• Aujourd'hui, 29 octobre, l'Église fête saint Germain de Talloires. Ç'aurait dû être hier, 495e anniversaire de l'élévation de ses reliques sur l'autel de l'église de son ermitage par saint François de de Sales, mais la concurrence avec saint Simon et saint Jude, qui ont sur lui, si on n'en sait pas plus sur leurs vies, l'avantage du nombre et de l'apostolocité, oblige à reporter sa fête d'un jour.

    Il fut ermite, comme il est juste à Talloires, au dessus du lac d'Annecy. S'il ne se souciait pas de confort, il a fort bien su choisir le paysage, ce qui contribue à sa notoriété.

    C'est un saint auquel je suis très attaché, pour des raisons familiales d'abord, géographiques aussi,  dont la médaille (ci-contre), attachée à mon porte-clefs, est un de mes signes religieux ostentatoires préférés.

    Je saisis l'occasion de recycler un petit travail que j'avais fait sur lui, d'abord pour un pèlerinage paroissial de Bellegarde, ensuite, en version augmentée, à la demande de la gardienne d'alors de l'ermitage, qui envisageait d'en tirer une brochure (qui finalement ne s'est pas faite).

    J'ajoute quelques photos de l'église, de la châsse du saint (dans la chapelle à droite du maître autel) de la grotte, du paysage, et de Monsieur Raphaël Rigaud (lors de notre pèlerinage de 2011), pour vous faire apprécier tout l'intérêt de ce site.

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  • Morne plaine

    Feu sur le quartier général ! Cette année, la saint François s’étend à tout le mois d’octobre. Hollande est, pour tout le système médiatique, l’homme à abattre. Qui a, depuis des années, en se sentant souvent très seul, dénoncé la nullité de ce triste sire, a le premier réflexe, naturel, de jubiler. Il n’est cependant pas malsain de s’interroger sur les raisons qu’ont tous ceux qui naguère encore l’encensaient, d’en faire désormais de la charpie.

    Le motif invoqué est le livre publié par Davet et Lhomme, Un président ne devrait pas dire ça, long réquisitoire contre sa personne entrecoupé de citations de lui, dûment enregistrées au cours d’entretiens mensuels (ils le disent, il ne dément pas), qui sont autant d’éléments à charge.

    Il faut dire, quand même, à quel point le procédé est malhonnête. Ces deux journalistes s’étaient fait embaucher par lui  fin 2011 pour écrire un livre à sa gloire, à partir d’entretiens avec lui d’abord prévus pour les cent premiers jours (un hommage à la motion 2 du congrès de Pau ?) puis étendus à quatre années. Ils en font une charge impitoyable contre lui, qu’ils publient précisément au moment où se pose la question de sa candidature à sa succession. Ce n’est pas bien.

    Mais c’est bien lui qui s’est livré, en acceptant d’être enregistré par eux, sans aucune garantie sur ce qu’ils en feraient ni sur la date à laquelle ils le sortiraient, en renonçant d’avance à tout droit de relecture, apparemment parce qu’il était convaincu ce ne pouvait être qu’à son avantage. C’est pour le moins la preuve d’une incroyable naïveté.

    Surtout, il y a ce qu’il dit. Certes, les commentaires des deux journalistes sont presque systématiquement malveillants. Certes, le découpage et le classement des citations sont soigneusement calculés pour nuire Il n’en a pas moins dit tout ça, qui est globalement affligeant. Davet et Lhomme répètent à l’envi, au milieu de tant de méchancetés, qu’il aurait fait un excellent journaliste politique. C’est bien sûr aussi une façon de souligner qu’il est un exécrable président. Ce n’est pourtant pas faux : ce qu’il raconte est exactement du niveau de ce que nous font subir les journalistes et politologues d’aujourd’hui. On peut trouver que ce n’est ni excellent, ni d’ailleurs politique : ce n’est évidemment le point de vue des deux vedettes du Monde.

    Il n’était point besoin de ça pour savoir qu’Hollande était nul, même si même les plus méchants ou les plus lucides (souvent les mêmes, dans son cas) peuvent être surpris de découvrir à quel point il l’est. Tout cela reste anecdotique. La question la plus intéressante est : pourquoi ceux qui durant tant d’années l’ont servi de toutes leurs forces, les deux auteurs du livre comme tous ceux qui se déchaînent à leur suite, lui tapent-ils soudain dessus avec un tel acharnement ? Ce qu’il dit dans le livre, en soi, n’est bien sûr pas un motif sérieux : on en a vu de presque aussi mauvais présentés par la presse unanime comme chefs d’œuvre de génie politique montrant à la fois la hauteur des vues de l’homme d’État et sa proximité du peuple, à un public qui de toute façon ne risquait pas de les lire, via des journalistes dont ils n’étaient d’ailleurs pas certain qu’ils les eussent lus. La raison du massacre est à chercher ailleurs.

    Elle apparaît clairement, c’est le plus remarquable, à la lecture du livre, quand on fait (au moins partiellement) cet effort douloureux. Au-delà de la catastrophe générale, née des propos du personnage, lourdement soulignée par les commentaires, ce qui n’apporte rien, sinon sur son ampleur,  le lecteur découvre des choses surprenantes et passionnantes dont il n’aurait certes pas eu l’idée spontanément. Il apprend ainsi que ce grotesque Hollande a réussi à faire baisser le chômage, vraiment. On lui révèle que dans les négociations européennes et, plus généralement, internationales,  il apparaît comme un génie admiré du monde entier. Qu’il est un chef de guerre brillant et redoutable, dont la seule évocation du nom suffit à empêcher de dormir les terroristes les plus féroces. À ce stade, il n’est même plus surpris que tous les cadeaux gratuits au patronat soient autant d’idées merveilleuses témoignant d’une grande originalité. Il l’est plus quand les auteurs, par un retour en arrière qui pourrait a priori sembler cruauté, démontrent, Matin de Paris à l’appui, que leur anti héros affichait déjà les mêmes conceptions économiques, tout aussi portées sur la très fameuse politique de l’offre, dans les années 1980. Mais il se rassure vite, puisque Davet et Lhomme concluent immédiatement qu’ils ont ainsi prouvé que tout dogmatisme lui était étranger. Répéter les mêmes banalités néo classiques, toujours démenties par l’expérience, depuis quarante ans, tel est l’empirisme qu’on aime au Monde. Les dogmatiques se reconnaissent à leur tendance honteuse à poser des questions à leur sujet.

    Pourquoi alors un tel acharnement sur un si merveilleux président que, alors que nous ne nous en doutions pas, le monde entier nous envie ? Précisément parce que nous ne nous en doutons pas, ce qui conduit à le juger, malgré tous ces brillants succès, coupable du péché capital : il ne sait pas communiquer.

    Et voilà pourquoi nos journalistes cessent d’être muets. Cet homme mène une politique admirable en tout point, et bat pourtant tous les records d’impopularité : il faut qu’il soit très mauvais. Il faut le dire très fort, pour qu’il soit clair que ce n’est pas cette politique qui est mauvaise. Ils le croient peut-être, d’ailleurs : on a toujours tort de supposer les journalistes corrompus et mentant parce qu’ils le sont, sans envisager qu’ils soient ignorants et stupides au point de croire à leurs propres mensonges.

    Si on remonte cinq ans en arrière, on voit Sarkozy subir exactement le même traitement, de la part des mêmes à peu près qui, après l’avoir sacré grand communicant et encensé, se sont mis soudain à déplorer son incapacité à communiquer pour l’accompagner vers la sortie. Avant, il y a eu, Chirac ayant le bon sens de rester en retrait après des expériences malheureuses, Villepin, à l’insupportable morgue aristocratique, pourtant si admirée un peu plus tôt, Raffarin dont les petites plaisanteries ont cessé tout d’un coup d’être signe de finesse pour caractériser sa bêtise, Jospin, dont le bilan était si bon mais qui a fait, l’imbécile, une exécrable campagne. Avant encore, il y a eu Juppé.

    La France est gouvernée depuis quarante ans par des gens qui mènent une politique merveilleuse, la seule possible d’ailleurs, toujours la même, ce qui montre leur grand pragmatisme et leur absence totale de dogmatisme, mais qui, malheureusement, sont tous si mauvais communicants qu’ils sont incapables de faire comprendre aux Français que tout va de mieux en mieux. Il est donc juste, à chaque fois que l’un d’eux a montré cette scandaleuse incompétence, de le couvrir d’injures et de le remplacer par un autre, sans qu’il soit bien sûr question de changer de politique.

