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    Le dossier Notre République, paru dans le numéro 21 (avril Annexe 31985) d’En Jeu

     

     

     

     

     

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    Autres annexes:
    1) Le compte-rendu
    de la dernière phase du quatorzième colloque,

    2) Les échos des deux premières phases 
    3) Le dossier Notre République
    publié par En jeuen avril 1985
    4) L’interview de Jean-Pierre Chevènement
    dans le numéro de septembre 1983 d’En jeu. 


     

    Annexe 3

    JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENT

    RÉPUBLIQUE ARRÊTÉE

    OU RÉPUBLIQUE

    CONQUÉRANTE

    « Il y a deux conceptions de la République : la République arrêtée et la République conquérante. La République arrêtée considère qu'en matière de droits, on en a déjà bien assez fait et, par la force des choses, elle tourne à la réaction avant de se faire balayer par elle. La République conquérante, quant à elle, se reconnaît toujours en ce qu'elle lutte... ».

    Annexe 3

    — En France et aujourd'hui, la République n'est-elle pas un concept «fourre-tout » ?

    — Bien sûr. Il y a République et République. Mais cela ne date pas d'aujourd'hui. Rappelez-vous Adolphe Thiers au lendemain de l'écrasement de la Commune : « La République sera conservatrice ou ne sera pas ». Et pourtant, on a pris l'habitude de dater la victoire des « républicains » du triomphe de Gambetta sur Mac-Mahon en 1877-1879. Thiers ou Gambetta ce n'est pas la même chose !

    L'idée même de la République est en fait à double tranchant : c'est à la fois le refus du privilège de la naissance ou de la fortune et l'affirmation de la primauté de l'intérêt général, de la « Res publics », sur les intérêts particuliers. Bref, l'idéologie républicaine est à la fois contestataire et fondatrice d'ordre. Mais attention ! L'ordre républicain n'est pas n'importe quel ordre, tout comme l'Etat républicain n'est pas n'importe quel Etat : car ils n'ont de légitimité qu'en tant qu'ils reposent sur les droits imprescriptibles des citoyens. Leur force est celle de la liberté, c'est-à-dire de l'exercice effectif par les citoyens de leurs droits civiques.

    L'Etat républicain est le protecteur des libertés car au-dessus de l'Etat il y a le Peuple, c'est-à-dire les citoyens en corps. Le Peuple est supérieur à toute institution. Aucune d'elle ne peut exister légitimement en dehors de lui.

    Telle est la théorie de la République. On voit bien ainsi qu'il n'y a de République que s'il y a des républicains, c'est-à-dire des citoyens conscients. Ainsi la République a vocation, naturellement, à rassembler.

    Mais la République est aussi perpétuel devenir car elle repose sur une conception si exigeante de droits de l'Homme et du Citoyen que sa quête ne s'éteindra, de mon point de vue, qu'avec l'Histoire elle-même. En ce sens, et comme l'avait fort bien vu Jaurès, le socialisme est l'accomplissement de la République. •

    Il y a donc deux conceptions de la République : la République arrêtée et la République conquérante. La République arrêtée considère qu'en matière de droits, on en a déjà bien assez fait, et par la force des choses — qui n'avance pas recule — la République arrêtée tourne à la réaction avant de se faire balayer par elle. De la Première à la Quatrième, c'est ainsi que finirent toutes nos Républiques !

    La République conquérante, quant à elle, peut connaître des reculs : elle se reconnaît toujours en ce qu'elle lutte. Et qui pourrait croire aujourd'hui qu'il ne faudrait pas lutter pour sortir la France de l'ornière de la crise, pour donner à nos millions crt jeunes, frappés ou menacés par le chômage, la chance de bâtir un monde meilleur que celui où nous avons grandi ?

    Pour préserver et étendre la démocratie, pour sauvegarder l'indépendance nationale, pour faire reculer le parti du déclin de la France et de l'Europe, il faudra se battre !

    Sans sous-estimer le riche bilan de la gauche depuis 1981, il y a encore tant et tant à faire pour redonner à notre peuple la pleine maîtrise de son destin ! Il faudrait un singulier manque d'imagination pour ne pas voir tout ce qui reste à réaliser.

    Mendès France, il y a trente ans, avait bien vu le lien entre la planification et la démocratie : une planification démocratique moderne implique une réflexion collective sur la place de la France dans la division internationale du travail, sur son rôle, ses moyens et sur sa vocation en Europe et dans le monde. Cette réflexion n'a pratiquement pas été entamée mais naturellement c'est là une œuvre de longue haleine...

    Prenons encore l'exemple des entreprises publiques : leur conseil d'administration a été démocratisé. Fort bien ! Les travailleurs élisent leurs représentants. C'est une bonne chose ! Mais à condition que les PDG puissent être désignés par les Conseils d'administration. Ce serait le seul fondement légitime de l'autonomie de gestion !

    Veut-on un autre exemple ? Je prendrai celui de la modernisation et de la démocratisation réelle — et non verbale — de notre système éducatif (démocratisation qui n'avait jamais si peu progressé que depuis 15 ans, qu'elle fournissait la tramè de tous les discours officiels). Croit-on, franchement, qu'une génération d'efforts suffira pour faire, à nouveau, de l'Ecole la base d'une République réellement moderne ? C'est une oeuvre immense qui demande une mobilisation responsable, solide, tenace, des cœurs et des intelligences...

    Bref, la République moderne sera progressiste ou ne sera pas.

    C'est le contenu de la République qui est donc la question décisive.

    — Le thème de la République ne sert-il pas d'alibi à une retraite?

    — Pas forcément.

    En effet, et j'ai déjà eu l'occasion de l'affirmer dès 1981, je ne crois pas qu'on puisse dire, l'état des esprits et celui du monde étant ce qu'ils sont, que le socialisme soit à l'ordre du jour.

    La victoire de 1981 était trop ambiguë. La classe ouvrière traditionnelle (identifiée aux « manuels ») reste minoritaire et elle est divisée. Les couches salariées nouvelles ont un niveau de conscience inégal. Reagan, Thatcher, Kohl, sans parler de moindres personnages, ne sont pas précisément de nos camarades. Bref, ce qui est actuel, c'est la construction d'une République moderne.

    Ne soyons pas de ces esprits craintifs qui refusent d'avancer au nom de tous les dangers, même réels, qu'ils discernent. Croyez-vous, franchement, que la droite aujourd'hui ait envie de communier dans la République avec les socialistes ? Croyez-moi : ce ne serait pas si mal si les socialistes étaient déjà de vrais républicains. Je me souviens l'avoir dit au Congrès de Bourg-en-Bresse (et je vous renvoie au texte de mon intervention).

    La République est une idée qui n'est pas à la portée de tout le monde même si, par les temps qui courent, le mot républicain est quelque peu galvaudé : c'est le sort de toutes les grandes idées. Peu les conçoivent. Beaucoup s'en servent. Elles naissent reines. Elles meurent esclaves, à moins que nous n'ayons la force de les faire revivre...

    — La République serait-elle donc à restaurer ?

    — Je vous surprendrai peut-être : ma réponse est oui.

    Il n'y a pas de République, en effet, sans républicains. Et le sens de l'Etat républicain, franchement, dans notre pays, aujourd'hui, ne court pas les rues, même si j'observe, depuis que je suis au gouvernement, qu'on ne fait jarAis appel à lui en vain.

    C'est cette réflexion, d'ailleurs, qui a amené le gouvernement à prévoir la réintroduction de l'Education civique.

    En réalité, la République Française est une histoire. Une grande et belle Histoire. Elle ne s'est pas encore relevée des deux guerres mondiales. La première a jeté un trouble profond dans la gauche qui est l'aile marchante de la République. Comment donc le régime de la Raison et du Droit aurait-il pu sacrifier 1,5 millions de jeunes Français sans vaciller sur ses bases ? Les instituteurs de Jules Ferry avaient quand même le droit de s'interroger ! Le pacifisme et le communisme furent la rançon de l'hécatombe de 1914-1918. Quant aux classes dirigeantes traditionnelles, comment ne pas voir qu'après le Front Populaire, elles préférèrent, à de nombreuses exceptions près, il est vrai, la sauvegarde de leurs intérêts de classe à la cause de la France ?

    La défaite des armées de la République en juin 1940 a marqué la fin de la République. Le triomphe de Vichy sur le plan moral a été profond. De là, datent les corporations et les corporatismes qui n'ont point disparu à la Libération, l'esprit du sauve-qui-peut, l'affaissement du patriotisme républicain, l'idéologie raciste et xénophobe qui ont refleuri en France depuis dix ans.

    Qu'est-ce que « l'idéologie de crise » en effet, faite de repliement, de retour à son quant-à-soi, d'égoïsme exacerbé, de recherche de boucs émissaires, et d'irrationalisme, sinon la résurgence de l'esprit de Vichy ?

    N'est-ce point contre cela que nous nous battions — je parle de ceux qui l'avaient lu — à l'époque du Projet socialiste ?

    Ce sont en réalité les valeurs éternellement jeunes de la République !

    Quelle différence existe-t-il entre la République moderne et la République bourgeoise ?

    — Le projet de République moderne est le fils du mariage, au début des années 1980, du Projet socialiste avec la réalité.

    La République moderne repose d'abord sur l'alliance des forces du monde du travail. Elle a ensuite besoin d'être portée par l'espoir de la jeunesse. Elle doit enfin savoir tisser des alliances avec ce que Mendès France appelait « la fraction éclairée des classes dirigeantes » c'est-à-dire avec tous ceux qui, aujourd'hui, dans notre pays, refusent le déclin et la normalisation des esprits, avec tous ceux qui font, pour la France et pour l'Europe, le choix de l'indépendance, de la croissance et de la démocratie.

    Les classes bourgeoises, traditionnellement dirigeantes, ont déserté la République depuis bien longtemps. Pour une partie non négligeable d'entre elles, elles ne s'y étaient ralliées qu'à contre-cœur au tournant du siècle. La bourgeoisie française de nos jours a besoin d'abord d'un protecteur extérieur. C'est comme cela. Elle ne peut pas tenir toute seule. De Gaulle, qui l'avait vu, en a fait l'expérience.

    Or, qu'est-ce qui reste d'une République quand sa liberté est durablement subordonnée et quand la volonté générale de ses citoyens ne peut pas véritablement s'exercer ?

    Il n'y a pas de démocratie sans indépendance et, aujourd'hui, qui ne voit que l'indépendance de la France, avec celle de l'Europe, est à reconquérir sur l'Histoire !

    C'est parce que nous devons impérativement, pour des raisons de vie ou de mort, ranimer le débat politique, utiliser la démocratie pour mobiliser notre base, qu'en même temps nous devons restaurer l'Etat républicain...

    Les socialistes, dès lors qu'ils cherchent une responsabilité dans l'Etat, doivent montrer un sens de l'Etat d'autant plus exigeant que les classes dirigeantes traditionnelles leur contestent toujours la capacité de diriger, et, vous le savez bien, la culture de la drclite, parce qu'elle ne fait pas appel aux valeurs du débat mais aux valeurs d'autorité, s'adapte plus spontanément aux nécessités du fonctionnement de l'Etat.

