la lutte idéologique à laquelle, d'une certaine manière, il se refuse et passer également en son sein des compromis, par exemple sur le pouvoir d'achat : choix qu'il se refuse encore à faire.

    Faut-il encore rajouter que F.O. n'est pas, n'est plus, l'interlocuteur privilégié des pouvoirs publics qu'il rêvait d'être et, en cette période, n'a plus même le monopole de la contestation.

    Bref, le moment va se rapprocher pour F.O. d'opérer enfin des choix.

    F.E.N.: cette organisation connaît à son tour une érosion syndicale. Elle est passée de 550 000 adhérents en 76 à 460 000.

    Dans cette érosion, il y a des situations contrastées une baisse importante au S.N.I., une progression parmi les professeurs d'éducation physique.

    Mais globalement, cette baisse atteint toutes les sensibilités qui composent la F.E.N.

    Ceci est sans doute dû à des causes de plusieurs natures :

    - un embourgeoisement du corps enseignant

    - une déception, après 81, sur le problème de la laïcité

    - une sclérose, voire un corporatisme, de l'organisation.

    D'un autre côté, la F.E.N. a des atouts :

    - sa puissance, son organisation entre autres à travers des mutuelles

    - son caractère largement unitaire dans son milieu professionnel.

    Encore faut-il noter que F.O. conteste maintenant sa représentativité et que la C.G.T. est à son tour également tentée de le faire.

    Dans la période qui vient, on peut donc assister de la part de la F.E.N. à un durcissement afin de préserver, sauvegarder son outil syndical.

    B. Les caractéristiques de l'action syndicale aujourd'hui

    Les caractéristiques tiennent - comme pour l'ensemble du courant - à une bonne analyse de la période.

    Faut-il rappeler, préciser :

    - que la période d'unité d'action C.F.D.T./ C.G.T. des années 60/70 ; des défilés unitaires Bastille-République, Frachon puis Séguy Dascamps [sic] a, dans les formes de la décennie passée, vécu.

    Ceci ne veut pas dire qu'il ne faille pas aujourd'hui relancer, dans des formes appropriées, l'unité d'action.

    − que la période de forte croissance des mêmes années a aussi vécu.

    Ce qui ne veut pas dire non plus qu'il ne faille pas remettre la croissance à l'ordre du jour, comme le propose d'ailleurs notre contribution.

    − faut-il préciser encore que les perspectives politiques mobilisatrices fortes du .programme commun n'existent plus aujourd'hui. Ce qui ne veut pas dire, là non plus, qu'il n'y ait pas nécessité de proposer un projet politique mobilisateur.

    Mais bien entendu à situation différente propositions nouvelles, différentes, adaptées à la période, même si les finalités restent identiques.

    Tout ceci pour dire qu'unité d'action - ou convergences intersyndicales -, croissance, perspectives politi ues influent sur la dynamique syndicale et sociale.

    D'autres facteurs jouent également un rôle :

    - les modifications des conditions de la production et des services

    − les modifications de l'organisation du travail et de la diffusion des technologies dans tous les secteurs d'activité - une attitude souvent ouvrièriste vis-à-vis des techniciens et cadres

    − les politiques sociales du patronat lequel se trouve fréquemment à l'initiative. - le développement du chômage et 14, difficulté pour les organisations syndicales de rester en lien avec les chômeurs

    −la difficulté à organiser, à syndicaliser les travailleurs des PME qui représentent pourtant la moitié de la population active, ainsi qu'à nous situer positive ment dans le secteur très diversifié d, l'économie sociale.

    Mais ne cultivons pas la sinistrose syndicale.

    Si l'on peut regretter que l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 n'ait pas permis de donner le coup de pouce souhaitable, la désyndicalisation n'est pas propre à la France et dans notre pays elle ne date pas de 1981. Si les effectifs syndiqués et les conflits du travail ont baissé, si le syndicalisme dans les entreprises appartient encore à une minorité, la situation n'est pas partout identique.

    Il faut par exemple observer, noter l'augmentation sensible des créations de sections syndicales dans les entreprises.