    Il y a pourtant des moments de lucidité. Hollande, une fois, déclare, à la grande indignation de Davet et Lhomme :

    « Ce n’est pas parce qu’il y aurait une com défectueuse – la mienne peut être meilleure, j’en conviens – qu’il y aurait de l’impopularité, assure-t-il. C’est parce que la politique menée n’a pas les résultats qui sont espérés par les Français. L’idée qu’avec une bonne com on peut avoir une bonne popularité, c’est illusoire. On peut mettre un beau décor, si la marchandise est toujours la même, ça ne change rien, absolument rien. Ce qui est le plus important, c’est la politique, pas la communication. »

    Il faut réviser ici notre jugement précédent : non, il ne ferait pas un excellent journaliste politique. Il a d’odieux accès de dogmatisme. On se demande bien pourquoi, pensant cela, il se livre à ce ridicule exercice, après tant d’autres, pourquoi, au lieu de prier pour la croissance et de truquer les statistiques un mois sur deux, il n’envisage pas d’en finir avec la combinaison du libre-échangisme et du monétarisme qui fait monter le chômage et baisser les salaires depuis quarante ans, et ne peut évidemment faire que ça, puisque le premier consiste à s’obliger à nager plus vite que tous les autres pour survivre, le second à s’attacher pour ce faire un boulet au pied. Il ne pousse malheureusement pas le dogmatisme jusque là.

    Voilà. Nous avons parlé du traité de Maastricht.

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    27 octobre 2016.


  • Un petit divertissement, histoire de ne pas encore parler du traité de Maastricht. Facebook fait opportunément remonter quelques photos que j’avais envoyées de Rome lors de mon dernier séjour, il y a quatre ans, d’un charmant petit autel funéraire que j’avais vu au Musée national, celui des thermes de Dioclétien, en face de la gare.

    Pourquoi celui-là ? Parce que c’est un des premiers que j’ai vus, juste après la messe à Sainte Marie majeure presque en sortant de l’avion, , parce que je n’avais pas encore constaté que je devais ménager la batterie de mon appareil photo, parce que quand même je l’ai trouvé particulièrement joli. Résultat : ces photos.

    Il n’a rien de foncièrement original, ni dans sa forme, ni dans le texte de l’inscription. Mais j’ai eu envie de commenter ces photos, à titre d’exemple de ce que sont des centaines d’autres monuments funéraires de la même époque.

    L’autel est la forme la plus courante de monument funéraire élaboré, au delà de la simple stèle, mais en deçà de choses beaucoup plus monumentales comme les mausolées, nettement plus rares et d’ailleurs beaucoup moins souvent conservées. L’autel (ara) est en principe la table sur laquelle on sacrifie des victimes animales à un ou plusieurs dieux. Sa forme correspond à cette fonction : presque cubique, le sommet, plat, à la hauteur des mains d’un homme debout. Les pulvini (au sens propre, coussins, puis tout ce qui, même en pierre, a la forme d’un coussin), sur le côté, servent théoriquement à retenir le sang de la victime.

    Nous avons ici un très bel exemple, dont je viens malheureusement de découvrir (j’ai été très près de publier d’énormes bêtises) qu’il n’appartient pas à cet autel à l’origine, ce couronnement d’une autre provenance ayant été posé récemment dessus. Il m’est impossible de savoir s’il s’agissait d’un autel plat en son sommet, ou si son couronnement n’a pas été retrouvé, et ainsi sauvagement remplacé.

    Il semble cependant que, dans le cas des monuments funéraires, cette forme soit surtout symbolique, et qu’on n’y ait pas pratiqué de sacrifices sanglants. C’est évident quand ils sont soit beaucoup trop hauts pour un tel usage, soit minuscules. Celui-ci, dont la hauteur est de 55 centimètres (sans le couronnement, donc), pourrait être crédible.  Mais cela ne prouve pas qu’il était utilisé.

    L’inscription occupe, comme le plus souvent, l’essentiel du devant de l’autel, dans un cadre assez travaillé, bordé de bas-reliefs évoquant des colonnes (ioniques: c'est rond).

    Son texte se lit aisément, en tout cas sur place. Sur ma photo, c’est moins simple. On peut s’arracher les yeux, ou tricher en recherchant la référence aux Corpus Inscriptionum Latinarum : tome VI (celui consacré aux inscriptions de Rome), numéro 6209.

    Quelque soit la méthode utilisée, on arrive à lire ceci

    D M

    Iuliae Capriolae

    v a XXXV m III d XXVI

    T. Flavius

    Chrysippus

    coniug carissima

    et sanctissimae

    fecit et sibi et

    liberis posteris

    eorum.

     

     Ce qui donne en développant les abréviations, tout à fait habituelles, D(is) M(anibus) / Iuliae Capriolae / v(ixit) a(nnis) XXXV m(ensibus) III d(iebus) XXVI / T(itus) Flavius / Chrysippus / coniug(i) carissimae / et sanctissimae / fecit et sibi et / liberis posterisq(ue) / eorum.

    Soit, en français : Aux Dieux Mânes de Iulia Capriola. Elle vécut trente-cinq ans, trois mois, vingt-six jours. Titus Flavius Chrysippus, pour son épouse très chère et très sainte, a fait (ce monument), et également pour lui, pour leurs enfants et pour leurs descendants.

     

    La formule n’a rien d’original. On ne sait pas grand-chose des dieux mânes sinon qu’ils étaient des dieux présents autour des tombes et que c’étaient à eux qu’on rendait le culte funéraire. Leur invocation sur les monuments devient presque systématique au cours du premier siècle de notre ère, ce qui ne signifie pas qu’on y attachait plus d’importance qu’avant : les formules funéraires sont question de mode. Ils sont mentionnés au datif puisque c’est à eux qu’on fait le monument, suivis du nom de la défunte au génitif : chaque mort avait ses propres dieux mânes. Notons au passage qu’il n’est pas rare, après DM, de trouver le nom du défunt au datif, comme dans les anciennes formules, voire au nominatif, ce qui montre qu’on ne prêtait pas forcément une grande attention au sens de la formule.

    L’indication de la durée de la vie, au jour près, est assez fréquente, et très frustrante pour le lecteur moderne, qui préférerait une année de naissance ou une année de décès, à cette vaine précision. Les Romains attachaient manifestement une grande importance au temps, mais n’en avaient pas la même conception que nous.

    Les superlatifs utilisés par le veuf pour qualifier sa défunte pourraient impressionner et témoigner d’une vive affection, si leur usage n’était pas d’une grande banalité : beaucoup d’épouses sont très chères et très saintes une fois décédées. D’autres sont très pieuses (ce qui, chez les Romains, ne signifie pas qu’elles étaient assidues à la messe, mais observaient très bien leurs devoirs envers leurs maris, faisaient bien la cuisine par exemple), ou très chastes.

    Le plus intéressant est ici le nom du Monsieur[1], qui commence comme celui d’un prince, de trois princes même. Il a même praenomen et nomen que Vespasien (Titus Flavius Vespasianus) et ses deux fils et successeurs, Titus (qui s’appelait exactement comme son père, et qu’on désigne par son prénom pour l’en distinguer) et Domitien (Titus Flavius Domitianus), qui régnèrent de 69 à 96. Cela n’en fait pas un grand personnage. Les noms impériaux sont les plus répandus dans le monde romain car un étranger fait citoyen romain par un prince, ou un esclave du prince affranchi par lui, prenait son prénom et son nom, et faisait de son ancien nom d’étranger ou d’esclave son cognomen. Le nom, toujours, et le prénom, presque toujours, étaient transmis à leurs descendants mâles : un Flavius n’est pas forcément un affranchi d’un de ces trois princes ou un nouveau citoyen, mais peut en être un descendant.

    Celui-ci a un cognomen grec, Chrysippus. Ce pourrait être un grec fait citoyen romain mais, à Rome même, c’est très improbable. Les noms grecs y sont presque toujours des noms d’esclave, non qu’ils fussent tous grecs, mais parce que les Romains donnaient le plus souvent, mode ou snobisme, des noms grecs à leurs esclaves, qui les gardaient quand ils étaient affranchis. Ils donnaient en revanche à leurs enfants qui, contrairement à eux, étaient citoyens romains de plein droit, des cognomina parfaitement romains, qui n’indiquaient pas leur origine. On peut donc être à peu près certain qu’il s’agit d’un affranchi, même s’il ne l’indique pas. L’identité complète d’un citoyen romain comprenait normalement la filiation, c’est à dire la mention, entre le prénom et le nom, du prénom du père, Titi filius par exemple. Pour les affranchis, elle était remplacée par le prénom de l’ancien patron, et filius par libertus. Il n’y a pas ici de filiation, ce qui n’est pas exceptionnel : elle tend à disparaître sur les inscriptions, à une époque ou les fils ont tendance à recevoir systématiquement le prénom de leur père, même quand ils sont plusieurs (voir les deux fils de Vespasien). Il est possible que notre Chrysippus n’ait pas souhaité afficher sa condition d’affranchi, inférieure à celle du citoyen, mais il est tout aussi possible qu’on ait omis la filiation faute de place sur la pierre.