    Mais qui ne le voit aujourd'hui, le sens même du changement se joue dans la démonstration de notre capacité à diriger l'Etat et à rassembler le peuple autour de nous. Sans sectarisme, sur un projet, sur une grande ambition ! Représentants des classes traditionnellement dominées, les socialistes qui ont une place dans l'Etat doivent porter plus loin et plus haut que les classes bourgeoises le sens de l'intérêt général, le sens de l'intérêt républicain.

    Disant cela, je sais que je ranime peut-être une vieille crainte — que j'ai éprouvée moi-même — que les socialistes soient prisonniers de l'Etat tel que nous l'avons hérité, et je ne méconnais pas ce risque. Si les socialistes ne maîtrisent pas l'Etat, avais-je déjà dit, ils risquent d'être maîtrisés par l'Etat, par l'Etat d'avant, par le statu quo.

    Mais, entre nous, il faut une imagination bien courte pour tomber prisonniers d'un palais ministériel !

    Nous n'avons pas seulement à gérer l'Etat, nous avons à le transformer. Où est-il écrit que servir l'Etat, c'est servir le statu quo ? C'est une vieille conception héritée de Marx, mais dont Jaurès avait déjà fait justice, en disant que l'Etat exprimait un rapport de forces entre les classes, changeant donc, par définition. Le sens de l'Etat n'est pas l'apanage des conversateurs. On peut et on doit à la fois servir l'Etat et transformer l'Etat dans l'intérêt de notre peuple et de son avenir.

    Propos recueillis par Jacques-Arnaud Penent et Annie Solo

     


     

    SUR NOTRE RÉPUBLIQUE

    par Didier Motchane

    Si les socialistes considèrent aujourd'hui que la République moderne constitue leur tâche immédiate, ce n'est pas parce qu'elle remplacerait le socialisme mais tout simplement parce qu'elle en est le point de passage obligé.

    Annexe 3

    I1 est malheureusement difficile de douter qu'en quelques années de gouvernement, les socialistes soient parvenus à obscurcir singulièrement le sens du socialisme dans l'esprit public en France, et davantage encore à le dévaluer. Il y avait longtemps sans doute que les média, qui le déguisaient sous l'ombre portée de Staline, et la crise du mouvement ouvrier en avaient terni l'image et affaibli la pensée. Cependant l'essentiel du syndicailisme et de la gauche politique se réclamait d'un projet social alternatif à l’ordre établi : même à travers la décantation des programmes électoraux, le socialisme en France se refusait à devenir un fonctionnaire du capitalisme. Si personne ou presque n'attendait que la victoire électorale de la gauche en 1981, déconcertante presque pour elle-même ou plus exactement pour tant de ceux qui n'y croyaient plus, rompît comme on dit avec le capitalisme, c'était pourtant au nom d'une réfutation et comme pour l'amorce d'une récusation en acte de celui-ci que le Dix-Mai semblait ouvrir « une nouvelle période dans l'histoire du monde ». Il l'annonçait effectivement, mais on sait déjà que l'avenir prendra son temps avant de lui donner un sens achevé. Pour le moment, tout le monde constate comme Alain Touraine — et beaucoup pour s'en réjouir avec lui — que la gauche  arrive au gouvernement pour prendre congé du socialisme, ce qui est apprécier justement l'action du gouvernement mais se méprendre tout à fait sur son pouvoir. Si le gouvernement de la gauche s'est éloigné du socialisme, c'est sans doute que celui-ci était moins proche de lui et surtout de la société que l'esprit du temps lui-même ne l'avait cru. Mais parce qu'en 1985 le socialisme ne serait pas plus à l'ordre du jour de la France qu'en 1981, et pour cette raison moins encore dans l'espoir des gens que dans leur vie, faut-il rejoindre la gauche libérale dans cette lamentable déroute intellectuelle et morale que seule la négation du socialisme, l'inintelligence du capitalisme pourrait faire oublier ? La crise de la gauche et du mouvement ouvrier n'appelle pas seulement un réveil intellectuel mais, ce qui n'en est d'ailleurs pas séparable, une réorganisation profonde de l'action politique. Il n'est pas de travail politique de masse qui ne s'oriente sur un mythe, des symboles, un discours. Ce ne sont ni la raison ni les raisons du socialisme qui ont cessé de valoir, mais les « valeurs » du socialisme dans leur rapport à l'existence et à l'expérience sociale des travailleurs qui se sont dépréciés dans la conscience collective : il faut donc, pour que le socialisme trouve non pas un sens mais un pouvoir mobilisateur, un mythe, des symboles, un discours qui ne sont pas immédiatement les siens.

    Il se trouve que la République qui, comme le dit fort bien Claude Nicollet, « est pour les Français l'expression même de la temporalité historique » nous le propose, et avec elle la figure même de ce combat. Ceux qui discernent le clivage historique essentiel qui sépare les socialistes des libéraux ont, comme le rappelle le titre même de cette revue, toutes les raisons de se réapproprier la République, ou plus exactement de la réaliser. Qu'ils aient, depuis deux ou trois ans, remis ce concept en honneur ne peut étonner que ceux qui ne retiennent de lui que son versant giscardien et radical-socialiste. Mais toute l'histoire de la République n'est-elle pas celle de l'effort du mouvement socialiste pour imposer aux majorités parlementaires successives de républicains de pousser plus loin les conséquences de la Révolution francaise et de la démocratie ?

    UNE TACHE IMMÉDIATE

    Le libéralisme, qu'il soit « sauvage » ou civilisée est une imposture sur la liberté dont le caractère n'a jamais été aussi manifeste que dans notre temps, où la mondialisation du capital vide progressivement de sa substance la démocratie, c'est-à-dire la possibilité pour un peuple de se déterminer librement. Entre ce que l'on appelait autrefois la République sociale et la République libérale que l'on nous propose, il faut donc choisir. Construire autour des valeurs de la démocratie et de l'indépendance — ce qui n'est qu'une des conditions de possibilité de la démocratie — par les forces sociales, et d'abord par celles du monde du travail que leur mémoire, leurs intérêts et leur sens même de leur avenir conduisent à ce choix, notre République n'est pas celle du minimum moral, censé d'appartenir à personne parce qu'elle fonctionne comme la maison de tolérance d'une démocratie prostituée au capitalisme. Elle n'est pas extérieure aux rapports et aux choix sociaux qui sont la société elle-même et qui fondent les choix moraux qu'elle nous appelle à faire. En bref, notre République n'est une cuvette, un crachoir à consensus mais la ligne de crête qui fait clivage entre l'avenir de la démocratie et celui que prépare, soit les forces du mondialisme libéral, soit celles de la barbarie rétrograde de l'extrême droite.

    Ainsi si le suffrage universel est essentiel à la République, il n'en est pas l'acte fondateur. La République procède nécessairement de la volonté collective d'un peuple de vivre ensemble, ce qui explique, par parenthèse, que le recours au suffrage universel ne puisse apporter, à lui seul, de réponse aux problèmes de la Belgique, de l'Irlande, du Liban, de la Nouvelle-Calédonie qui, si différents qu'ils soient les uns des autres, posent chacun à leur manière la question de cette volonté collective.

    Si des socialistes considèrent aujourd'hui que la République moderne constitue leur tâche immédiate, ce n'est évidemment pas parce qu'elle remplacerait le socialisme mais tout simplement parce qu'elle en est le point de passage obligé.

    D'autres forces sociales sont conduites, pour résister aux menaces de désintégration que la polarisation du monde par les Etats-Unis, les transformations en cours dans le mode de produire, font peser sur elles à chercher leur avenir dans cette République, sans bien sûr, pour autant, lui donner le socialisme pour horizon. Cette convergence est le principe même de la nouvelle hégémonie politique qu'attendent de la gauche ceux qui constatent la faillite des classes dirigeantes de leur pays.

    D.M. 


     

    POUR UNE DÉMOCRATIE
    SALARIALE...

    par Pierre Rolle

    La République ? Bien sûr ! Mais renouvelée, reconnaissant qu'elle est aujourd'hui constituée de relations capitalistes, ce qu'elle se refuse encore à faire, et entreprenant non plus de les limiter ou de les organiser mais de les maîtriser.

    Annexe 3

    La république, c'est l'État, lorsqu'il est gouverné par le moyen d'une représentation de ses membres. Or, la représentation suppose une dissociation entre l'individu et son mandataire, entre le citoyen et l'institution.

    Sans doute, l'illusion qui fait confondre l'image dans le miroir avec son original, et attribuer à l'Etat ce qui n'appartient qu'à ses membres, est fort courante. C'est l'une de celles que suscite le fonctionnement de la démocratie. Ainsi imagine-t-on que la France est constituée de Français, lesquels se caractérisaient, au gré de chacun, comme une 'race, une ethnie, une culture ou une mentalité, et qu'inversement la Constitution de ce pays porte la marque des caractères, des qualités et des préjugés propres à sa population. Ainsi, la propagande présente-t-elle Israël, État peuplé de Juifs, comme un État juif.

    C'est en réalité par la dissociation entre la forme politique et l'organisation des sujets que s'est constitué, formé, l'État moderne, alors qu'aux trois états de l'ancien régime, institutions politiques tout autant que professionnelles, se substituaient des classes, cadres mouvants des destins individuels. L'unité nationale s'est affirmée en se désintéressant des différences de métiers ou de régions, et le pouvoir s'est centralisé en abandonnant à leur destin propre les relations de travail et d'échange.

    Il convient, certes, de s'interroger sur les conditions de cette représentation. Qui est citoyen ? Une bonne partie de la classe ouvrière française n'a pas le droit de vote, et ne peut désigner les autorités auxquelles elle est soumise : les étrangers, les plus jeunes... De quelle manière le mandat est-il délivré, et sous quelles formes ? Doit-on élire des députés, le président de la République, les autorités judiciaires et policières et par quel type de scrutin ? Questions assurément importantes, mais dont ne dépendent pas l'accroissement ou l'affaiblissement de la distinction entre l'État et le peuple. On peut sans doute soutenir que le droit, pour les mandants, de révoquer, à tout instant, leurs porte-parole améliorerait le fonctionnement des institutions démocratiques. Mais il serait naïf de croire que cette procédure abolirait la distance entre le représentant des citoyens dans l'État et les citoyens, parce que cette distance n'est que la traduction d'une différence de nature.