    Pour syndicaliser, resyndicaliser, il faudra - comme pour le Parti - en étant en prise sur les réalités, donner un espoir, un avenir à la classe ouvrière, bref tracer des perspectives politiques.

    C. Les thèmes de réflexion et d'action, de notre parti et du courant, sur le syndicalisme :

    Il convient de dire tout d'abord que le syndicalisme nous intéresse. Par nature celui-ci est de gauche et la Gauche sans cette partie organisée du mouvement ouvrier dans les entreprises, services, administrations, serait en somme en état de manque !

    Le syndicalisme nous intéresse et il est bon que les militants socialistes soient engagés dans les syndicats.

    Il est bon qu'en toute autonomie sur les fonctions, l'action, les stratégies, les propositions en présence soient l'objet de discussions fraternelles.

    Pour nous ceci ne peut se faire sans un certain nombre de principes qui guident notre action habituellement :

    - lier la lutte de classe avec la lutte de masse

    - favoriser, étendre - comme le propose notre contribution - la démocratie économique et sociale.

    Ceci permettra de donner un contenu concret à la République Moderne : - développer la notion de solidarité contre le repli, c'est-à-dire contre le déclin et l'éclatement de la classe ouvrière

    - valoriser, renforcer le rôle des organisations syndicales et leur capacité d'action et de négociation à tous les niveaux.

    Finalement, le syndicalisme n'est pas en crise.

    Il est, comme lieu de médiations, dans la crise ou plus exactement au cœur des mutations.

    C'est pourquoi il doit s'adapter au monde qui bouge.

    C'est pourquoi la mutation qu'il doit lui-même opérer sur sa fonction le conduit à passer d'une situation de contestation à une situation plus complexe, plus risquée de proposition.

    Ainsi la nature même de la revendication se trouve modifiée et la fonction du syndicalisme devrait s'en trouver renforcée, crédibilisée.

    Ceci peut se faire dès maintenant.

    Les problèmes concrets sur lesquels s'appuyer ne manquent pas : développement de l'initiative économique, création d'entreprises et comités d'emploi au niveau local ou régional, élaboration des plans d'entreprise et de formation, etc… 

    Du vieux on peut tirer du neuf mais ce qui est le plus important, le plus significatif c'est le passage d'une période à une autre. 

    Ce qui est difficulté aujourd'hui peut devenir richesse demain. Il en est ainsi de la désyndicalisation qui peut permettre un renouveau syndical Alors, puisque le syndicalisme nous intéresse, portons maintenant le débat à partir du « V.S. » spécial et des travaux de ce colloque dans les fédérations. Ainsi nous aurons tous ensemble pro­gressé. 

    4) Commission n°1 Politique économique

    But approfondir certains points en discussion et non établir un catalogue de mesures cohérentes. Sur ce plan, beaucoup de ce qui a été fait pour élaborer nos propositions économiques à Bourg-en-Bresse demeure valable -comme on le retrouve au sein du texte « Avant projet pour quelques orientations essentielles ». 

    Cinq points ont été développés et sont présentés ci-dessous : 

    1 - Une période s'achève

    2 - Démocratie dans l'entreprise

    3 - Planification et financement

    4 - Croissance et durée du travail

    5 - Projet économique européen

    1 - Quand on dit qu'une « période s'achève irrémédiablement », c'est aussi celle d'une problématique économique posée essentiellement en terne de « rupture avec le capitalisme », parce que posée essentiellement dans le cadre national. Or, le cadre national n'est plus un espace suffisant pour une rupture avec les logiques fondamentales du capitalisme : il n'est plus en effet le lieu central de l'accumulation, s'il est bien le lieu de résistance contre la mondialisation. 

    A ce propos, deux remarques prin­cipales ont été faites : 

    - au-delà de cet énoncé théorique glo­balisant, la réalité est plus complexe selon les secteurs, l'accumulation est régionale, nationale ou mondiale. C'est cette diversité de la réalité capitaliste d'aujourd'hui qui nous permet de jouer sur ses contradictions, et qui donne un sens à une politique industrielle natio­nale, à une planification décentralisée, comme à des projets européens... - si la « rupture avec le capitalisme » n'est plus à l'ordre du jour, c'est sans doute d'abord pour des raisons politi­ques : le recul du mouvement ouvrier des années 70 aux années 80. 