    Il serait néanmoins fort imprudent d’en faire un affranchi impérial, et de dater l’inscription d’après cela, des règnes des Flavii ou d’une trentaine d’années au plus tard. Des affranchis des princes ont également eu des esclaves, en ont affranchis certains, qui sont devenus, comme eux, Titus Flavius. Les descendants des affranchis des princes aussi. Si ce pénible donnait sa filiation, on pourrait le savoir : affranchi d’un particulier, il serait Titi libertus, affranchi impérial, Augusti libertus, en précisant même éventuellement duquel il s’agissait. Le titre d’affranchi d’Auguste ayant un certain prestige, on est tenté déduire de son absence qu’il ne l’est pas, mais ça ne peut être qu’une hypothèse fragile.

    Feue Madame, qui n’a bien sûr pas de prénom (c’était réservé aux hommes), porte également un nom de prince, différent de celui de son mari (chez les Romains, la femme ne changeait pas de nom en se mariant), Iulia, féminin de Iulius, mais plus ancien : c’est celui des trois premiers, Auguste, Tibère et Caius (qu’on a la bête habitude en français d’appeler Caligula) qui le tenaient, par adoptions successives, du dictateur Caius Iulius Caesar (non, Jules n’était pas son prénom. C’est sans doute pour ça qu’il fait la tête quand Astérix et Obélix l’appellent ainsi). Son cognomen est tout à fait latin, mais presque exclusivement attesté pour des esclaves et des affranchies il signifie d’ailleurs « petite chèvre », ce qui semble assez peu flatteur, et peut expliquer cela. Elle n’est évidemment pas une affranchie impériale : elle aurait été affranchie, dans l’hypothèse la plus favorable, au moins trente ans avant son mari. Elle peut être l’affranchie d’un descendant d’un affranchi d’un des Jules, ou d’un étranger fait citoyen romain par l’un d’eux (On en trouve à Rome. Le plus célèbre est Cnaeus Iulius Agricola, sénateur, consul, et beau-père de l’historien Tacite, originaire de Fréjus, vraisemblablement issu d’un Gaulois fait citoyen par le dictateur César ou par Auguste). Elle pourrait être aussi la descendante née libre d’un affranchi ou d’une affranchie, mais on a deux raisons de préférer la première hypothèse, son cognomen servile, et qu’elle soit l’épouse d’un affranchi.

    C’est sans aucun doute elle qui est représentée dans la partie basse de l’autel, en train de boire un verre, couchée car c’est ainsi que les Romains mangeaient comme chacun sait.

    Ceux qui y tiennent absolument pourront voir là une évocation de sa vie dans l’au-delà, sans aucune garantie bien sûr. On remarque le travail des détails, qui offre peur de matière à commentaires, mais beaucoup à photo.

    L’inscription nous apprend enfin qu’il s’agit d’un monument familial où, après celles de Capriola, seront déposées les cendres de Chrysippus, prévu aussi pour leurs enfants et pour leurs descendants. On peut en conclure qu’ils avaient des enfants, qui ne sont pas nommés. C’est dommage : on aimerait bien connaître leurs cognomina pour étayer les hypothèses précédentes. On ne sait bien sûr pas combien de personnes ont finalement eu là leur sépulture : les cendres ne se retrouvent pas.

    On ne sait rien d’autre, non plus, sur ces braves gens. Il est rare, quand on n’est pas des puissants, qu’on laisse plus d’une inscription à son nom, celle du tombeau. Encore, pour que cette trace unique nous soit connue, faut il que le hasard des fouilles nous permette de la retrouver. Cet autel a été découvert en 1875 sur l’Esquilin, la plus à l'Est des sept collines de Rome, lors, nous dit l’étiquette du musée, des fouilles de la Compagnie foncière italienne. On a trouvé apparemment bien d’autres choses lors de ces fouilles, puisque je trouve sur Google trace d’un livre qui leur a été consacré : Pitture e sepolcri scoperti sull'Esquilino dalla Compagnia Fondiaria Italiana nell'anno 1875, d’un nommé Edoardo Brizio, paru à Rome dès 1876. D’après son titre, il y avait plusieurs tombes, ce qui semble indiquer que cette pierre a été trouvée sur le site où elle avait été placée, donc en dehors des limites de Rome : les morts étaient alors rejetés hors des villes, suspects d’avoir des dieux mânes pleins de mauvaises intentions.

    À voir ce si joli monument, on se dit qu’il fallait avoir une certaine fortune pour se payer ça. Nous n’en savons malheureusement pas plus : nous avons des milliers d’exemplaires des œuvres de l’art funéraire à cette époque, mais aucune indication sur ceux qui le pratiquaient ni bien sûr sur leurs tarifs. On ignore également, ce qui, dans un tel monument, était un travail original sur commande, hors bien sûr la gravure de l'inscription, et ce qui était prêt à servir pour n'importe quel défunt. Nous ne saurons donc pas si c'est bien Capriola que nous voyons en bas de cet autel, ou n'importe quelle figure féminine faite à l'avance au dessus de laquelle on a rajouté son nom. 

    La prochaine fois, nous parlerons (peut-être) du traité de Maastricht.

    16-18 octobre 2016 (pour le texte)

    7 octobre 2012 (pour les photos)

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    [1] Sur les noms romains, comme il vaut toujours mieux se citer que se répéter, voici un extrait d’un excellent livre :

    "Le citoyen romain mâle porte trois noms : le praenomen, le nomen et le cognomen.

    Le nomen fonctionne, pour les hommes du moins, comme notre nom de famille : il est transmis de père en fils. Il a presque toujours une terminaison en –ius, comme les deux plus célèbres que nous ayons rencontrés, Claudius et Iulius.

    Le praenomen (du préfixe prae-, qui se trouve en avant) avait pour fonction, comme aujourd’hui, de distinguer entre les individus d’une même famille. Mais le nombre de prénoms est resté strictement limité : on en connaît une douzaine, qui sont presque systématiquement abrégés par leur initiale, pour certains par leurs deux premières lettres, dans les textes. Il est donc souvent précisé par le prénom du père. Mais l’usage semble s’être institué très vite de donner presque systématiquement au fils aîné le prénom de son père.

    C’est sans aucun doute pour distinguer les Romains ayant mêmes nomen et praenomen qu’est apparu un troisième nom, le cognomen. On traduit généralement ce mot en français par surnom, ce qui correspond à son étymologie (cum-nomen, qui va avec le nom) mais non à sa nature. Le cognomen est en effet un élément du nom officiel du citoyen romain. À l’origine, la plupart des cognomina semblent avoir été attribués, à l’âge adulte, en fonction de particularités physiques ou morales. Ainsi l’ancêtre de Tibère, Appius Claudius Caecus a-t-il été ainsi désigné après être devenu aveugle (caecus). Mais, très rapidement, ils se sont aussi transmis héréditairement. Ainsi, si cicero signifie pois chiche, et évoque vraisemblablement une verrue sur le visage, nous ne pouvons rien en tirer quant au physique du grand orateur, car son frère, son père et son grand-père s’appelaient également Cicéron : c’est donc un de ses ancêtres qui avait reçu ce cognomen vraisemblablement pour cette raison, et l’avait transmis à sa descendance. Il n’y a cependant pas de règle générale. Dans certaines familles, tous les fils héritent du cognomen de leur père : c’est le cas chez les Tullii Cicerones, c’est aussi le cas chez les Iulii, qui s’appellent tous César. Ils sont alors distingués par leurs prénoms comme Marcus Tullius Cicero, l’orateur, et Quintus, son frère, ou Caius et Lucius Caesar, les fils adoptif d’Auguste. On utilise aussi parfois un deuxième cognomen. C’est le cas pour les fils aînés de Germanicus, qui au nom de Iulius et au cognomen de Caesar ajoutent ceux, repris de leurs ancêtres Claudii, de Nero et Drusus.

    Mais cela n’est pas systématique. Tibère reçoit à sa naissance les trois noms de son père, Tiberius Claudius Nero, mais son frère cadet porte, lui, le cognomen de son ancêtre maternel, Drusus. Le cognomen est donc ce qui ressemble le plus à nos prénoms d’aujourd’hui : il en existe un très grand nombre, qui sont donnés sans règle fixe, mais on voit souvent revenir les mêmes dans une même famille." (E. Lyasse, Tibère, Paris (Tallandier), 2011, p. 227-29)


  • [version PDF]

    Il est tout à fait paradoxal, quand on a passé l’été à pester contre la ridicule polémique sur les maillots de bain, et à s’affliger qu’une chose aussi grotesque pût suffire à enterrer les espoirs de renouveau du mouvement ouvrier qu’avait fait naître la lutte contre la loi El Khomri, de commencer le blog qu’on lance enfin après des années d’hésitation et de flemme, par un article sur ce sujet.