    UNE SOLIDARITÉ NATIONALE

    La liberté que procure la République s'est ainsi définie en abandonnant l'économie à ses fatalités. C'est dans la mesure où, recueillant l'opinion des citoyens, le système ne se propose pas de modifier directement leur situation, qu'il ne provoque pas dans le pays des contradictions paralysantes. Quel mécanisme démocratique, par exemple, aurait pu, à la Libération, décider l'éviction de leurs terres de la majorité des paysans ? C'est l'évolution contrastée du prix des produits agricoles et de celui des denrées industrielles qui a provoqué l'exode rural, mouvement que les gouvernements successifs ont discrètement encouragé, tout en faisant mine de le combattre. Les régimes autoritaires de l'Est ne sont pas encore parvenus au même résultat. L'État prétend y dominer les contraintes économiques, de sorte que chacune de ses décisions passe pour une volonté délibérée, et dresse contre elle l'ensemble des classes dont le pouvoir espérait utiliser l'antagonisme. Le pouvoir qui. veut incarner une volonté de changement, sans modifier pour autant le lien de travail, qui associe ses sujets à des situations concrètes, ne peut évidemment obtenir leur assentiment.

    Et pourtant, aucun État ne peut échapper aujourd'hui à l'obligation d'intervenir directement dans les relations économiques. Il ne suffit plus d'influencer obliquement le développement de la nation et le cours des luttes qui s'y déroulent par des prescriptions formelles : par la codification du droit de propriété, par exemple, ou celle du contrat. D'où une contradiction qui se manifeste aujourd'hui par des législations équivoques. Ainsi en est-il du droit du travail, domaine étrange où le contrat salarial persiste bizarrement, alors même que ses termes ont été dénoncés par le personnel en révolte, où des conventions négociées entre des parties privées, employés et employeurs, se transforment en lois d'État, où les syndicats s'engagent pour des travailleurs et des patrons qui ne sont pas, en principe, tenus de leur obéir, où l'on pose des principes, le droit au travail, ou bien le droit de grève, dont on déduit difficilement des prescriptions positives, et qu'on ne peut opposer à aucune mesure concrète.

    Tous ces paradoxes naissent de l'opposition entre les bases de l'État démocratique et les fonctions qu'il assure dorénavant. Dans ce jeu d'apparences où le contenu se distingue mal de la forme, où les intentions progressives d'une mesure font accepter l'irrégularité des procédures qui l'imposent, la confiscation même peut prendre l'allure d'une libération. On peut penser que toute la théorie de l'État-Providence est fondée précisément sur ces équivoques.

    Ce régime est sans doute bien mal nommé, lorsqu'on le désigne par les termes dont il se pare lui-même. En quoi consiste-t-il, en effet ? En un ensemble de mécanismes qui assurent aux salariés la possibilité d'affronter plus aisément les charges et les incertitudes dont ils ont souffert tout au cours du XIXe siècle, l'ignorance, la maladie, les naissances, l'âge, le chômage. On croit souvent y retrouver le principe d'une solidarité nationale : mais c'est d'abord une procédure qui organise une nouvelle dépossession des travailleurs, une immense et clandestine socialisation de l'exploitation. ' En effet, la formation, la reproduction, la prévoyance des salariés sont collectivisées par des mutuelles obligatoires, multiples, sur lesquelles il a peu de prise, et jamais en tant que salarié. Une partie croissante de son revenu est soustrait à la discrétion du travailleur : son épargne nourrit l'investissement ; ses impôts alimentent la formation, la construction, l'emploi ; ses contributions sociales financent les institutions de santé ou d'assistance. Sa liberté de consommateur est donc restreinte, sans être remplacée par une nouvelle liberté, laquelle s'exercerait à travers des organes politiques. Qui gère en effet la partie socialisée du salaire ? Un ensemble de pouvoir dont l'hétérogénéité suffirait à assurer l'autonomie : la banque, la municipalité, le fonctionnaire, le syndicaliste, et même le patronat. Tout ceci justifié par des fictions insoutenables, telle la théorie fantomatique des charges sociales : le prélèvement sur le salaire, sa fraction affectée, est censée être payé en partie par l'entrepreneur, ce qui fonde le droit de celui-ci à en décider l'emploi.

    En conséquence, le salarié voit son existence découpée en périodes normalisées, l'enfance et la formation, la jeunesse, vouée à l'instabilité, l'âge mûr, consacré au mariage et à « l'élevage » des enfants, sanctionnées par des promotions, puis la stagnation progressive dans le poste, et enfin la retraite, chaque âge étant caractérisé par des besoins fixés autoritairement par la politique économique, mais qui varient néanmoins selon le sexe, l'origine, la nationalité et la qualification des parents.

    Restituer aux salariés les décisions concernant l'ensemble de leur revenu, c'est sans doute envisager une tout autre forme de démocratie que celle que nous connaissons, une République du salariat comme remède à la crise du système républicain. Crise qui naît sans doute, de ce que la classe des salariés, majoritaire dans le pays, est politiquement mineure. Pour l'heure, la liberté dans la nation a pour condition l'assujettissement et l'impuissance dans l'entreprise.

    Non qu'il existe un antagonisme essentiel entre la démocratie et la classe, qui ne sont pas des réalités du même ordre. La classe se constitue dans un rapport économique qui dépasse de bien loin le cadre d'un pays, et l'État réunit un ensemble limité de citoyens définis juridiquement. Si le prolétariat était, lui aussi, un groupe spécifique, visant des objectifs précis, caractérisé par une identité d'attitudes politiques, il se reconstituerait à travers le filtre du vote individuel, et Jules Guesde aurait raison, qui déclarait aux ouvriers : « Vous possédez, avec le bulletin de vote, le moyen de faire cesser immédiatement l'oppression capitaliste. Vous êtes de beaucoup les plus nombreux. Votez pour votre parti de classe. Et la révolution est faite ». Mais c'est l'État lui-même, dans ses fonctions, dans ses structures actuelles, qui est un obstacle en même temps qu'un organe. C'est seulement en le réformant que la classe des salariés pourrait utiliser son pouvoir, et orienter son fonctionnement démocratique, de manière à maîtriser le mécanisme économique qui la définit spécifiquement, et par là tous les autres. Ainsi les procédés de ta dépossession individuelle deviendraient, peut-être, les leviers d'une émancipation collective. Le statut du travailleur dépendrait de moins en moins de l'emploi qu'il obtient dans une entreprise particulière, et de plus en plus de décisions nationales. Ce dynamisme, à coup sûr, n'est pas sans limites, ni même sans danger, mais en existe-t-il un autre qui nous permette de sortir du marasme et de l'impuissance actuels des institutions républicaines ?

    P. R. 

    1 Voir, de Renzo Stefanelli, « Il dominio del salario », de Donato et de Pierre Naville, « La maîtrise du salariat », Anthropos.


     

    RÉPUBLIQUE ET SOCIALISME

    par Gérard Althabe

    La République est le cadre institutionnel et idéologique dans lequel les habitants de ce pays s'unifient en une nation ayant son identité; elle est également un système politique fondé sur la démocratie. La construction républicaine à laquelle nous sommes appelés prend place dans l'un et l'autre domaine; il s'agit de définir la manière par laquelle elle peut être inscrite dans une perspective qui maintient le socialisme comme porizon. Deux directions : la conquête de l'indépendance nationale et l'approfondissement de la démocratie.

    Annexe 3

    La conquête d'une indépendance nationale (dans le cadre européen) se place dans le contexte de la mondialisation grandissante sous l'hégémonie américaine ; le territoire national doit redevenir un espace de décisions possédant un certain degré d'autonomie. La conquête d'une indépendance dans cette perspective n'est nullement la négation de la nécessaire protection à édifier face à l'URSS et ses alliés ; il faut se dégager de la fausse symétrie entre les deux domaines de relations internationales. L'indépendance à conquérir trouve sa place dans le cadre de l'hégémonie américaine grandissante, elle s'édifie principalement dans les terrains économiques et culturels, le défi auquel elle répond, les modes d'intervention utilisés sont de nature différente de ceux qui prennent corps dans la relation avec les Etats communistes, la protection militaire y est centrale.

    Cette conquête de l'indépendance nationale n'est possible que sur la base d'une alliance large entre les couches . et catégories sociales ; une fraction importante des entrepreneurs et des cercles dirigeants est la victime de la mondialisation des capitaux, ceux qui la composent sont éliminés, au mieux refoulés dans la position dépendante d'intermédiaires ; leur intérêt rejoint celui de la masse des salariés ; ensemble ils subissent les effets de la circulation des capitaux qui obéit à une logique déployée à l'échelle planétaire ; ils ne peuvent peser d'aucune façon sur cette logique, dans la mesure où le cadre national, qui est leur seul espace d'intervention possible, perd peu à peu toute pertinence.

    Dans le domaine culturel, l'indépendance nationale se construit autour de la résistance à la pression des idéologies libérales qui mettent en scène un individu sacralisé en petit dieu ; elles préparent et participent à l'émergence d'une société colonisée, avatar local d'une sorte d'univers social minimum réduit à une jungle aseptisée par la consommation de masse. Le terrain perdu ne peut être regagné que par une vigoureuse réinvention d'une culture (nationale et européenne) s'appuyant sur les acquis du passé, seule manière de maintenir une identité collective dans l'ouverture et la confrontation avec l'extérieur.

    RÉINVENTER LA DÉMOCRATIE

    La construction républicaine ne peut rester dans la perspective du socialisme que si la conquête de l'indépendance nationale est conjuguée avec l'approfondissement de la démocratie ; celle-ci passe par la prise en compte de l'impasse dans laquelle la démocratie représentative s'est enfermée : la délégation élective transformée en dessaisissement du pouvoir au profit de professionnels de la chose publique (les élus nationaux et locaux, les responsables des syndicats, des partis, des associations). De l'Elysée àla section syndicale ou à l'association de locataires ou de parents d'élèves, ce processus domine et bloque désormais la vie politique et sociale. La gauche n'a pas su, ou pu, inventer taie démocratie représentative qui aurait évité cette dérive ; dans les institutions politiques qu'elle conquiert par l'élection, elle se moule, souvent avec talent, dans les positions et les modèles de pratique édifiées par les forces conservatrices ; cette soumission trouve une sorte d'apothéose dans la manière dont elle a construit son accession au pouvoir central en 1981 (mouvement identique au niveau, plus modeste, des municipalités).

    La gauche n'a pas su faire de la démocratie représentative le support de la construction d'une alternative aux modes d'exercice du pouvoir, de production des hiérarchies sociales, tels qu'ils sont secrétés dans une société qui, jusqu'à nouvel ordre, est fondée sur l'exploitation et la domination. La gauche, en situation, dans les institutions où elle exerce le pouvoir politique, et dans ses propres organisations (partis et syndicats) ne fait plus que les reproduire, partant, elle leur donne une légitimation supplémentaire.

    La construction républicaine doit être une réponse au divorce grandissant entre les habitants de ce pays et les institutions politiques et organisations construites sur la démocratie représentative ; elle doit être le cadre d'une redéfinition, aussi bien du rapport des citoyens et des pouvoirs, que des modes de production des hiérarchies sociales.

    11 est nécessaire de nous différencier de ce que l'on peut appeler la République du statu quo, celle qui se réduit à la conjonction de la démocratie parlementaire et du libéralisme économique régulé plus ou moins par l'intervention de l'Etat ; la République de ceux qui acceptent la société telle qu'elle est, de ceux qui, ayant abandonné toute velléité de peser de quelque manière sur son histoire, en font l'encadrement institutionnel et idéologique de la gestion au jour le jour.