    2 - Comment appuyer ce projet d'indépendance pour la France et l'Europe sur l'élargissement de la démocratie dans l'entreprise, alors que la modernisation nécessaire, pour l'essen­tiel imposée par la concurrence interna­,: tionale, se traduit par des technologies et une organisation du travail confor­mes à la logique du capital ? L'élargisse­ment des droits des travailleurs est pourtant une dimension essentielle. 

    L'accent a été mis sur le contrôle de la formation et de l'investissement, c'est-à-dire l'utilisation productive de la plus value. 

    Mais, au-delà des mots, il semble qu'un véritable contrôle des travailleurs ne corresponde pas aux réalités sociales de la période. Ce qui est important c'est d'être animé par une démarche de com­promis social (et non de dialogue social, terminologie de droite). 

    Cette démarche se présente diffé­remment selon les secteurs (privé/public, PME/grandes entrepri­ses, industrie/services, etc...). Elle trouve sa cohérence dans le cadre glo­bal de négociations sur la répartition des gains de productivité et l'orientation des investissements. 

    Ce qui nous renvoie au troisième point, sur le Plan.

    3 - Pour réfléchir sur la planification on part d'un triple constat : 

    - l'existence d'outils techniques très performants (ce n'est donc pas là qu'est le problème), 

    - l'absence totale de volonté politique, - qui explique sans doute l'absence de structures permettant une planification moderne et démocratique. 

    Il paraît nécessaire de s'inspirer à la fois des expériences de planification très concrètes des grandes entreprises, et des exemples de concertations dyna­miques réussies comme le Colloque sur la Recherche. Le débat permet de poser les problèmes et d'assurer un soutien aux choix des responsables politiques, qui tranchent en établissant des priori­tés réelles et contraignantes. 

    Nous allons mettre en place un groupe de travail car ce point est essentiel. 

    Le débat a montré qu'il était néces­saire parallèlement, pour permettre une planification efficace, de débureaucrati­ser l'économie française : 

    - en transformant le système bancaire et financier pour le sortir de sa logique d'institution, 

    - en redéfinissant les modalités de mise en œuvre et d'attribution des comman­des publiques, 

    - en redéployant l'Administration vers les problèmes économiques (surtout au niveau des collectivités locales). 

    Un des terrains privilégié de l'exer­cice d'un véritable Plan dans la période à venir est constitué par les problèmes du système de protection sociale. C'est en tout cas dès aujourd'hui un secteur mobilisateur de résistance aux projets libéraux. 

    4 - Mais la planification permet aussi de faire des choix quant au con­tenu de la croissance. 

    Si nous ne pouvons nous en tenir à revendiquer la croissance sans nous mobiliser pour une croissance « forte et différente », ces différences sont difficiles à appréhender en termes de produits et d'organisation de la production étant donné les incertitudes actuelles sur la, ou les, sorties de crise possibles. En termes par contre de politique industrielle et de priorité à l'investissement, les enjeux sont plus évidents. Mais certains camarades s'inquiètent d'une priorité à la modernisation au détriment éventuel du pouvoir d'achat. 

    Indépendamment des conséquences socio-politiques éventuelles, c'est, au plan de notre économie, accepter une dualisation entre un secteur de pointe constitué par les biens d'équipement et certaines branches des biens intermédiaires et un secteur de production des biens de consommation qui subirait des reculs dramatiques pour le marché intérieur français. Ça risquerait d'être le cas également de la construction, alors que la France pourrait avoir beaucoup d'atouts dans ce domaine - et a un retard à combler au plan des besoins à satisfaire.

    Par ailleurs, sans sombrer aucunement dans la recherche de la réduction du temps de travail comme alternative à la croissance pour régler les problèmes d'emplois, nous avons tenu à mettre les choses au point sur ce plan :

    a) le problème ne peut être posé de façon globale.

    b) en aucun cas nous ne devons en faire un tabou : si la croissance peut seule donner un contenu social dynamique à la réduction du temps de travail, tant qu'il y a un nombre élevé de chômeurs, la réduction du temps de travail sur le total de la vie active (pour les jeunes et pour les préretraités) paraît plus dangereuse qu'une réduction annuelle ou hebdomadaire qui serait reliée au développement de la formation des travailleurs.