    J’assume la contradiction. Je crois que, alors que pour de simples raisons de calendrier le délire se calme un peu faute d’objet, et dans l’attente de l’inévitable polémique sur le burkiski[1] qui ne devrait pas tarder si tout va bien et si le temps le permet, il est possible de tenter de contribuer à une réflexion de fond, non sur ce sujet, qui n’en a certes pas, mais sur tout l’arrière-plan qui a rendu ce délire possible.

    Des signes religieux

    Un préalable s’impose, pour lever une erreur tristement répandue qui rend précisément toute réflexion sur ce sujet impossible. Depuis que certains on jugé bon, en 1989, de faire de cette question matière à polémique, il est presque communément admis, chez ses contempteurs comme chez ses défenseurs, que le voile est un signe d’appartenance à la religion musulmane. C’est grossièrement, ridiculement, dramatiquement faux. Le voile n’est pas, pour les femmes musulmanes qui le portent, un signe religieux, mais l’application d’un précepte religieux. Ce n’est pas une simple nuance. Elles ne portent pas la voile pour faire savoir qu’elles sont musulmanes, mais parce qu’elles ont la conviction, que des non musulmans peuvent certes trouver aberrante, que Dieu leur demande de s’habiller ainsi, et qu’elles l’offenseraient en agissant autrement.

    Pour prendre ailleurs que dans l’Islam un exemple, d’un cas qui m’est cher, le mien, je porte habituellement, depuis une trentaine d’années, une croix autour du cou. Pas ces temps ci : depuis six mois qu’on me promène d’IRM en table d’opération, j’y ai renoncé, après m’être ridiculisé en demandant, car je n’y parvenais pas, à une infirmière de me l’ôter, laquelle a d’ailleurs eu bien du mal avec le fermoir merdique qui n’avait pas été ouvert depuis quinze ans au moins. S’il se confirme que mon cou est recollé dans le bon sens, je devrais bientôt pouvoir la remettre. Si j’ai porté, et porterai à nouveau si Dieu le permet, cette croix, c’est pour apprendre que je suis catholique à quiconque regarde mon cou. Ce ne m’est absolument pas une obligation : c’est pourquoi je m’en suis séparé sans grand souci pendant quelque temps pour raison pratique. Il s’agit, justement, d’un signe d’appartenance religieuse. Si on m’interdisait de la porter, on attenterait à ma liberté d’expression, à cette liberté seulement. Il va de soi que celui qui aurait une telle intention s’exposerait au risque d’apprendre comment je m’appelle, que je ne suis pas et ne serai vraisemblablement jamais d’humeur à tolérer qu’on m’interdise d’afficher ma foi, sur la terre de France. Mais je comprendrais, certes sans l’approuver, qu’on m’en empêche dans un pays musulman, voire dans un pays protestant. En revanche, celui qui, sous quelque latitude que ce soit, voudrait me contraindre à manger de la viande un vendredi saint ferait preuve d’une violence extrême, inacceptable, contre ma liberté religieuse. Il s’agit là d’une prescription de la religion à laquelle j’adhère, non d’un signe d’appartenance à cette religion. Pour les femmes musulmanes qui le portent, le voile est exactement la même chose.

    Des textes sacrés

    On dira qu’elles ne le portent pas toutes. Certes. Nous arrivons là au deuxième nœud du problème. C’est une sottise répandue, en particulier dans certains milieux catholiques, que le problème de l’Islam est qu’il interdit l’interprétation du Coran, du texte sacré dicté par Dieu au prophète Mahomet. Le problème, en fait, est exactement inverse. L’Islam, au contraire, laisse chaque croyant seul face au texte sacré, charge à lui de l’interpréter[2]. Le Coran dit que la femme croyante doit se couvrir d’un voile[3]. Autant que je sache, la majorité des musulmans[4], au Maghreb en tout cas, considère que cela signifie que les cheveux et les oreilles doivent être entièrement cachés, non les yeux et la bouche. Mais d’autres pensent que la bouche doit être également voilée. Le cas le plus extrême est celui de la burqa afghane, qui ne laisse même pas apparaître les yeux, le visage étant totalement caché par un grillage qui permet de voir sans être vu. Inversement, il en est pour qui il suffit que le voile soit porté sur la tête, même en laissant voir une partie des cheveux. Il en est même qui jugent que cette prescription n’a plus d’actualité, et qu’une femme musulmane peut très bien aller tête nue. Certains, enfin, adeptes en théorie de l’une des formes de voile que nous avons évoquées, estiment que dans un contexte de persécution (nous y sommes, hélas, en France) on a le droit de se dispenser du précepte pour éviter des ennuis inutiles. Répétons le, car c’est l’essentiel : chaque croyant doit interpréter le texte sacré, et il n’est aucune autorité absolue qui puisse lui en imposer une interprétation, seulement des commentateurs plus ou moins réputés ou reconnus qu’il peut choisir de suivre ou ne pas suivre. Il faut enfin préciser que, dans tous les cas que nous avons cités, et dans tous ceux que nous avons omis car le nombre de nuances possible est presque infini, il y a deux sortes d’individus : ceux pour qui c’est à chacun de juger et ce sera à Dieu de dire in fine qui avait raison et qui avait tort, ceux qui tiennent que leur interprétation est non seulement la bonne, mais la seule possible, et que tous les autres sont de mauvais croyants qui doivent être convertis, ou exclus, éventuellement par la violence la plus extrême. Cette deuxième catégorie, présente aussi bien chez les amateurs de burqa que chez les ennemis de tout voile, est évidemment et fort heureusement très minoritaire, mais elle n’a pas besoin d’être très nombreuse pour faire des dégâts importants.

    Une mise au point commode dans Courrier international (30 avril 2010), qui a le mérite de préciser qu’il s’agit des principaux types.

    Une mise au point commode dans Courrier international (30 avril 2010), qui a le mérite de préciser qu’il s’agit des principaux types.

    Saint Paul, dans sa première lettre aux Corinthiens, écrit

    Si donc une femme ne met pas de voile, alors, qu'elle se coupe les cheveux ! Mais si c'est une honte pour une femme d'avoir les cheveux coupés ou tondus, qu'elle mette un voile. L'homme, lui, ne doit pas se couvrir la tête, parce qu'il est l'image et la gloire de Dieu; quant à la femme, elle est la gloire de l'homme[5].

    Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que, pour les chrétiens, il s’agit d’un texte appartenant à la Bible, donc très différent de tous les écrits d’autres saints publiés en quelque vingt siècles de chrétienté, car divinement inspiré, à peu près donc ce qu’est le Coran pour les musulmans, à quelques nuances près sur lesquelles nous ne nous étendrons pas aujourd’hui[6]. Or on trouve aujourd’hui dans nos rues, et même dans nos églises, fort peu de catholiques voilées, ou tondues. C’est là toute la différence entre l’Islam et le catholicisme. Ce n’est pas, mais alors pas du tout, que la religion catholique donne au croyant le droit de s’asseoir sur le texte sacré. Mais elle est dotée d’une hiérarchie divinement instituée qui détient le monopole de son interprétation. Alors que chaque musulman peut et doit trouver tout seul ce que signifie aujourd’hui ce que dit le Coran sur le voile des femmes, la hiérarchie catholique enseigne avec autorité que le texte de Paul, si inspiré qu’il fût, valait éventuellement pour son époque, non pour la nôtre, et que s’il y a encore pour nous des conséquences à en tirer sur ce qu’est une tenue correcte pour une femme ou un homme, il ne doit pas être pris au pied de la lettre[7]. L’Islam ne connaît rien de tel : il y a à peu près autant d’interprétations possibles du texte sacré que de croyants. C’est un des sottises les plus effarantes de nos chers gouvernants et de leurs brillants journalistes que de croire, quand se pose un problème avec des musulmans, le plus souvent de voile, parfois d’autre chose, l’avoir résolu quand ils ont trouvé un « imam » pour, affirmer soit parce que c’est sa conviction, soit parce qu’on lui a mis la trouille, soit parce qu’on lui a filé la pièce, que le Coran ne dit pas ce qu’ils ne veulent pas qu’ils disent, et que les musulmans doivent obéir aux lois de la République. Il ne convaincra que ceux qui veulent bien l’être, essentiellement ceux qui étaient déjà de cette opinion auparavant. Quand l’archevêque de Paris ordonne quelque chose, tous les catholiques de Paris doivent, si du moins ils veulent rester catholiques, obtempérer, sous réserve d’un appel non suspensif en cour de Rome, devant le premier des évêques à ce titre évêque universel. Une autorité musulmane, quelle qu’elle soit, n’a que l’autorité qu’elle revendique, uniquement auprès de ceux qui sont disposés à la reconnaître. Il y a là un paradoxe amusant : c’est ce qui, chez les catholiques, suscite particulièrement l’horreur de tous les militants de la laïcité, ou la libre-pensée, ou la rationalité, la notion de hiérarchie divinement instituée, qui permet qu’il soit en général assez facile à un État non catholique de régler les problème avec ceux-ci, puisqu’il lui suffit de s’entendre avec cette hiérarchie pour avoir l’assentiment de tous les fidèles. Il faut préciser ici que ce ne sont pas les musulmans qui font preuve en cela d’une curieuse originalité, mais bien la religion catholique qui est une exception. Les chrétiens protestants, par exemple, ont un rapport à la Bible qui est à peu près exactement celui des musulmans au Coran. C’est une idée répandue en France que tandis que les catholiques sont méchants, bornés, intransigeants, les protestants sont gentils, ouverts et tolérants. Elle relève de l’erreur vue plus haut à propos des musulmans. Chez ceux-ci comme chez ceux-là, le croyant est seul face au texte sacré, dont il y a autant d’interprétations possibles que de croyants. Il y a effectivement des protestants qui ont une lecture beaucoup moins intransigeante de la Bible que celle commune aux catholiques. Mais chez d’autres, elle l’est beaucoup plus. Il n’y a pas de catholique strictement fondamentaliste, du genre qui croit que le monde ne peut avoir été créé qu’en sept jours, et dans l’ordre décrit par le livre de la Genèse : beaucoup de protestants le sont[8]. Si les familles Bush et Ben Laden ont pu, dans un premier temps, si bien s’entendre, c’est qu’elles avaient à peu près la même conception de la religion, privilégiant dans le texte sacré les passages (on en trouve dans la Bible comme dans le Coran) où il est question de massacrer tous ceux dont la tête ne nous revient pas et les prenant au pied de la lettre. Cette entente ne pouvait bien sûr durer qu’à distance, tant qu’ils ne se croisaient pas et ne se reconnaissaient pas mutuellement comme des infidèles à massacrer.