    Cette République-là puise sa justification dans la protection nécessaire face aux menaces des pays communistes ; ces menaces permettent d'évacuer la problématique d'une conquête de l'indépendance nationale dans le mouvement de mondialisation économique et culturelle sous hégémonie américaine ; la protection militaire nécessaire légitime la soumission et l'acceptation d'une colonisation d'un nouveau type.

    Pour les tenants de la République du statu quo, le langage républicain est une manière de rompre avec le langage traditionnel de la gauche, celui du socialisme ; mais derrière ce jeu sur les mots est décelable l'abandon du critère ultime qui différencie la gauche des forces conservatrices : le refus de l'acceptation de la société telle quelle existe, avec ses injustices, ses inégalités, ses exploitations, la convention qu'il est toujours possible de la transformer.

    G.A. 

    VIVE LA RÉPUBLIQUE

    par Jacques-Arnaud Penent

    La République, la vraie, suppose la dignité, la liberté et l'égalité des Annexe 3
    citoyens  dans la vie économique et sociale, bref la démocratie dans la cité et l'entreprise.  N'est-ce pas d'actualité ? 

    EEtre grand, c'est soutenir une grande querelle ». « Et la République reste, pour sa flamme et non lacendre de ses majuscules, une grande querelle.

    Celle des citoyens libres, égaux, et responsables de leurs affaires.

    Celle de la France de la Révolution française, celle qui refuse les privilèges, les monarques, les protecteurs et qui dit, avec Jaurès, que « le socialisme ne se sépare pas de la République, et que s'il ne se sépare plus de la vie, il ne discute pas la patrie, il sert la patrie elle-même pour la rendre plus belle et plus grande ».

    Surtout quand il s'agit de la patrie des Droits de l'Homme.

    Mais la République, en France, c'est à la fois une ambition et un refus.

    L'ambition, c'est de réaliser une démocratie vivante et agissante. Car l'égalité civique postule l'égalité devant l'instruction et l'égalité devant la culture.

    Qui, aujourd'hui, oserait prétendre que les héritiers de Siegès ou de Thiers, de Vichy ou de Pinay sont animés de la même volonté ? Leur République n'a jamais été que celle de l'Ordre boursier, de la cendre des mots ; pour eux, liberté signifie toujours soumission du faible au fort, dans la vie quotidienne comme dans les rapports internationaux.

    Thiers et Mac-Mahon, c'est la soumission à Bismarck.

    Pétain, la soumission à Hitler.

    Pinay, Chirac, Giscard, Barre, la soumission à l'Empire américain.

    Dans tous les domaines, c'est la peur de la liberté et de l'égalité.

    Une République immobile sans principes et sans citoyens (sinon sans électeurs).

    Une République jamais démocratique car soumise aux intérêts des puissances économiques et financières.

    Cela, nous le refusons au nom de la véritable République, et de la force de ses principes à réaliser.

    La République, la vraie, suppose enfin la dignité, la liberté et l'égalité des citoyens dans la vie économique et sociale, bref la démocratie dans la cité et dans l'entreprise.

    Leur République s'est toujours arrêtée aux portes des usines.

    Aujourd'hui encore, la République des notaires et du Rotary, celle de la bourgeoisie frileuse ou haineuse y préfère la Monarchie patronale de droit divin.

    Zone de texte: 40Aucun citoyen ne peut être « égal et libre » politiquement s'il n'est pas aussi « égal et libre » économiquement.

    C'est ce qu'affirme le Préambule — toujours en vigueur officiellement — de la Constitution de 1946 :

    « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et les libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

    Il proclame, en outre, comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes politiques, économiques et sociaux ci-après :

    La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme.

    Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République.

    Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances.

    Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix.

    Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.

    Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises.

    Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité.

    La Nationessure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.

    Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence.

    La Nation proclame la solidarité et l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales.

    La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat (...) »

    Cette démocratie économique reste à construire.

    Un mot, pour terminer : la République, c'est également une morale, une façon de vivre ensemble.

    Elle réclame des citoyens libres et égaux, des serviteurs parfois, jamais de domestiques ou de courtisans.

    Contrairement à certains pour qui la République deviendrait un « club » à la mode, j'affirme qu'elle est une ambition pour tous.

    La voie obligée d'un socialisme fidèle à sa tradition. Et je vous pose la question : vivons-nous, en 1985, en République ?

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    J.-A. P.


     


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  • Interview de J.-P. Chevènement à En Jeu
    en septembre 1983

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    Autres annexes:
    1) Le compte-rendu
    de la dernière phase du quatorzième colloque,

    2) Les échos des deux premières phases 
    3) Le dossier Notre République
    publié par En jeuen avril 1985

    Annexe 4

     

     

    UNE INTERVIEW DE

    JEAN-PIERRIE CHEVÈNEMENT

    Annexe 4

    EN JEU : On a parlé beaucoup, cet été, de démobilisation, et pas seulement des intellectuels de gauche. Quelles en sant, selon vous, les raisons ? _ J.-P. CHEVÈNEMENT : Pour bien comprendre la situation qui s'est créée depuis 1981 il faut, à mon seps, remonter plusieurs années en arrière. 

    La victoire de mai-juin 1981 n'a pas effacé les traces de la rupture de 1977 et de l'échec de 1978. Elle a simultanément et paradoxalement traduit une nostalgie de changement et cristallisé le recul et la volonté effective de changement, conséquence de la rupture de l'union intervenue trois ans plus tôt. 

    « L'état de grâce » ce fut d'abord un long moment de stupéfaction. De part et d'autre. 

    La victoire de François Mitterrand, en 1981, a été, - à la fois, une victoire du caractère et de l'intelligence. 

    Victoire du caractère, car en restant ferme sur la lancée du mouvement unitaire, il avait continué dé capitaliser les intérêts de tous ceux qui aspiraient depuis si longtemps au changement. • 

    Victoire de l'intelligence aussi, car du reflux du mouvement unitaire dont il avait toujours entendu canaliser le cours, il avait su tirer les avantages secondaires qu'ils comportaientvis-à-vis de tous ceux que le changement effrayait. 

    F. Mitterrand, élu président de la République, était l’homme dont une moitié des Français — ceux qui avaient voté pour lui — attendaient qu'il réalisât le changement et diva l'autre moitié — qui n'avait pas voté pour lui — espérait au fond qu'il ne change rien pour l'essentiel. La gauche l'emportait sans qu'on sache si c'était portée par la vague ou par le ressac. Ainsi peut se résumer l'énigme de notre histoire, telle qu'elle s'écrit tous les jours. 

              Mais cette situation est aujourd'hui dépassée. A l'état de grâce a succédé l'état de rigueur... 

              Il est vrai que les choix politiques ne peuvent pas être indéfiniment reculés.

    La « crise » continue. Or ce qu'on appelle la « crise », c'est le moyen, pour les classes dirigeantes, de rétablir leur hégémonie menacée dans la société. La fracture de la classe ouvrière, le développement d'une « marginalité de masse », la montée, avec les encouragements de la droite, d'une idéologie « sécuritaire » àconnotation fortement raciste dans la population, et plus généralement d'une idéologie de la crise faite de repli sur soi et de dépolitisation, ont contribué depuis dix ans, à miner les arrières sur quoi la gauche s'appuyait traditionnellement. 

    Dans ce contexte, la venue de la gauche au gouvernement ne peut avoir que deux effets : soit elle permettra d'enrayer ce processus, soit au contraire elle l'accélérera, si le gouvernement se laissait réduire, en invoquant la pression des nécessités, à appliquer, au plan intérieur comme au plan international, les mêmes remèdes que ceux conçus — en France comme à l'étranger — par la droite. 

    A la défaite idéologique de la gauche succèderait alors une défaite politique majeure. Mais rien n'est joué définitivement. Le destin hésite encore. Nous devons avoir confiance en nous, dans les capacités de notre peuple, et j'ajoute, dans le président de la République. 

    « On parle des Droits de l'Homme mais
    on oublie ceux du Citoyen ! »

    S'il y a une crise de confiance à l'égard du gouvernement, c'est d'abord une crise du sens. Soyons justes : elle a précédé de plusieurs années l'arrivée de la gauche au pouvoir. Elle s'enracine dans la défaite idéologique et culturelle de la gauche à la fin des années soixante-dix. Oh certes ! Il ne s'agit pas de rétablir un sens de l'Histoire indépendant des hommes, de leurs luttes et de leurs choix concrets ! Mais faut-il disqualifier les valeurs de liberté, de démocratie, de raison, de progrès par une critique qui vise non pas à décaper, à séparer le bon grain de l'ivraie, à dénoncer les malfaçons ou les détournements de sens, mais bel et bien à l'extermination de ces concepts fondamentaux ? 

    On parle des Droits de l'Homme, mais on oublie ceux du Citoyen L'invocation des valeurs de la démocratie par les riches semble faite, avant tout, pour étouffer les luttes des opprimés ! La « raison » n'a pas survécu et pas davantage le « progrès » à cette « grande lessive des idées » qui a marqué, à la fin des années soixante-dix, le triomphe de la droite sur la gauche et qui a réussi à sataniser le marxisme, selon l'expression d'A. Liepietz, à travers l'URSS et, plus généralement d'ailleurs, le rationalisme en politique. 

    Il y aurait beaucoup à dire sur l'attitude des socialistes vis-à-vis de l'URSS. Que celle-ci, à leurs yeux, n'ait jamais été socialiste, c'est un fait constitutif depuis 1920 du « socialisme démocratique ». Mais, de là, ne s'ensuivait pas que l'URSS était identifiée à l'Empire du Mal (auquel, soit dit au passage, M. Reagan n'a pas coupé le blé). Or, c'est bien dans ce manichéisme sommaire qu'au nom d'un « antitotalitarisme » de pacotille et, plus ou moins manipulé, la gauche se laisse trop souvent précipiter. Là n'est pas le sens de l'Histoire qu'il nous revient d'écrire. 

    Dire le juste et l'injuste, donner un sens à la lutte, bref créer des valeurs, voilà ce qu'on attend du gouvernement aujourd'hui : 

                  affirmer la priorité du Nord-Sud sur l'Est-Ouest ;

                  rejeter la logique des blocs ;

                  refuser l'engrenage des politiques conservatrices dans le monde industriel ; 

    — définir, des règles de jeu claires dans la société française. 


    Il ne suffit pas de le dire, il faut le faire, et de manière éclatante ! 

    Le gouvernement demande aux Français un effort. Il pourrait leur demander un effort beaucoup plus grand s'il le justifiait par une politique sans concessions inutiles, énergique, ferme, bref, pour tout dire, républicaine. 

    C'est parce qu'il demande au peuple des sacrifices que le gouvernement doit être un professeur d'énergie. C'est ce que le peuple et ce qui reste de l'intelligentsia de gauche attendent du gouvernement : qu'il fasse front, qu'il se batte, qu'il dise haut et fort le Droit. Alors il mobilisera ! 