    5 - II paraît évident que nous ne pouvons envisager une Europe dont la compétitivité s'appuierait sur des salaires proches de ceux de l'Asie du Sud-Est ou une organisation sociale à la japonaise par exemple. C'est pourquoi, même s'il est tissé de compromis avec les bourgeoisies au pouvoir enEurope, parce que leurs intérêts sont en partie contradictoires avec ceux des concurrents américains ou japonais, notre projet de développement pour l'Europe doit s'appuyer sur les travailleurs et la gauche européenne. Ce sont les mouvements ouvriers européens qui, même dans l'opposition, peuvent construire les rapports de force qui nous feront avancer vers une Europe sociale ou une Europe industrielle.

    Sur ce plan nous ne pouvons nous en tenir à l'action par la C.E.E. et sa mécanielue institutionnelle, essentiellement favorable au libéralisme. Il faut lancer des dynamiques dont les bases sont d'abord nationales.

     

    5) Commission n°3  Etat et Institutions

    On peut résumer les points forts de notre analyse de l'Etat en s'appuyant notamment sur deux idées du Projet Socialiste (partie VOULOIR) :

    1. La liberté a besoin d'un Etat légitime.

    2. Les socialistes ne sont ni étatistes ni anti-étatistes.

    Le groupe s'est également interrogé :

    3. sur le rôle des administrations, et plus particulièrement des grands corps.

    4. sur le régime présidentiel préconisé dans la contribution du courant.

    5. sur les institutions européennes.

    1. Non seulement l'Etat et la liberté ne s'opposent pas nécessairement, mais la liberté, l'égalité et la solidarité ont besoin d'un Etat légitime. Cet Etat doit exprimer, de manière claire pour les citoyens, le refus de se soumettre au cours des choses, c'est-à-dire aux puissances établies et aux inégalités.

    2. Il s'en déduit que nous ne sommes pas anti-étatistes, ni d'ailleurs étatistes.

    a) Anti-étatistes, évidemment pas si l'on considère l'offensive libérale contre l'Etat, offensive qui vise à une remise en cause des compromis que les classes dominantes avaient dû concéder à la libération et dans les années qui ont suivi.

    Anti-étatistes, nous ne pouvons non plus l'être face à un individualisme sans principes, profondément régressif et destructeur. On trouve par exemple, dans le courrier des lecteurs d'un journal régional, la question suivante : « pourquoi paierais-je des impôts pour l'école, alors que je n'ai pas d'enfants ? ». Face à de tels dérapages, qui ne sont pas rares, nous devons affirmer avec force le sens de l'Etat, les valeurs du civisme, du patriotisme et de la solidarité. A l'inverse des libéraux, nous ne pensons pas que la poursuite de leur intérêt égoïste par chaque individu ou groupe puisse constituer l'intérêt général. A l'inverse de Jacques Chirac, nous n'estimons pas que « le seul moteur de l'activité humaine est le profit » (forum de l'Expansion - octobre 84).

    b) Nous ne sommes donc pas antiétatistes, mais nous ne sommes pas non plus étatistes, si l'étatisme signifie la vénération de l'Etat en soi ou l'immobilisme vis-à-vis de l'Etat tel qu'il est aujourd'hui.

    A cet égard, les gouvernements qui se sont succédés depuis mai 81 ont entrepris, partiellement, la décentralisation, qui était nécessaire et que la droite a été incapable de promouvoir. Mais ils ont été trop timides en matière de planification et, d'une manière générale, l'impulsion politique a souvent fait défaut. En l'absence d'un vrai plan, le secteur public élargi n'a pas pu jouer suffisamment le rôle moteur qui doit être le sien. De même, la politique de répartition a certainement manqué de profondeur et de cohérence : le débat sur ce qu'on appelle, mal à propos, les « prélèvements obligatoires » a été mal conduit ; celui, à venir, sur le financement des retraites se présente mal.