    D’un cléricalisme paradoxal

    On pense spontanément, en France, la question du rapport d’une religion à l’État sur le modèle de celui qu’il a à l’Église catholique, avec, depuis des siècles (Non, cela ne date pas de 1905, ni de 1789. Déjà, sous Robert le Pieux…) des conflits qui sont presque toujours résolus de façon raisonnable de la même manière à peu près. C’est une preuve que la terre de France est décidément, malgré que certains en aient, imprégnée de catholicisme, chose réjouissante en soi, mais dont cette conséquence conduit à dire et à faire des bêtises. S’agissant de l’Islam, comme à peu près de toute autre religion, c’est se condamner à ne rien comprendre.

    On voit toute l’absurdité de l’idée, apparue il y a une vingtaine d’années, appliquée en 2003 avec la mise en place du Conseil français du culte musulman, et que le gouvernement vient de relancer spectaculairement, qu’on résoudra tous les problèmes en « organisant l’Islam de France ». Comme on ne sait décidément discuter, quoi qu’on en dise, qu’avec l’Église catholique, on croit tout arranger en créant de toute pièce un genre d’Église gallicane pour musulmans avec qui on pourra enfin s’entendre. Il est parfaitement ridicule, d’abord, qu’un État qui prétend ne reconnaître aucun culte prétende créer une religion officielle à l’intention d’une minorité. Que Valls et Hollande aient choisi pour en être le Grand Mufti Jean-Pierre Chevènement, qui serait resté comme un des meilleurs théoriciens, organisateurs et orateurs de l’histoire du mouvement ouvrier français s’il était mort dans la nuit du 29 au 30 octobre 1983, et encore comme un homme d’État au parcours tout à fait honorable s’il n’avait pas survécu au printemps 1997, mais n’a su hélas depuis refuser aucune des nombreuses occasions qui lui ont été données de se couvrir de ridicule, ne fait qu’ajouter une note comique de plus[9]. Mais il est surtout dramatiquement aberrant de croire qu’on réunira dans cette religion officielle tous les musulmans qui sont en France, et qu’on pourra leur imposer d’obéir à ses fatwas. C’est ignorer absolument ce qu’est la liberté religieuse. Cette nouvelle religion d’État pourra recruter des adeptes parmi eux, et en trouvera d’autant plus qu’elle sera généreusement subventionnée : elle ne saurait les contraindre tous à lui appartenir, et les empêcher de préférer leur religion présente à celle que leur offrent généreusement Hollande et Valls. Le très grand, très beau et très nouveau « Islam de France » aura beau décréter que le voile n’est pas obligatoire, ou qu’il est interdit, ou que la loi peut légitimement l’interdire en certains lieux, il restera en France des musulmans pour penser et dire le contraire. Et ce sera leur droit, inaliénable.

    De la liberté religieuse

    Est-ce à dire que tout doit être autorisé en France, au nom de la liberté religieuse, à qui se réclame d’une religion le lui imposant ? Bien évidemment, non. Il faut distinguer, dans la liberté religieuse, trois aspects différents : le liberté de croyance, la liberté de culte et, plus largement, de pratique, la liberté de propagande. La première est absolue, et ne peut souffrir aucune restriction, car elle relève, comme l’a heureusement rappelé le dernier concile œcuménique, de la dignité humaine[10]. Les deux autres peuvent, et doivent, être limitée par la notion d’ordre public. Pour prendre un exemple que j’espère non polémique, supposons un Français ou étranger résident en France convaincu que le soleil ne se lèvera pas demain si on ne sacrifie pas au sommet d’une pyramide, comme on dit que ça s’est fait en d’autres temps sous d’autres cieux, quelques dizaines de jeunes gens. Aucune loi ne peut l’empêcher de croire cela : c’est son droit le plus strict. Il est en revanche hors de question qu’on l’autorise à pratiquer son culte : un tel massacre serait évidemment contraire à l’ordre public tel qu’il est défini par la loi française, comme autant que je sache, par toutes les lois de tous les pays existant aujourd’hui. Pas de liberté de culte et de pratique, donc. Dans le cas précis, il serait également tout à fait déraisonnable de l’autoriser, même s’il n’a aucune intention de passer à la pratique, à publier sa conviction religieuse, car cela pourrait en donner l’idée à d’autres. Pas de liberté de propagande non plus. D’autres cas sont différents. Ainsi, les catholiques de France ont évidemment le droit de penser que le 25 mars, fête de l’Annonciation, devrait être férié comme il l’était jadis. Si, tout aussi évidemment, ceux d’entre eux qui, salariés ou fonctionnaires, n’iraient pas travailler ce jour là pour cette raison s’exposeraient à des sanctions incontestablement justifiées, il n’y a aucune raison de leur refuser le droit d'exprimer (même s’ils le font rarement) leur opinion à ce sujet.

    Si nous en revenons au voile, il est donc évident que tout musulman, homme ou femme, en France comme ailleurs, et éventuellement tout non musulman, a le droit de croire qu’une femme ne peut se montrer en public qu’avec un voile, de quelque nature qu’il soit. Quand on passe à la pratique, la seule question doit être : le port d’un voile par une femme dans l’espace public en France trouble-t-il l’ordre public ? S’agissant du modèle le plus courant, qui couvre les cheveux et les oreilles, et de ceux qui couvrent moins encore, la réponse ne peut être que négative. Il s’agit d’une tenue qui n’outrage en rien la décence et les bonnes mœurs telles qu’elles sont couramment définies en France, telles, en tout cas, quelles l’étaient avant que naquît cette curieuse obsession (depuis, on ne sait plus).

    Il en est pour hurler que c’est un signe religieux : nous avons déjà vu pourquoi ce n’en était pas un. Mais, même si c’était le cas, où serait le problème ? Il n’est pas interdit de manifester son appartenance religieuse sur la terre de France, tant qu’on ne trouble pas l’ordre public, ce qu’un simple vêtement ne fait certes pas. Un autre argument est que ce voile signifie la soumission de la femme à l’homme, ou du moins son infériorité. Malgré tous les efforts faits par certains, qui parlent par exemple de pudeur, pour prouver le contraire, ce point est difficilement niable. Une doctrine, qui n’est pas forcément l’Islam, qui impose à la femme de cacher au moins une partie de son visage, et rien de comparable à l’homme, a nécessairement en arrière-plan l’infériorité de celle-là sur celui-ci (même si toutes celles qui suivent ce précepte, le plus souvent depuis des générations, n’en sont pas forcément conscientes). Reste à voir les conséquences qu’on peut en tirer. On peut certes le désapprouver : c’est mon cas. Au nom de quoi pourrait-on l’interdire ? Au niveau de l’idée, nous revenons à l’absolue, intangible, liberté de croyance, aussi aberrante que nous paraisse cette croyance (et il en est certes de beaucoup plus aberrantes encore). Quant à l’application pratique, nous sommes ramenés à la notion d’ordre public, qu’un tel vêtement ne trouble pas.