              Venons-en aux questions économiques. Est-il possible de mobiliser aujourd'hui, alors que, de toute évidence, la politique de relance tentée en 1981 à échoué ? N'y a-t-il pas une phase de rigueur inévitable ? 

              Il serait en effet éclairant de savoir comment, à l'analyse en profondeur de la crise, telle que effectuée, par exemple, la Projet socialiste, aussi bien dans sa dimension historique que géopolitique, s'est substitué, dès juin 1981, un keynésianisme naïf, dont l'échec, sans doute prévisible dès le départ, semble justifier aujourd'hui un changement de cap complet. La première réponse est que ce keynésianisme n'était pas aussi naïf qu'à première vue l'on pourrait croire. En fait de relance, il était bien difficile à la gauche de faire moins qu'elle ne fit. Et si le déficit extérieur se creusa ce fut moins par l'effet des quelquesavantages concédés aux smicards, aux familles et aux vieux, en juin 1981, que par celui du décalage conjoncturel entre la France et ses voisins, hérité de M. Barre (l'ardoise du déficit commercial en 1980 s'élevait à 72 milliards de F 82) et, enfin, par l'effet de l'envolée du dollar renchérissant, en deux ans, de plus de 50% de nos importations de pétrole et de matières premières. 

    « J'ai toujours pris soin de n'indiquer
    que des objectifs accessibles ».

    L'hymne à la relance, en fait, fut surtout une de ces berceuses qu'on se chante à soi-même autant qu'aux autres, pour se rassurer et pour rassurer, ,la mise en musique d'une conciliation temporaire d'intérêts contradictoires, le désir de prolonger les illusions de l'état de grâce, la croissance rêvée relayant la force tranquille, pour maintenir en équilibre les contraires. 

    Si naïveté il y eut, elle fut moins économique que politique. Nul n'ignorait la théorie du multiplicateur, ni le coefficient élevé d'élasticité de nos importations à toute augmentation du revenu national. Rien n'était plus prévisible que le resserrement progressif de la « contrainte extérieure ». 

    La vérité est qu'après vingt-trois ans d'absence, la gauche parait au plus pressé, et, donnait une forme rationnelle, bref habillait de l'apparence d'une politique, un ensemble de mesures qu'elle ne pouvait éviter de prendre, mais dont il est juste de dire qu'elle sût, au maximum, limiter l'impact. 

    Dans un pays aussi politique que le nôtre, il y a peu de naïfs. Maîtriser le temps fut toujours l'art du politique. Certains veulent prendre leur temps, à juste titre, pour changer les choses, et, vous le savez, je me range dans ce camp. J'ai toujours pris soin de n'indiquer que des objectifs accessibles, en refusant les maximalismes illusoires, du style « Le socialisme à l'ordre du jour ! » Mais il y a aussi ceux qui veulent simplement « gagner du temps » pour user l'ardeur des premiers et pour éviter au pays des transformations qu'ils redoutent au fond d'eux-mêmes, tant ils sont persuadés qu'il n'y a pas de substitut à l'ordre des choses qu'ils ont toujours connu. 

    En l'absence d'une dévaluation compétitive réalisée dès le départ, ou d'une sortie du SME qui eût abouti au même résultat, c'est-à-dire à doper nos exportations sur l'Allemagne, il était d'autant plus inévitable que nous nous laissions « pousser dans la nasse », selon l'expression d'un financier américain, qu'aucune clause de sauvegarde, aucune mesure de protection n'était prise par ailleurs, pour favoriser la production nationale au détriment de l'importation. 

    S'il est vrai qu'une politique industrielle ou la reconquête du marché intérieur ne peuvent porter leurs fruits que dans la longue durée, il n'y a rien de pire pour discréditer une politique que de l'invoquer sans cesse sans l'appliquer vraiment. 

               Vous ne contestez donc pas la rigueur en elle-même ? 

              La rigueur — au sens où vous l'entendez (égale austérité) — ne définit pas une politique mais un passage obligé. Le problème c'est de faire que la rigueur serve à quelque chose. Les Français ne nous sauront gré que d'avoir gagné. Et pour cela, il faut une autre rigueur, au sens intellectuel et moral du terme : une ambition servie par des moyens adéquats. 

              Lesquels ?

              Tout d'abord il faut, absolument se débarrasser du néo-malthusianisme ! 

    La croissance zéro voilà l'ennemi ! On vivait, hier, avec et sur la croissance et, aujourd'hui, on bâtit l'avenir sur la non-croissance ! Le Président d'une entreprise nationale me disait, un jour, que le coût actualisé d'une embauche — cotisations sociales comprises — l'amenait à ne plus faire que des investissements de productivité et à interrompre tout recrutement nouveau ! Avec ce genre de raisonnement on ne fait plus d'enfants (l'INSEE vient d'ailleurs de publier une statistique sur le « coût d'un enfant » : plus de 1 800 F par mois) et il devient absurde même d'investir. La vie s'éteint ! La France se recroqueville ! 

    Et comme la croissance zéro est dans toutes les cervelles, on programme à la fois la fin de l'Etat-Providence, parce qu'il n'y a plus de quoi payer, et on envisage, pour enrayer le chômage, les progrès d'une assistance généralisée. D'un côté, on cherche à réduire la protection sociale et de l'autre, on multiplie les revenus déconnectés du travail. D'un côté, on prétend limiter la progression des charges sociales qui pèsent sur l'économie et de l'autre côté on généralise l'économie de transferts. On fait appel à l'effort mais on multiplie les pré-retraites et on rêve d'étendre le travail à temps partiel. Comprenne qui pourra !i Comme toujours, chaque ministère a une vue parcellaire des choses mais manque trop souvent la vision d'ensemble ! 

              Mais la France peut-elle retrouver un différentiel de croissance positif avec ses partenaires, alors qu'aujourd'hui, c'est plutôt l'inverse qui se produit ?

              Il faut, pour cela, substituer un concept offensif à ce qui ressemble à une défense passive du franc à travers le SME. Toute manœuvre, pour réussir, a besoin d'un espace où se déployer. Les efforts engagés par le gouvernement sont salutaires mais ils ne peuvent porter leurs fruits que dans la durée. Prenons garde à ne pas confondre l'objectif — même souhaitable —(c'est-à-dire la suppression du différentiel d'inflation avec l'Allemagne) avec la réalité des prochains mois. Si l'issue à la crise ne peut être que collective, rien n'interdit à la France de chercher à tirer son épingle du jeu, d'autant que, jusqu'à présent, c'est l'économie française, avec les débouchés qu'elle offre, qui a servi d'amortisseur à la crise de ses voisins. 

    D'un point de vue théorique, il n'a jamais été démontré qu'une dévaluation enfonce le pays dans la spirale du déficit extérieur et de l'endettement dès lors qu'il s'agit d'une dévaluation compétitive, ne se bornant pas à annuler la perte de compétitivité résultant du différentiel d'inflation déjà enregistré mais assez forte pour renverser les anticipations des exportations et des détenteurs de capitaux. 

    Il faut que les exportateurs, pour répercuter la , dévaluation dans leurs prix (au lieu de gonfler leurs marges), soient convaincus de ce que l'inflation en France ne viendra pas annuler, dans l'année, le bénéfice de change entraîné -par la dévaluation (ce qui suppose deux conditions : une dévaluation au moins deux fois plus importante que le différentiel d'inflation enregistré sur une année et, par ailleurs, le redoublement d'une politique résolument anti-inflationiste, destinée à supprimer le différentiel d'inflation sur deux ans).

    Annexe 4

    Ces deux conditions : une dévaluation suffisante et la réduction du différentiel d'inflation sont également de nature à renverser les anticipations des détenteurs de capitaux et à favoriser les rentrées de devises. 

    Bien entendu, cette dévaluation compétitive — si on en acceptait l'hypothèse — devrait avoir lieu avec le mark car le déficit enregistré, en 1982, sur l'Allemagne et les Pays-Bas (55 milliards de F) représente les 2/3 de notre déficit. 

    J'admets qu'on puisse discuter une pareille hypothèse.

    « La production est la limite de toute réforme ». 

    En effet, une dévaluation aussi importante aurait dans les 18 premiers mois, des effets négatifs plus importants que les effets positifs à en attendre : le renchérissement de nos achats précéderait l'essor de nos ventes rendues plus difficiles, par ailleurs, par la quasi stagnation du commerce international. 

    C'est pourquoi, dans cette hypothèse, une politique des importations — à titre provisoire — est nécessaire : développement de nos achats en francs ; accords d'Etat à Etat mais surtout, à titre temporaire, mesures de dépôt préalable à l'importation et recours à certaines clauses de sauvegarde qui pourraient être levées au fur et à mesure de l'amélioration des résultats de notre commerce extérieur. 

    On peut critiquer ce parti-pris de dévaluation compétitive : il faudrait, en effet, travailler plus pour acheter l'équivalent de ce que nous importons aujourd'hui. Mais n'est-ce pas là le fond du problème ? Et s'il faut travailler plus, qui s'en plaindra ? 

    Bien loin que le travail soit un « bien rare », c'est  sur lui que nous devons Annexe 4fonder une stratégie offensive de reconquête visant à la fois l'équilibre extérieur et l'amélioration de l'emploi. A moyen terme, ce serait tout bénéfice. 

    Mais, au total, il doit être clair qu'une telle politique fait de l'emploi la priorité essentielle, avant la défense du pouvoir d'achat global qui évoluera en fonction de la production et de l'effort de chacun. 

           Nos partenaires supporteraient-ils une telle politique ? 

           Je ne vois ni pourquoi ni comment ils s'y opposeraient d'autant que c'est leur politique qui nous aurait conduits, en définitive, à faire ces choix. Il y aurait évidemment une autre perspective : c'est qu'ils consentent à aborder sérieusement les problèmes que le gouvernement français leur soumet méritoirement depuis deux ans : Europe sociale - politique industrielle et technologique commune - relance concertée des économies - réforme du système monétaire international, etc., etc. 

         L'industrie française serait-elle capable de tirer son épingle du jeu, étant donné le poids des charges dont le gouvernement lui-même semble se préoccuper ? 

           Le problème des « charges » ne peut être traité indépendamment des « recettes ». Parce que la production est la limite de toute réforme, l'avenir du système de protection sociale est lié au taux de croissance. Reste que le système français fait reposer prioritairement le financement de la protection sociale sur les entreprises et sur les salariés, et d'autant plus lourdement qu'il s'agit de salariés modestes (en raison du plafonnement des cotisations). 

    C'est cela qu'il faut changer soit par le déplafonnement (qui pose le problème des cadres), soit par le transfert de plusieurs points de cotisations sociales sur l'IRPP (par la généralisation du prélèvement à la source), soit encore sur la TVA, c'est-à-dire sur la consommation. 