    Seul un débat large et clair, sur la politique de la répartition et dans le cadre de la planification, permettra de dépasser les corporatismes et de fonder une nouvelle croissance. La lutte contre les forces du déclin exige aussi une participation active des citoyens : à la vie locale, dans l'entreprise.

    3. Vis-à-vis de l'administration, la démocratisation a été fort limitée : la troisième voie de l'ENA est une réponse insuffisante et ambiguë, de même que les changements de dirigeants à la tête des administrations centrales ou locales. La démocratisation des administrations passe par un vigoureux effort de formation, nécessaire de toute façon face au développement des nouvelles technologies informatiques et bureautiques. La démocratisation passe par la reconnaissance réelle de la fonction publique territoriale, à parité avec celle de l'Etat, ce qui est par ailleurs nécessaire pour se donner les moyens de réussir la décentralisation et la déconcentration administrative.

    Les tendances bureaucratiques et technocratiques ne peuvent être surmontées que si les (hauts) fonctionnaires se voient clairement définir leur mission, au service de la République. Ceci exige une impulsion politique forte, dont le colloque de la Recherche a fourni un exemple, et la cohésion de l'Etat.

    En effet, l'autonomisation de la Fonction Publique, le jeu des grands corps se fonde aussi sur un exécutif à la fois peu cohérent (multiplication des instances d'arbitrages qui facilitent les manœuvres) et sur une prééminence abusive de l'exécutif : l'abaissement du Parlement ne lui permet pas de jouer son rôle de législateur, ni de contrôler efficacement l'exécutif et les administrations.

    Ceci nous conduit à réfléchir sur des réformes constitutionnelles.

    4. La contribution « Indépendance, Croissance, Démocratie » envisage une évolution vers un régime présidentiel. Cette évolution s'opposerait au présidentialisme qui a prévalu jusqu'à présent, mais il apparaît nécessaire d'en préciser le contenu afin de lever tout malentendu. Cette proposition se fonde sur un postulat, un constat et une anticipation.

    Le postulat : le principe de l'élection du Président de la République au suffrage universel direct ne sera pas remis en cause à un horizon visible. On raisonne donc sur cette base, sans forcément l'admettre comme éternelle...

    Le constat : le régime parlementaire, qui est censé être le nôtre, est largement fictif. De fait, l'exécutif domine totalement le processus législatif. Même la procédure d'engagement de responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée est bien plus un pouvoir supplémentaire de l'exécutif vis-à-vis de l'Assemblée que l'inverse. Le présidentialisme d'avant 1981 ne s'est pas atténué. L'anticipation : la Constitution de la V. risque fort de vieillir très vite, et mal, à partir de 1986. L'instauration de la proportionnelle pour les législatives, notamment, est de nature à accentuer les pouvoirs du Président tout en affaiblissant l'autorité de l'Etat (tractations permanentes pour constituer à l'Assemblée des majorités à géométrie variable ; « dictature de marginaux d'extrême-droite »).

    Le souci de revaloriser le rôle du Parlement et de rationaliser l'efficacité de l'Etat conduit donc à préconiser l'instauration d'un véritable régime présidentiel : suppression du droit de dissolution ; suppression de la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée ; raccourcissement à 5 ans du mandat présidentiel ; suppression de l'article 16 ; suppression de la fonction de Premier Ministre (1).

    Est-il opportun d'avancer aujourd'hui de telles propositions ? Ont-elles une chance d'aboutir ? Cette proposition revêt des aspects tactiques, mais ils sont loin d'être dominants : notre démarche consiste à poser des problèmes de fond qui se posent et qui, en outre, peuvent évoluer très vite. Un parti, un courant, devraient-ils s'interdire d'aborder les questions constitutionnelles, même si - pour l'instant - nous ne disposons pas encore des moyens de faire aboutir ces propositions (2) ?

    Pour résumer politiquement nos propositions, on peut observer :

    • que l'organisation des pouvoirs centraux assurait, dans une certaine mesure, la stabilité au détriment de la démocratie.