    On nous opposera là l’argument ultime : il est évident que ces malheureuses sont contraintes par leurs maris, ou leurs parents, ou leurs frères, et que ceux qui prétendent les défendre se font complices de leur oppression. La force attribuée à cet argument est le signe certain que ce débat marche sur la tête. Il est clair que la loi doit protéger toutes les femmes qui veulent sortir tête nue, comme d’ailleurs celles qui veulent la garder couverte, et qu’aucune forme de contrainte ne doit être tolérée. Une femme à qui son mari, ou tout autre d’ailleurs, prétend imposer le port du voile, ou d’ailleurs de tout autre vêtement, doit avoir le droit et la possibilité concrète de s’en plaindre, jusque éventuellement au divorce prononcé aux torts du mari. Si le mari, ou tout autre, use de violence contre elle, il doit être condamné pour cela (mais à ce stade, il n’est plus besoin qu’il soit question de voile). il serait en revanche fort dangereux de prétendre protéger malgré elles celles qui ne se plaignent pas en interdisant à toutes ce qui peut être une contrainte pour quelques-unes.

    De la liberté de se vêtir

    Il n’y a rien d’absurde, bien sûr, à légiférer sur les vêtements qu’on peut ou ne peut pas porter dans l’espace public : on le fait depuis presque toujours, à peu près partout. Par exemple, on ne peut se promener torse nu dans une ville de France, à quelques exceptions près justifiées par la proximité des plages, sans s’attirer des ennuis, parce que cela est considéré comme indécent. Il est impossible de donner à cela une justification théorique : il s’agit d’un sentiment largement partagé, ici mais non pas forcément ailleurs, qui suffit à justifier une interdiction. Ces normes évoluent progressivement avec les mœurs et la mode : des tenues qui paraissaient indécentes il y a quelques siècles, ou quelques décennies seulement, semblent tout à fait normales aujourd’hui. Cette évolution ne va pas toujours, contrairement à une idée reçue, dans le sens de plus de permissivité : un homme qui s’habillerait comme au quinzième siècle serait certainement jugé indécent dans la France d’aujourd’hui[11].

    Mais on ne peut sérieusement décréter qu’il est indécent pour une femme de se couvrir la tête. Il n’y a d’ailleurs rien là de spécifiquement musulman. On a souvent parlé du voile que portent certaines religieuses catholiques, et à chaque fois des voix se sont élevées pour dire que ce n’était pas du tout la même chose. C’est un fait que ce n’est pas du tout la même chose. Porter un voile parce qu’il fait partie de la tenue d’un ordre religieux auquel on a choisi librement de consacrer sa vie est fort différent d’en porter un parce qu’on s’y croit obligée en tant que femme. Burkini aussiMais comment les distinguer, en pratique, s’il s’agit de légiférer ? Beaucoup plus généralement, il était assez rare, en France, il y a cent ans, qu’on sortit de chez soi, qu’on fût homme ou femme, tête nue. Les hommes portaient chapeau ou casquette, les femmes, beaucoup plus souvent qu’un chapeau, un fichu couvrant les cheveux ressemblant fort à la plupart des voiles islamiques. Ce n’était pas une prescription religieuse, simplement une habitude. La mode a changé, le couvre-chef en général et le fichu en particulier se font rares. Mais on ne peut sérieusement décréter que nos grands-mères troublaient l’ordre public, ni, décemment, qu’elles le troubleraient aujourd’hui, ni qu’une femme portant, contre la mode, sans aucune raison religieuse, le fichu, par exemple parce qu’elle a un problème de cheveux, ou simplement parce qu’elle trouve ça joli (ça peut l’être), le trouble[12].

    L’aporie du discours anti-voile aujourd’hui dominant, quand il prétend se placer sur le terrain juridique, est évidente : il ne s’en prend pas à fait, le port de ce vêtement, mais aux intentions réelles ou supposées de celles qui le portent, ou de ceux qui les défendent. Si, dans le cas d’un délit avéré, l’intention peut être retenue comme circonstance aggravante, ou atténuante, on ne peut définir un délit par une intention, quand le fait en soi n’est pas condamnable. On ne peut, décidément, interdire à toute femme de se couvrir la tête. On ne peut, évidemment, l’interdire aux seules musulmanes, parce qu’elles le feraient avec des intentions mauvaises. On a bien sûr le droit de penser qu’elles ont tort, de le dire et de dire pourquoi, comme elles-mêmes et ceux qui pensent qu’elles ont raison ont des droits symétriques. Il ne peut être question d’interdiction, comme il ne peut être question d’obligation, dans un État qui se prétend neutre.

    Il reste bien sûr des cas particuliers. Ce qui est dit plus haut ne vaut pas pour tous les types de voiles, certainement pas pour la burqa afghane, probablement pas pour ceux qui ne laissent voir que les yeux. Il peut être ici légitime de parler de vêtement contraire aux normes de la décence communément admises en France. En tout cas, ces voiles posent un problème spécifique d’ordre public : ils empêchent toute identification de celles qui les portent. L’interdiction par une loi récente est donc parfaitement justifiable, si du moins on fait abstraction de toutes les âneries qui ont été proférées à ce sujet pour s’en tenir à cet argument, si d’autre part on est décidé à l’appliquer, et non à utiliser sa non application comme moyen de vaines polémiques.

    Il est aussi des situations om on peut interdire tout couvre-chef, aux hommes comme aux femmes, donc tout voile, ou imposer un couvre-chef qui n’est pas le voile. Encore faut-il qu’elles soient clairement justifiées, de telles sorte qu’elles ne puissent donner l’impression d’être une façon hypocrite de s’en prendre aux musulmanes, sans qu’il soit question donc de laïcité, de neutralité (Il ne peut y avoir de neutralité en cette matière : on a la tête nue ou la tête couverte, c’est un choix qui n’admet pas de solution médiane raisonnable), de féminisme ou de république[13].

    Du burkini, donc

    Le désormais fameux burkini, auquel nous arrivons enfin, peut-il relever de ces cas particuliers ? Il s’agit d’une invention récente, australienne, dont la conceptrice dit avoir voulu donner aux femmes musulmanes soucieuses de respecter les préceptes de leur religion la possibilité de se baigner comme toutes les autres, et a ainsi apparemment gagné beaucoup d’argent. Le nom du machin a largement contribué au développement de la polémique. Ses inventeurs ont jugé astucieux d’y contracter les mots burqa, la forme la plus sauvage de voile islamique, et bikini. C’était peut-être, en Australie, une trouvaille commerciale géniale : en France, c’est désastreux. Il faut le dire, et le répéter : le burkini, hors son nom, n’a rien, absolument rien, à voir avec la burqa afghane. Il s’agit d’un vêtement couvrant tout le corps, sauf les pieds et les mains, et masquant les cheveux et les oreilles, non le visage, d’ailleurs assez moulant (Ci-contre, photo d’un modèle trouvée sur un site de vente musulman)[14]Burkini aussi. C’est une tentative de compromis entre le maillot de bain et les exigences de l’Islam en matière de tenue féminine telles qu’elles sont comprises par la plupart des musulmans, mais certainement pas par les amateurs de burqa ou de voile intégral, qui ne peuvent que le juger inacceptable. Pour reprendre, avec toutes les réserves nécessaires, les catégories officielles, l’usage public de ce maillot de bain ne peut être approuvé que par des musulmans « modérés », qui pense qu’une femme doit cacher ses cheveux mais non son visage et acceptent qu’elle se baigne en présence d’hommes, dans un vêtement assez moulant[15]. Il est donc fort étonnant qu’il ait pu provoquer une telle polémique, et que des maires, soutenus par certains tribunaux et bien sûr par le premier ministre et sa cohorte d’intellectuels officiels, aient cru pouvoir l’interdire sur les plages, avec des arguments proprement hallucinants sur la laïcité, la neutralité, la républicanité de celles-ci[16]. Il est pourtant clair que les plages font partie de l’espace public, avec certes cette particularité qu’on y tolère des tenues qui ne le seraient pas ailleurs. Mais il n’est pas pour autant interdit d’y être habillé, ni de pénétrer habillé dans la mer[17]. Au nom de quoi pourrait-on interdire sur les plages un type de vêtement autorisé ailleurs[18] ? On ne sait pas. Mais ça ne pose manifestement aucun problème à tous ceux-là. La leçon la plus abominable de ce triste épisode est bien là : quand on se trouve du côté du pouvoir, et qu’on dispose de toutes les caisses de résonance permettant de hurler très fort, on peut dire parfaitement n’importe quoi avec succès. À ce point là, c’est assez nouveau. On a certes vu, qu’il s’agisse de retraites, de code du travail, et, surtout, des guerres menées d’Irak en Syrie via la Yougoslavie, l’Afghanistan et la Libye, des mensonges énormes hurlés impunément. Mais là, nous avons plus : une parfaite absurdité logique. On n’a même pas besoin de prétendre que les femmes voilées qui fréquentaient jusque là les plages arrachent des enfants prématurés aux couveuses ou fabriquent clandestinement la bombe atomique : il suffit de brailler que c’est interdit pour que ça marche.