    L'IRPP laissant des catégories sociales entières hors de son champ, l'augmentation de la TVA serait, en définitive, tout aussi juste et, surtout, elle améliorerait la compétitivité des produits français par rapport aux concurrences déloyales des pays où les entreprises n'acquittent pas des charges sociales comparables aux nôtres (qui sont — rappelons le — parmi les plus fortes du monde) soit que le système de protection n'existe pas dans ces pays (Sud-Est asiatique) soit que la fraude y soit chose courante (Italie). 

    Pour contenir la croissance de la protection sociale dans les limites autorisées par la nécessité de maintenir la compétitivité globale de notre économie, je crois moins à la « resocialisation » de cette protection (par la famille, les associations ou les collectivités locales) qu'à l'instauration de mécanismes de responsabilisation au niveau de l'offre (médecine - hôpitaux -pharmarcie) et au niveau de la demande, en particulier, comme le propose Pierre Uri, par l'instauration d'une franchise proportionnée au revenu. 

             C'est là le discours que vous vous apprêtez à tenir au Congrès de Bourg-en-Bresse ? 

            Je ne pense pas qu'il y ait un discours pour les Congrès, un autre pour l'opinion et un troisième pour le Conseil des Ministres : les voies de la réussite, en effet, sont terriblement étroites. Le Congrès de Bourg sera intéressant par ce qu'il s'y dira et, de ce point de vue, il sera décisif pour l'avenir du Parti socialiste. 

    Le gouvernement ne peut pas ne trouver qu'en lui-même les ressources de fermeté et d'énergie dont il a besoin. L'élan doit aussi venir du Parti, si le Parti, du moins, n'a pas renoncé à exister. S'il a le courage de s'exprimer avec force, mais aussi avec responsabilité, en balayant les arguties timorées, c'est notre entreprise tout entière qui s'en trouvera revigorée. 

    Je crois à la puissance de la volonté. Dans une période d'incertitudes comme celle que nous traversons, il faut qu'une résistance se manifeste, qu'un crand'arrêt soit mis pour interdire les dérobades, les complaisances, les reculades et même, tout simplement, les silences. 

             En quoi la politique que vous proposez est-elle particulièrement de gauche ?

             Elle est de gauche parce qu'elle est intelligente, c'est-à-dire adéquate. Il faut réussir. Et c'est en servant la France qu'en définitive nous servirons le mieux la gauche. 

             Ce discours peut-il être entendu, comme vous l'avez déjà déclaré, au-delà des frontières traditionnelles de la gauche ? 

             Je le crois. Au risque de choquer certaines sensibilités, que je respecte d'ailleurs, il me semble nécessaire de restaurer aujourd'hui un « consensus productiviste », de bâtir une sorte d'alliance saint-simonienne des productifs dans l'intérêt du pays tout entier. 

    Plutôt que le mistigri des déficits soit constamment repassé des entreprises à l'Etat, de l'Etat à la Sécurité sociale et de la Sécurité sociale aux entreprises, en attendant que payent les ménages, nouveau dilemme, car faut-il faire payer les riches au risque — dit-on —de décourager l'initiative, l'entreprise et l'épargne et « d'épuiser le gisement fiscal », ou bien faut-il faire payer les moins riches au risque de « démotiver » les cadres, ou bien faut-il faire payer tout le monde, au risque de faire fuir les électeurs ? Plutôt que de danser cette sarabande que le ralentissement de la productivité et de la croissance et l'affaissement du soutien populaire rendent de plus en plus périlleuse mieux vaudrait distinguer clairement. Oui,distinguer entre la rente et l'entreprise d'une part, entre les privilèges corporatifs et la rémunération du travail d'autre part pour bâtir ce nouveau, consensus industriel et productiviste favorisant l'entreprise par rapport à la rente, l'industrie par rapport au tertiaire, le travail ouvrier qualifié et les activités productives en général par rapport 'à la « graisse » du corps social.

     

    « Il faut casser le déclin industriel de l'Europe ».


    Cela peut s'énoncer en trois points :Annexe 4

    Un objectif : gagner la guerre économique

    Une alliance de classes : entre les syndicats et l'industrie, fondée simultanément sur la revalorisation du travail industriel et le rétablissement de la capacité de financement des entreprises

    Une morale : celle de l'initiative de la création et, par conséquent, la revalorisation de la notion d'activité et des fonctions économiques : entreprise, travail, épargne — dans la société. 

    Cela ne va pas de soi. Et pourtant il faut le faire !

            Cette vision n'est-elle pas trop « nationale » ? On discerne mal la dimension internationale dans laquelle s'inscrivent vos propositions... 

            Vous avez raison.

    Pour retrouver durablement « le sentier de la croissance » il ne suffit pas de restaurer le circuit keynesien au niveau national, en augmentant les débouchés offerts à la production nationale sur le marché intérieur et à l'exportation. Il faut organiser l'Europe et ses prolongements comme un axe de croissance relativement autonome par rapport au reste du marché mondial. 

    Casser le déclin industriel de l'Europe.

     

    Vingt-cinq ans après la signature du traité de Rome, il n'y a toujours pas de capitalisme européen mais des capitalismes nationaux. Nous devrions œuvrer davantage à marier nos industries et en particulier l'industrie française et l'industrie allemande. 

    Annexe 4

    Il faut donner à notre continent un nouvel élan scientifique, technologique, social, culturel, géopolitique. Et cela supposerait, comme le relève, à juste titre Claude Julien, dans le Monde diplomatique du mois dernier, plus d'autonomie et plus de fermeté de la France et de l'Allemagne par rapport aux Etats-Unis. Une France forte, en réalité, n'est pas contradictoire avec le progrès de l'Europe. C'est le contraire qui est vrai. La crise de l'Europe est liée à l'affaiblissement de la France. Pour progresser à nouveau, l'Europe a besoin d'une France restaurée dans sa puissance et dans sa liberté de mouvement. 

            Sur ce sujet, pensez-vous, comme Georges Marchais que la France doive aller à Genève pour peser en faveur du désarmement ? 

            Les négociations de Genève éclairent d'un jour nouveau l'avenir de la force française de dissuasion. Imposée, dans les années soixante, par le général de Gaulle, elle passait, jusque là, pour un fait acquis aux yeux des Superpuissances. Rien de tout cela ne tiendrait plus dès lors que cette force de dissuasion serait comptabilisée dans l'arsenal occidental, comme le veut clairement désormais l'URSS. Ce serait donc uneerreur d'aller à Genève. Je n'épiloguerai pas sur les arguments fournis à brassée par les atlantistes à la thèse soviétique. Le fait — il est vrai — n'est pas nouveau : la déclaration d'Ottawa n'affirmait-elle pas déjà, en 1974, .que les forces nationales de la France et de la Grande-Bretagne contribueraient au « renforcement global de la dissuasion de l'Alliance » ? S'il est vrai que la France ne peut pas se désintéresser du niveau de l'équilibre mondial en matière de fusées thermonucléaires — ne serait-ce que parce que la crédibilité de sa propre force de dissuasion en dépend — encore convient-il de ne pas identifier la défense de la France à la défense atlantique, à plus forte raison étendue à l'échelle du monde entier ! 

    Les blocs adverses sont solidaires. Leur logique est la même. Ce n'est pas la nôtre.

    La France ne peut être la France que si une stratégie nucléaire nationale lui confère une entièreAnnexe 4 liberté de décision politique. Hors de là, point de salut. Toutes les plaidoiries en faveur du resserrement des liens militaires de 1:Alliance atlantique nourrissent l'argumentation soviétique qui, si elle a pu être sensible, un moment, au facteur d'indépendance que constituait aussi, vis-à-vis des Etats-Unis, notre force de dissuasion, semble y discerner aujourd'hui plus d'inconvénients que d'avantages. 

    . Volonté d'en finir avec le traitement à part jusque là accordé à Paris ? Méfiance à l'égard de la montée en puissance d'une force de dissuasion proprement européenne, même si elle reste placée sous l'autorité d'un gouvernement national ? Volonté de voir l'Europe s'abandonner à la protection américaine jusqu'au jour où l'exacerbation des conflits d'intérêts transatlantiques et le retour des tendances isolationistes aux Etats-Unis mettraient l'Europe à la merci des fusées donc des chantages et des pressions soviétiques ? Il y a de tout cela sanss doute dans la position de Moscou.

    Annexe 4

    « Pour la montée en puissance de la force
    de dissuasion française ».
     

    La situation actuelle est d'autant plus dangereuse que pour des raisons contradictoires les atlantistes conséquents, les tenants des thèses soviétiques et les pacifistes sincères se retrouvent du même côté pour exiger, sinon la suppression de la force de dissuasion française, du moins sa comptabilisation, c'est-à-dire sa réduction ou même son plafonnement, bref à terme son déclassement, sans toujours se rendre compte que c'est ainsi la dernière chance d'une indépendance européenne entre les deux Superpuissances qu'ils risquent d'anéantir. 

    Sans remettre en cause le modèle de dissuasion dit « du faible au fort » qui fonde notre stratégie, je crois ail contraire nécessaire non 'pas seulement de maintenir la crédibilité de notre force de dissuasion mais de la développer. 

    Il n'est pas raisonnable de penser que l'Europe doive s'en remettre éternellement aux Etats-Unis du soin d'assurer sa défense. 

    La question d'une défense européenne n'est pas actuelle pour autant. Mlle ne se posera que si les conditions, un jour, en sont réunies. Conditions militaires, la montée en puissance de la dissuasion française et conditions politiques : un accord de sécurité collective en Europe assez raisonnable pour redonner à chacune de nos vieilles nations, à l'Est comme à l'Ouest, la possibilité d'une évolution conforme à ses aspirations. 

    L'URSS sera confrontée dans les vingt ans quiviennent à la montée inéluctable de la Chine. C'est de notre courage et de notre opiniâtreté aujourd'hui que dépendra que l'Europe soit alors un champ de conflits ou au contraire un continent de paix. C'est dire que la question est posée à mes yeux de savoir si le lancement d'un système sous-marin de nouvelle génération, au milieu des années 1990, ne devra pas en réalité être le premier d'une beaucoup plus longue série et s'il ne conviendrait pas dès maintenant de forcer l'allure. 

               Quelle est votre position en ce qui concerne l'installation des Pershing américains ? 

               Partons, si vous voulez bien, de l'installation des SS 20 soviétiques qui renforcent la situation d'otage stratégique de l'Europe.

    La vraie question est de savoir si les Européens peuvent utiliser les Pershing pour obtenir le retrait desSS 20. 

    Comme vous le savez, la stratégie américaine évolue depuis 1976 (doctrine Schlesinger) vers la restauration de la possibilité de guerres limitées, conventionnelles voire nucléaires. La doctrine de « l'escalade horizontale » lie de plus en plus entre eux les différents théâtres d'opération éventuels. Un accident au Moyen-Orient peut entraîner une riposte en Europe et vice-versa. Dans quelle mesure la déclaration de Williamsburg affirmant le caractère « indivisible » et « global » de la sécurité des pays signataires, y compris le Japon, ne reçoit-elle pas un éclairage inquiétant de ce que nous savons désormais des orientations de la politique américaine : stratégie de confrontation militaire globale, théorie d'une guerre nucléaire pouvant « être gagnée », non limitation d'un conflit au théâtre sur lequel il aurait éclaté, et enfin possibilité d'une guerre nucléaire limitée à l'Europe ? 