    • que l'instauration de la proportionnelle risque de remettre en cause la stabilité institutionnelle sans développer la démocratie.

    • qu'il s'agit donc d'assurer la stabilité et la démocratie. Un régime présidentiel, qui serait de nature à revaloriser le rôle du Parlement, le permettrait.

    5. Le patriotisme est souvent caricaturé, confondu avec le nationalisme chauvin, et opposé à l'ouverture internationaliste. Rien n'est plus faux, Jaurès l'avait déjà souligné avec force. Aujourd'hui, un enjeu décisif est d'élargir la volonté d'indépendance, le patriotisme, à l'Europe.

    La reconnaissance d'une communauté de destin peut fonder un patriotisme européen à trois conditions :

    • ne pas confondre le patriotisme et le nationalisme xénophobe qui est sa version superficielle et, en fait, son contraire.

    • ne pas opposer un patriotisme européen aux patriotismes de chacun des pays européens. Au contraire, l'affirmation d'une volonté nationale - notamment en France - est indispensable à l'essor d'une volonté commune.

    • ne pas confondre volonté et ignorance des réalités : l'Europe n'est pas encore ressentie comme une communauté de destin par les peuples qui la composent. « L'européisme », qui chercherait la solution dans une fuite en avant supranationale, exposerait l'Europe au renforcement des tendances centrifuges, et à l'éclatement.

    Au plan institutionnel, c'est vers une Europe confédérale qu'il faut aller. Le « droit de veto » devrait être redéfini, afin de correspondre véritablement aux intérêts vitaux du pays qui l'exerce. Son utilisation « libérale », qui découle de ce qu'un pays non producteur a intérêt à s'approvisionner directement sur le marché mondial, ne se fonde pas sur « l'intérêt vital » mais conduit à l'impuissance. Par contre l'abandon pur et simple de la règle de l'unanimité ne serait pas acceptable, ni réaliste... En tout état de cause, l'équilibre institutionnel existant doit être maintenu en faveur du Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement, qui doit rester (ou devenir) l'instance de décision. Le rôle de contrôle de l'Assemblée européenne peut être étendu, mais pas son rôle législatif pour l'instant.

    Au plan monétaire, l'ECU doit s'affirmer face au dollar. Il ne sera solide que si le SME est rationalisé, de manière à éviter les crises périodiques.

    La coopération technologique entre les pays d'Europe est indispensable. Afin de ne pas risquer de renforcer le caractère dual des économies européennes (chômage, développement inégal des régions...), il sera également nécessaire d'assurer un développement régional équilibré et d'harmoniser par le haut les politiques sociales.

    En fait, les progrès de la construction européenne dépendent pour beaucoup de la capacité de « l'eurogauche » et du mouvement ouvrier européen à s'organiser, notamment face aux multinationales américaines et japonaises. C'est là une priorité fondamentale (3).

    Conclusion

    Le Parti ne doit pas craindre de poser les problèmes institutionnels devant le pays. A cet égard, le conflit Jospin-Fabius ne permet pas une clarification des enjeux. Seul un projet, fondé sur l'indépendance, la croissance et la démocratie, peut nous permettre de régénérer le débat démocratique dans le pays et de contribuer ainsi à l'affirmation d'un Etat légitime, compris comme tel par les citoyens.

     

    (1) La note de Jean-Paul PLANCHOU, intégrée au dossier <, Etat et Institutions », décrit de manière plus détaillée les propositions et l'argumentation.

    (2) Seule la réduction à 5 ans du mandat présidentiel, votée en termes identiques par les deux Chambres, pourrait être décidée sans délai ni obstacle, par voie de référendum.

    (3) Bien que ce sujet soit traité par un autre groupe de travail, il est nécessaire de souligner que la question de la sécurité a été considérée comme très importante par notre groupe, en ce qu'elle est décisive pour définir une communauté de destin. La sécurité, outre le volet militaire, implique notamment une coopération économique et culturelle active à l'Est.

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    [1]Il s’agit manifestement de la contribution du CERES pour le congrès de Toulouse du PS (NdE).