    Intervient là, chez les rares qui ont accepté de discuter jusqu’à ce point, l’argument ultime : LE CONTEXTE. Il serait irresponsable de parler logique quand des attentats terroristes ont fait plusieurs centaines de morts en France ces derniers mois. C’est pourtant dans les situations les plus dramatiques qu’il est essentiel de garder son sang-froid. Ce n’est certes pas parce que les tueurs se réclament de l’Islam que s’en prendre aux femmes voilées sur les plages ou ailleurs contribuera à résoudre le problème. Le seul effet concret peut être de favoriser leur recrutement en confirmant que les musulmans sont persécutés en France. Là encore, la simple notion d’ordre public offre une solution simple : il est parfaitement autorisé de se couvrir la tête dans l’espace public ; il est strictement interdit de tirer à la kalachnikov ou de se faire exploser dans l’espace public. Il n’y a aucune raison d’établir le moindre lien entre ces deux attitudes.

     

    Nous arrivons au terme d’un texte bien long, écrit dans le seul but de démontrer la vanité d’une polémique. C’est une chose connue : il faut beaucoup plus de temps pour réfuter rationnellement des âneries que pour les proférer, ce qui donne un avantage certain à ceux qui les propagent. On aurait cependant tort de croire cela inutile. Il est clair qu’un pouvoir justement discrédité, tant sous sa forme de droite que sous celle de « gauche » lance de telles fadaises pour empêcher qu’on parle de choses sérieuses. L’effet de cette chasse au voile et aux musulmans n’en est pas moins redoutable, pour ses victimes, pour la cohésion du pays, pour le simple bon sens quand on a affaire à la plus redoutable catégorie de menteurs, celle qui arrive rapidement à croire à ses propres mensonges. Revenir sur tout cela permet aussi d’éclairer un peu la question du rapport entre l’État et les religions.

    Le lecteur bénévole qui aura bien voulu me suivre jusque là aura peut-être observé qu’il n’a pas été question, sinon négativement, de république et de laïcité. C’est un principe d’économie : on a vu que la question pouvait être traitée et résolue avec les notions assez simples de liberté religieuse et d’ordre public, sans recourir à ces deux redoutables abstractions. Il faudrait un jour pouvoir, sans risquer le bûcher, s’interroger sur la pertinence et l’utilité générale de cette merveilleuse notion de laïcité que le monde, paraît-il, devrait nous envier. On ne peut que constater, d’après les exemples qui précèdent et beaucoup d’autres, que quand elle est brandie dans un débat, c’est presque toujours pour dire en son nom des bêtises qui ne font que le compliquer ou le détourner. Il est de foi républicaine qu’elle serait le fondement indispensable d’un rapport sain entre l’État et les religions, mais on ne définit jamais ce rapport qui, expérimentalement, apparaît très malsain. On aimerait arriver à la conclusion que, puisque l’État considère la religion comme une affaire privée, il n’a pas à la maintenir dans un statut d’exception, mais peut et doit traiter les associations à but religieux exactement comme les autres, comme celles qui ont pour but le football, la belote ou le tricot.

    Emmanuel Lyasse, septembre-octobre 2016.

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    [1] Je dois ce pronostic à Coralie Delaume.

    [2] Pour un exposé sur la diversité de l’Islam, je revoie à l’excellent texte d’Adrien Candiard, o. p., Comprendre l’islam (ou plutôt : pourquoi on n’y comprend rien), conférence donnée le 21 novembre 2015, qu’il a publiée sur Facebook ici :

    https://www.facebook.com/notes/adrien-candiard/comprendre-lislam-ou-plutôt-pourquoi-on-ny-comprend-rien/10156260954685603/

    [3] Sourate XXXIII, verset 59 : « Prophète, dis à tes épouses, à tes filles, aux femmes des croyants de revêtir leurs mantes : sûr moyen d'être reconnues (pour des dames) et d'échapper à toute offense - Dieu est Toute indulgence, Miséricordieux ». Sourate XXIV, verset 31- « Dis aux croyantes de baisser les yeux et de contenir leur sexe ; de ne pas faire montre de leurs agréments, sauf ce qui en émerge, de rabattre leur fichu sur les échancrures de leur vêtement. Elle ne laisseront voit leurs agréments qu'à leur mari, à leurs enfants, à leurs pères, beaux-pères, fils, beaux-fils, frères, neveux de frères ou de sœurs, aux femmes (de leur communauté), à leurs captives, à leurs dépendants hommes incapables de l'acte, ou garçons encore ignorants de l'intimité des femmes. Qu'elles ne piaffent pas pour révéler ce qu'elles cachent de leurs agréments » (traduction de Jacques Berque). On passe sur les polémiques sur la traduction des mots arabes dont on considère en général qu’ils désignent un voile, qui sont justiciables de ce qui suit sur l’interprétation du texte.

    [4] On passe de musulmane à musulmans parce que, si la prescription ne concerne que les femmes, son interprétation est l’affaire de tous les croyants des deux sexes (il est bien sûr hors de question pour moi d’utiliser des E majuscules et des tirets pour exprimer cela).

    [5] 1 Co 11, 6-7, traduction dite de Jérusalem.

    [6] Pour la plupart des musulmans, le Coran a été dicté tel quel par Dieu à Mahomet, alors que l’Église catholique reconnaît un rôle propre à l’auteur inspiré. Voir la constitution dogmatique du dernier concile œcuménique, le deuxième tenu au Vatican, Dei verbum (http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_const_19651118_dei-verbum_fr.html) et, plus récemment, l’exhortation apostolique Verbum domini de Benoît XVI ( http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/apost_exhortations/documents/hf_ben-xvi_exh_20100930_verbum-domini.html ).

    [7] Précisons que le contexte rend le passage obscur, puisque Paul parle auparavant de la tenue requise pour prier. Il est difficile de dire si la formule sur le voile est pour lui une vérité générale, qui s’applique aussi à la prière, ou concerne seulement le moment de celle-ci. Là aussi, c’est une question d’interprétation.

    [8] J’ai entendu, pendant le bref moment de gloire de Sarah Palin en tant que candidate à la vice-présidence des États-Unis en 2008, un journaliste de France 2 la caractériser comme « fervente catholique ». Pour ce brave garçon, quelqu’un d’assez stupide et méchant pour croire que les dinosaures et les premiers hommes avaient cohabité sur terre ne pouvait être que catholique. Justement, non.

    [9] D’une mâle gaieté, si triste et si profonde que, lorsqu'on vient d'en rire, on devrait en pleurer.

    [10] Dignitatis humanae, déclaration sur la liberté religieuse, http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decl_19651207_dignitatis-humanae_fr.html

    [11] Quand on parle du scandale provoqué par les vêtements d’homme de Jeanne d’Arc, on pense spontanément à une femme en pantalon. Il vaudrait mieux penser à l’effet que peut faire aujourd’hui un homme en minijupe.

    [12] Notons au passage que l’erreur de ceux qui parlent de signe religieux est double : non seulement il n’est pas porté par les musulmanes dans ce but, mais son port ne suffit pas à caractériser une femme comme musulmane.

    [13] La loi de 2004 sur l’école pose un problème plus complexe Elle est, on l’aura compris, parfaitement idiote dans sa formulation, qui interdit les « signes religieux ostentatoires », cette notion curieuse inventée dans un seul but, interdire les voiles sur les têtes mais non les croix autour du cou. Comme on l’a vu, une croix est un signe religieux (ce n’est pas une raison pour l’interdire), un voile ne l’est pas. Tous les arguments sur la neutralité de l’école sont absurdes, parce que c’est l’enseignement qui devrait être neutre (il ne l’est pas, hélas), non les tenues des élèves. Les persécutions contre les fillettes s’obstinant à porter un voile paraissent particulièrement odieuses, surtout dans le triste contexte actuel de l’Éducation nationale où il est à peu près impossible d’exclure un élève de cours pour tout autre motif. Mais il reste un souci : il est probable que si on l’autorisait, beaucoup qui n’ont pas la moindre envie de porter le voile en classe y serait contraintes par leurs parents. Il ne s’agit ici ni de neutralité, ni de laïcité, ni de droits de la femme, mais de la délicate question de l’ampleur de l’autorité parentale. J’avoue ne pas avoir la solution.