    Tout semble montrer qu'en l'absence d'un réel déséquilibre nucléaire stratégique au niveau mondial entre les Etats-Unis et l'URSS — au contraire les Etats-Unis ont 2 000 têtes de plus et une puissance triple en équivalents mégatonnes (1) — l'installation des Pershing vise moins à protéger l'Europe des SS 20 qu'à fournir aux Etats-Unis une capacité de frappe à laquelle ils avaient renoncé depuis Kennedy. 

    L'intérêt des Européens — notre intérêt — serait qu'il n'y ait ni Pershing ni SS 20. Le compromis dit de « la promenade dans les bois » — limitation du nombre de SS 20, installation en Europe de missiles de croisière américains mais non des Pershing — serait un pis aller. 

    « Faisons confiance au Président pour peser du bon côté ».

    La vraie question qu'on doit se poser est de savoir si l'intérêt de la France est d'appuyer ceux qui, au sein de l'Administration américaine, font figure de « faucons ». Le problème peut, en effet, être abordé d'une autre manière : si la course aux armements et les dépenses militaires financées par un déficit de 200 milliards de dollars sont aussi pour les Etats-Unis un moyen de sortir de la crise, nul ne peut oublier que ce déficit massif est à l'origine des taux d'intérêts élevés et du cours exorbitant du dollabr dont l'économie française, comme celle des pays européens et du Tiers Monde, font principalement les frais. 

    La reconquête par les Etats-Unis de leur position hégémonique, au plan militaire et au plan monétaire, ne s'identifie pas forcément à l'intérêt de la France. Notre vocation n'est pas de soutenir en tout état de cause le surarmement américain et la relance de la course aux armements dans le monde. 

    Que la menace soviétique à quelques centaines de kilomètres de nos frontières soit une réalité, que l'URSS pose à tous les pays de l'Europe un problème militaire, c'est l'évidence. 

    Mais comme l'écrit le Général Poirier : « La menace soviétique (depuis les années soixante) n'a pas changé de nature. C'est sur son existence — en invariant —que se fondait le modèle de dissuasion du faible au fort. Même si l'on est en droit de la juger plus prçssante et s'il faut corriger notre stratégie en Europe en fonction de vulnérabilités accrues, son aggravation n'est pas telle qu'elle justifie une révision de notre stratégie... » (2) On ne saurait mieux dire. 

    Les déclarations de Charles Hernu en faveur ducompromis dit « de la promenade dans les bois » me paraissent aller dans le bon sens. 

               Ce bon sens est-il clairement perçu par tout le monde en France ? 

               Faisons confiance au président de la République pour peser, le moment venu, du bon côté, dans l'intérêt de la paix qui ne se sépare pas de l'intérêt de la France. 

    (Propos recueillis par P.L. Séguillon et J.-A. Penent) 

    (1)          Chiffres de l'Institut d'Etudes Stratégiques de Londres — Military Balance 1982-83. Cf. l'article d'Alain Joxe dans En Jeu n° 4 — juillet 1983. 

    (2)          Essais de stratégie théorique — Cahier de la Fondation pour les études de défense nationale — ler trimestre 1982, page 17. 

    Annexe 4

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  • Pour lire les deux livraisons précédentes:

    I- La cité structure politique fondamentale et II- Des cités inégales entre elles

    III- Les institutions des cités 1- L'exemple d'Irni

    III– Les institutions des cités (2- et 3-)

    Les cités, base de l'Empire romain. L'exemple de la Gaule et de l'Espagne (fin)

    2- Un exemple à peu près impossible à généraliser

    Il s’agit, avec la loi dont nous avons  traité au point précédent, de quelques municipes donnés, d’une région de la province de Bétique, à une époque donnée, la fin du Ier siècle de notre ère. On ne peut douter que cette loi ait été écrite d’après des principes généraux, déjà en vigueur ailleurs, peut-être sur des modèles déjà existant ailleurs mais, s’agissant des détails, ce serait une abominable erreur que de considérer qu’ils valent pour tout l’empire et pour toute la période. Des éléments que nous avons sur d’autres communautés suffisent d’ailleurs à montrer, sous l’apparente uniformité du modèle institutionnel romain, des différences remarquables dans les détails.

    Ces éléments sont, pour chacune de celles ci, très limités, et se prêtent mal à la comparaison avec le cas d’Irni. Il s’agit d’inscriptions beaucoup plus brèves, d’objets beaucoup plus limités, dans la plupart des cas en très petit nombre pour une communauté donnée. Elles ne sont presque jamais datées, et très exceptionnellement datables avec certitude, quand elles n’ont pas le bon goût de nommer sans ambiguïté un prince ou un personnage important connu par ailleurs. On les date parfois d’après la nature de la pierre, une formule, la forme du monument s’il est conservé, voire la qualité de l’écriture : c’est presque toujours sujet à caution, surtout quand ces critères ne sont pas précisés.

    Certaines nous montrent des institutions locales en action, et peuvent parfois donner une idée du processus de décision. Il s’agit presque toujours de dédicaces de monuments, bâtiments, plus souvent statues d’une divinité, d’une personnalité locale et romaine, principalement bien sûr le prince : ce n’étaient pas forcément les décision les plus importantes pour une communauté, mais ce sont celles qui laissent des traces. La fréquence de la formule d(ecreto) d(ecurionum), par décret des décurions, ou d’équivalents, montre que l’importance du conseil restreint, que nous avons constatée à Irni, valait pour beaucoup d’autres cités, probablement pour toutes. Mais il n’est pas certain que le rôle de l’assemblée du peuple ait partout été aussi restreint. Il est beaucoup plus difficile à caractériser sur les dédicaces de monuments. Quand l’acteur cité n’est pas l’ordre des décurions ou un magistrat, on trouve soit le nom de la communauté, soit celui de ses habitants au pluriel : il est tentant d’y voir une décision du peuple, mais on ne peut exclure que ce soient les décurions qui agissent en son nom. Les seuls cas clairs sont ceux où il est question de populus, et ceux où sont cités successivement les décurions et la population, agissant ensemble ou de façon complémentaire. Ainsi nous avons à Nîmes cette dédicace 

    Les cités, base de l'Empire romain. L'exemple de la Gaule et de l'Espagne (fin)

    L(ucio) Iulio Q(uinti) f(ilio) Volt(inia tribu) Nigro Aurelio Seruato, omnib(us) honorib[us] in colonia sua functo, IIIIII uiri corporat[i] nemausenses patrono, ex postulatione popul[i], l(oco) d(ato) d(ecreto) d(ecurionum)

    (« À Lucius Julius, fils de Quintus, de la tribu Voltinia, Niger Aurelius Servatus, qui a rempli tous les honneurs, le corps des sévirs de Nîmes à son patron, à la demande du peuple, en un lieu donné par décret des décurions », CIL, XII, 3236)

    Le peuple demande le monument (ce qui indique un vote de l’assemblée), les décurions en donnent l’emplacement (Les sévirs, qui le font, sur lesquels nous reviendront, ne font pas partie des institutions de la colonie à proprement parler). À Lyon, sur les six duumvirs explicitement mentionnés par des inscriptions, deux, Sextus Ligurius Marinus et Tiberius Aquius Apollinaris, sont dits l’avoir été ex postulatione populi, à la demande du peuple (CIL, XIII, 1921 et AE,1966, 252). Cette formule, parfaitement claire dans le cas de Iulius Niger à Nîmes pour un monument honorifique, est en revanche désespérément obscure à Lyon dans un contexte électoral. Faut-il en conclure que le peuple n’intervenait pas normalement dans la désignation des duumvirs, et qu’on signale son rôle dans ces deux cas parce qu’il était exceptionnel ? que cela signifie que ces deux braves gens n’étaient pas candidats, et que le peuple a dû les solliciter ? qu’ils ne remplissaient pas les conditions pour l’être et que c’est sur ce point qu’a porté l’intervention du peuple ? On pourrait certainement trouver encore beaucoup d’autres hypothèses. La seule certitude possible est que cette mention nous permet d’entrevoir un processus différent de celui décrit par la loi d’Irni.

    On trouve une autre différence dans la désignation des décurions pour compléter l’ordre. Nous avons vu comment on procédait à Irni, et combien c’était différent de la pratique romaine d’avant le principat, où c’était l’affaire de magistrats spécifiques, les censeurs, élus tous les cinq ans. Dans de nombreuses communautés, on trouve trace de duumvirs quinquennaux, dont on conclut sans grand risque d’erreur qu’ils correspondaient aux censeurs romains, et avaient leurs fonctions, dont la mise à jour tous les cinq ans de la liste des décurions. Apparemment, il ne s’agissait pas d’une magistrature distincte des duumvirs iure dicundo, les élus des bonnes années cumulant les deux fonctions, ce duumvirat étant donc particulièrement prestigieux, et recherché. On ne peut cependant avoir la certitude que c’était le cas pour toutes les communautés. On ne peut non plus savoir à quel point c’était répandu : on sait ce qu’il en est partout où au moins une inscription mentionne un duumvir quinquennal mais, quand il n’y en a pas, ailleurs qu’à Irni et dans les autres municipes ayant la même loi, qui ne leur laisse aucune place, on ne peut être sûr qu’il n’y en avait pas que le hasard des découvertes nous cache.