    [14]  http://www.vetislam.com .

    [15] On ne parle pas ici bien sûr de la polémique sur la tentative, avortée, d’une association musulmane marseillaise, de louer une piscine privée pour la réserver une journée aux femmes portant burkini, et à elles seulement. Il y a là une surenchère manifeste même sur l’interprétation la plus rigoureuse du voile islamique, censé protéger les femmes du regard des hommes, puisque le voile était exigé dans un espace interdit aux hommes. Le débat sur le caractère privé (auquel cas, pour absurde que ce fût, il n’y avait pas matière à interdiction) ou public de l’événement fut loin d’être clair.

    [16] « L’accès aux plages et à la baignade est interdit à compter de la signature du présent arrêté jusqu’au 31 août 2016 à toute personne n’ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité, respectant les règles d’hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime. » (Arrêté du maire de Cannes, David Lisnard), «La République, ce n'est pas venir à la plage habillé en affichant ses convictions religieuses, d'autant que ce sont de fausses convictions car la religion ne demande rien» en la matière » (Lionel Luca, maire de Villeneuve-Loubet, cité par Le Figaro, 13 août 2016. « l’arrêté attaqué […] ne porte dès lors pas d’atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression et à la liberté de culte dont au demeurant les plages ne constituent pas un lieu d’exercice adéquat  » (décision du TA de Nice du 13 août à propos de l’arrêté de Cannes) « Dans un État laïc, les plages […] doivent rester un lieu de neutralité religieuse » (décision du TA de Nice du 22 août à propos de l’arrêté de Villeneuve-Loubet). « Les plages, comme tout espace public, doivent être préservées des revendications religieuses. Le burkini n’est pas une nouvelle gamme de maillots de bain, une mode. C’est la traduction d’un projet politique, de contre-société, fondé notamment sur l’asservissement de la femme. » (Manuel Valls, interview à La Provence, 17 août)

    [17] On passera pudiquement, car ce n’est pas le sujet, sur le cas des piscines publiques qui imposent le maillot de bain minimum pour raisons d’hygiène, sans donc se demander s’il n’y a pas là une certaine hypocrisie. Les vieux comme moi se rappellent l’époque où on y imposait, pour raison d’hygiène aussi, le port du bonnet… couvrant intégralement les cheveux et les oreilles. Quoi qu’il en soit, appliquer l’argument hygiénique à la mer serait particulièrement ridicule (le TA de Nice a pourtant essayé).

    [18] Le plus beau fut l’argument de l’égalité hommes-femmes indispensable à la République (depuis peu, alors). On aimerait savoir comment ceux qui l’ont employé prétendent l’imposer en matière de maillot de bain : soutien-gorge obligatoire pour les hommes, ou interdit aux femmes ?


  • Je deviens blogueurVoilà qui est fait. J’y pensais depuis des années, et je reculais, pour un tas de raisons honorables, et, surtout peut-être, par flemme. Je crée mon blog. Parce que j’ai envie d’écrire comme je le faisais jadis, du temps que les plus jeunes ne peuvent pas connaître où on imprimait, pas uniquement comme sur Facebook où on balance une poignée de mots pour se faire quelques amis et beaucoup d’ennemis.

    Il est assez logique, somme toute, qu’après être resté très longtemps obstinément fidèle au bon vieux site HTML (où le travailleur maîtrise l’ensemble du processus de production) et très méfiant envers ces machins là, je m’y mette au moment où ils tombent en désuétude face à des choses plus bizarres encore.

    J’essaierai de le mettre à jour régulièrement. Je ne suis pas assez idiot pour annoncer un rythme. À voir le temps qu’il m’a fallu pour écrire le premier article, ce n’est pas gagné. Mais j’espère aussi en faire de plus courts. Je reprendrai aussi probablement des textes anciens, des mes abondantes archives (Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans…), mais en veillent à ce qu’ils restent minoritaires.

    Deux précisions à l’intention des lecteurs bénévoles, pour qu’ils le restent en connaissance de cause.

    Premièrement, je suis catholique. C’est de naissance, et ça n’a pas changé depuis. Pas catholique critique, pas catholique mais quand même…, pas catholique ouvert différent de tous les autres. Catholique, au sens où l’a je crois défini Pie XII : celui qui, baptisé, croit en ce qu’enseigne l’Église. J’essaie du moins de me conformer à cette définition. Si je m’en écarte, c’est bien malgré moi, et à mon grand regret.

    Deuxièmement, je suis de gauche et, même, socialiste (ça, ce n’est pas de naissance). Pas socialiste comme le parti qui n’en a gardé que le nom, mais comme l’étaient, par exemple, Jules Guesde et Jean Longuet, comme l’était encore la déclaration de principes du congrès d’Alfortville, c’est à dire somme toute plus proche de ce qu’était un communiste quand il y en avait encore que de beaucoup de belles consciences de gauche.

    J’admets volontiers que cette double appartenance est difficile à gérer. Elle me semble l’être cependant beaucoup moins que celles de certains qui me la reprocheraient.

    Il devrait être question ici de politique, de religion, catholique bien sûr mais d’autres aussi, de latin, de syndicalisme étudiant, d’histoire romaine, du mouvement ouvrier, de l’Église, de peinture, celle de mon Papa, celle d’autres, de littérature, de bandes dessinées, peut-être de tennis, de cyclisme, de rugby. Si au bout d’un temps on n’y parle plus que du traité de Maastricht, de la loi d’orientation Jospin et de la réforme Bayrou-Allègre, ce sera la preuve que les objectifs du plan n’auront pas été atteints.

    6 octobre 2016.

     

    Précisions biographiques, pour la rubrique « D’où parles-tu camarade ? ». Je suis né le 25 octobre 1971, et ai passé mon enfance à Bellegarde, au pied du Sorgia, dans l’Ain, où j’ai eu mon bac (C) en 1988. Khâgneux au Lycée du Parc à Lyon, je suis rentré à l’École normale en 1991, ai obtenu l’agrégation d’Histoire en 1995. J’ai enseigné huit ans l’Histoire romaine à Paris IV, Le Mans, Valenciennes, Strasbourg II Marc Bloch jusqu’à ma soutenance de thèse sur L’utilisation du souvenir d’Auguste sous ses successeurs, de Tibère à Trajan, à Paris IV (Jean-Pierre Martin directeur). Après deux années désastreuses dans le secondaire jospinisé, je me suis replié à Bellegarde en attendant de trouver un poste de Maître de Conférences. J’y suis toujours (mais ai renoncé à ce jeu stupide). J’essaie d’écrire des livres (Un Tibère paru chez Tallandier en 2011, un autre livre presque terminé, du moins je l’espère). J’ai aussi publié une dizaine d’articles dans des revues universitaires française, espagnoles et belges.

    J’ai été responsable du Mouvement des Citoyens (le nom du truc chevènementiste de l’époque) rue d’Ulm puis dans le Quartier latin, et finalement membre de son Collectif national jeunesse entre 1993 et 1997, exclu début 1998 officiellement pour une histoire de cornecul dans le secteur Jeunes, en fait vraisemblablement incapacité à comprendre qu’un poste de chef des flics valait l’oubli des positions précédentes, responsable de l’UNEF (la vraie, celle qui est morte) à Paris IV du printemps 1997 à juin 2001 (voir le lien Tombeau pour l’UNEF), et en général membre à ce titre de son collectif national. J’ai adhéré au PCF en septembre 2000, dans une section, Paris Ve, hostile à sa direction, et ai été membre de son bureau, avant d’en être exclu antistatutairement par un secrétaire tourne-veste (voir le lien PCF Ve). Je me suis alors replié sur la section Halles-Bourse, qui ne m’a pas exclu, mais a été dissoute par la direction du PCF au moyen de juges et d’huissiers. J’ai participé en 2002 à la fondation de l’association Rouges-Vifs Paris, devenue depuis Rouges-Vifs Ile de France, dont je suis toujours membre, mais sans activité militante vue la distance. Maintenant, je suis vieux et je fume ma pipe, et je tente d’écrire, donc.

     

    Une concession aux mœurs récentes : les articles ne pourront être commentés que sur Facebook, pour éviter les conversations parallèles. Il faut donc aller ici https://www.facebook.com/emmanuel.lyasse (Mes statuts reprenant les articles de ce blog sont publics. Il suffit donc d’être inscrit sur Facebook pour y avoir accès. Si vous ne voulez vraiment pas vous inscrire, envoyez moi vos commentaires en privé), et, pour cet article ici