    Pour l’essentiel, les inscriptions en rapport avec les institutions locales sont honorifiques ou funéraires, consacrées à un individu, qui ne nous font connaître que les noms de certaines fonctions qu’il a exercées, et non quelles étaient leurs attributions précises. Certaines nous donnent une idée du cursus, mais pas toutes. L’usage d’indiquer, quand on honore un personnage, toutes les fonctions qu’il a remplies, dans l’ordre chronologique ou du moins dans un ordre rationnel, ne s’établit qu’au cours du premier siècle de notre ère pour les sénateurs romains, et s’étend plus lentement et moins systématiquement aux cursus locaux. Quand un personnage est cité seulement comme duumvir, on ne peut en conclure (certains l’ont fait, parfois) qu’il n’a pas exercé de magistrature inférieure auparavant, et qu’il n’y avait donc pas de cursus régulier de type romain : cela peut tout aussi bien, et beaucoup plus probablement, signifier qu’on s’en tient à la plus importante pour éviter un gaspillage de pierre et du travail du lapicide, gaspillage particulièrement évident si dans cette communauté tous les magistrats faisaient la même carrière dans le même ordre (alors qu’à Rome les fonctions étaient plus variées, ce qui donnait un certain intérêt à leur énumération). Ainsi, sur les six inscriptions de duumvirs déjà citées de Lyon, deux seulement mentionnent la questure, dont une seule l’édilité : ce serait folie de conclure que les quatre autres ont tous accédé à la magistrature supérieure sans avoir jamais été ni questeur ni édile. On voit d’ailleurs souvent, en Espagne comme en Gaule, la formule omnibus honoribus functus, ayant rempli tous les honneurs, que nous venons de rencontrer à Nîmes, qui confirme qu’il y avait une carrière systématique, mais ne nous dit rien de ses étapes. Il est tout à fait exceptionnel qu’on ait deux inscriptions du même personnage à deux moments différents, permettant d’apprécier l’évolution de sa carrière : encore faut-il pouvoir être certains qu’il s’agit bien du même, et non de deux de la même famille ayant exactement les mêmes noms. Enfin, il n’est pas fréquent que le statut de la communauté soit indiqué, encore moins pour les cités pérégrines, et à peine plus qu’on puisse le déduire par recoupement avec d’autres documents. Nous avons parlé longuement ailleurs sur ce blog du cas des Santons, chez qui on trouve (sur l’inscription dont nous avons mis la photo à la une de cette publication) un vergobret, qui était presque à coup sûr le magistrat le plus important de la cité au moins à ce moment là. Mais nous ne savons rien de leur statut alors (ni par la suite, d’ailleurs). Ceux qui posent arbitrairement que les Trois Gaules ont eu très tôt le droit latin en bloc pourraient en conclure qu’il était compatible avec le maintien d’une magistrature au nom gaulois : ce ne serait pas très raisonnable. Il ne le serait pas plus de conclure de ce vergobret que les Santons n’avaient pas alors le droit latin.

    Il arrive cependant qu’on découvre une inscription miraculeusement précise. Nous avons ainsi une comparaison possible avec Irni pour ce qui est du rapport entre statut et nom des magistratures, si nous sortons des limites géographiques de cet exposé et traversons la Méditerranée, jusqu’à Lepcis Magna, patrie du prince Septime Sévère, où on a trouvé vers 1950 une inscription à la gloire du grand-père de celui-ci qui, après la titulature du prince, qui permet de la dater exactement de 202, poursuit ainsiLes cités, base de l'Empire romain. L'exemple de la Gaule et de l'Espagne (fin)

    avo d(omini) n(ostri) / L(ucio) Septimio Severo sufeti prae//f(ecto)// publ(ice) creato cum primum ci/vitas Romana adacta est / du(u)mvir(o) fl(amini) p(er)p(etuo) (au grand-père de notre maître Lucius Septimius Severus, sufète, préfet créé par le peuple ( ?) au moment où la citoyenneté romaine a été donnée, duumvir, flamen perpétuel)[1]

    Cet homme précieux a donc été suffète, le titre que portaient les magistrats supérieurs des cités puniques, connu à Carthage jadis par le récit de Tite-Live de la seconde guerre punique, attesté dans d’autres cités d’Afrique du Nord sous le principat par plusieurs inscriptions, puis préfet et duumvir, titres latins que nous avons vus à Irni, un changement, l’octroi de la citoyenneté romaine à Lepcis s’étant produit entre-temps, qui en a donc entrainé un autre, la modification du nom punique de ses principaux magistrats en une appellation latine. Une autre inscription nous permet de mieux caractériser ce changement : il s’agit d’une dédicace faite à Trajan en 110 par la colonia Ulpia Traiana Lepcis, ce nom indiquant que la cité était devenue colonie sous ce prince, ce qui correspond fort bien à l’époque où le grand-père de Septime Sévère, lui-même né en 146, pouvait y exercer des magistratures. C’est certainement ce changement qu’évoque la formule cum primum ci/uitas Romana adacta est. Or nous savons, par plusieurs inscriptions, dont une dédicace à Vespasien, que Lepcis, que Pline l’ancien donne comme cité pérégrine était devenue municipe, nécessairement de droit latin, puisqu’elle n’a la citoyenneté romaine que sous notre Lucius Septimius Severus. Il était donc possible pour un municipe latin de conserver au moins une partie de ses institutions antérieures non romaine, contrairement à ce que pouvait laisser penser l’exemple d’Irni. C’est seulement en devenant colonie de citoyens romains que Lepcis adopte le modèle institutionnel romain et remplace ses suffètes par des duumvirs. Comme d’habitude dans ces cas là, nous sommes incapables de dire si c’était une condition mise par l’autorité romaine à cette promotion, ou un libre choix des Lepcitains. Nous constatons en tout cas, par la comparaison avec le cas d’Irni, qu’il n’y a pas de lien obligatoire entre le statut d’une communauté et la forme de ses institutions, qu’une même promotion n’a pas nécessairement les mêmes conséquences, tout dépendant de sa date, et de ses circonstances, qui nous échappent presque totalement. Il y a une tendance certaine à la généralisation dans tout l’Occident du modèle colonial romain avec décurions et duumvirs, celui qu’on trouve dans la loi d’Irni, mais jamais d’uniformisation délibérément voulue par l’autorité romaine.

    Il semble d’ailleurs y avoir une exception à cette tendance en Narbonnaise, où on trouve dans de nombreuses cités comme magistrats supérieurs non des duumvirs, mais des quattuorvirs, un collège de quatre magistrats, donc, apparemment hiérarchisé, deux seulement étant iure dicundo, avec donc la fonction qu’ont les duumvirs ailleurs, les deux autres ayant des titres variés . On a remarqué que toutes ces cités étaient, autant que nous le sachions, de droit latin, et qu’on ne connaissait de duumvirs que dans celles attestées comme colonies de citoyens romains. Dans la seule que nous sachions être passée du droit latin au droit romain sur laquelle nous ayons une documentation significative, Vienne, nous trouvons à la fois des quattuorvirs et des duumvirs, sur des inscriptions non datables, mais jamais ensemble sur la même, ce qui conduit à supposer que le titre des magistrats supérieurs a changé avec la promotion de la cité, et semble donc confirmer le lien entre statut latin ou romain et présence de quattuorvirs et de duumvirs. Il s’agit d’un constat empirique, qui reste donc à la merci d’une découverte d’inscription pénible, d’un quattuorvir dans une colonie de citoyens ou d’un duumvir dans une cité incontestablement latine, mais qu’on peut, vu le grand nombre de magistrats connus dans la province, considérer comme fiable.

    On trouve un parallèle à cela en Italie, où on constate, également par les inscriptions, sans savoir pourquoi ni comment faute de texte littéraire conservé traitant de ce sujet, que tous les municipes créés après la guerre sociale ont des quattuorvirs, iure dicundoet aedilicia potestate, comprises les anciennes colonies, tandis que les colonies fondées ensuite ont des duumvirs, et les municipes anciens, autour de Rome, des institutions très variées, conservant vraisemblablement celles qu’ils avaient avant leur intégration dans la cité romaine (Ainsi, à Larinum, il y a un seul magistrat supérieur, qui a le titre de dictateur, à Arpinum un collège de trois édiles, à Tibur un sénat). À cette exception près, il y a donc, comme en Narbonnaise, un lien entre le titre des magistrats supérieurs et le statut de la communauté. Mais ce n’est pas le même : en Italie où il n’y a que des citoyens romains, cela distingue municipes et colonies, là entre droit romain et droit latin, colonies latines comprises.

    Il est néanmoins probable que ces deux choses soit liées, qu’au moment, inconnu de nous mais vraisemblablement précoce, comme on l’a vu plus haut, où la Narbonnaise a reçu en bloc le droit latin, comme beaucoup plus tard les trois provinces d’Espagne, on se soit inspiré de la situation italienne, en adaptant la norme qui distinguait colonies et municipes, sans objet ici faute de municipes, pour qu’elle distinguât droit romain et droit latin. Nous n’avons pas de moyen de savoir si cette différence d’appellation, un collège de quatre hiérarchisé deux à deux plutôt que deux collèges de deux, correspondait à une différence dans le fonctionnement des institutions, et à plus forte raison quel pouvait être le rapport entre cette éventuelle différence et l’écart entre les statuts. Peut-être n’était-elle due qu’à une volonté, après la guerre sociale et encore au moment où la Narbonnaise a reçu le droit latin, de réserver le titre de duumvir iure dicundoaux colonies de citoyens romains. Si tel était le cas, cette volonté n’a pas persisté, puisqu’il y en a à Irni dans un municipe latin, et que nous en voyons aussi dans de nombreuses cités latines, voire pérégrines : cette norme, si norme il y a, n’apparaît dans aucune autre province d’Occident. Elle aurait donc disparu rapidement pour toutes les cités adoptant un modèle romain, mais été maintenue là où elle avait été déjà appliquée, en Narbonnaise donc, et en Italie. Ce serait une illustration plus d’un fait déjà observé : les institutions locales dépendent des circonstances dans lesquelles elles sont établies, mais, une fois établies, se maintiennent en général longtemps, sauf changement de statut comme à Lepcis, ou à Vienne.

    Cela ne signifie pas que les communautés de Narbonnaise aient reçu avec le droit latin des institutions identiques comme Irni, Salpensa, Malacca, Villo… Les inscriptions nous montrent des particularités locales significatives. On trouve ainsi à Vienne une quinzaine de triumvirs locorum publicorum persequendorum, à Nîmes, sur une vingtaine de pierres, un praefectus vigilum et armorum, chez les Voconces une seule attestation d’un praefectis praesidio et priuat(is ?), qui posent des problèmes amusants. Le premier est la nature de leurs fonctions, en l’absence de tout point de comparaison possible, à Rome ou à Irni par exemple, puisqu’elles ne sont attestées nulle part ailleurs : tout est dans le titre. Le Nîmois est le plus coopératif : préfet des vigiles et des armes, ça se lit tout seul, et ça indique une fonction de commandement d’une troupe armée, très probablement pour assurer l’ordre public, puisqu’il n’y a pas de guerre à l’horizon. Le cas du Voconce est inextricable, d’autant plus qu’il est tout seul. Il y a à peu près autant d’interprétations de son titre que d’auteurs s’étant penchés sur la question. Je ne vois d’intérêt ni à les citer toutes, ni à en inventer une nouvelle. Comme il y a praesidium, protection, dedans, on se dit en général qu’il doit être du même genre que le Nîmois, mais ça n’explique pas le priuat( ?). Le titre des Viennois ne pose pas de problème de traduction : ces gens là sont chargés de suivre les lieux publics, mais ne nous dit pas vraiment ce qu’ils faisaient. Il s’agit probablement de la gestion de domaines appartenant à la cité.

    Pourquoi, second problème, de telles charges existent-elles dans ces cités, et ces cités seulement ? À Vienne comme à Nîmes, il ne peut s’agir, vu le nombre de leurs attestations que de fonctions permanentes, certainement pas viagères, donc presque à coup sûr de magistratures annuelles puisqu’on ne connaît guère d’autres possibilités (on ne peut rien dire évidemment de l’unique Voconce, ni dans un sens, ni dans l’autre). L’ordre public était normalement l’affaire des édiles, les biens de la cité celle des questeurs (ou de quattuorvirs ayant les attributions des uns et des autres). Il est toujours tentant, dans ces cas là, de supposer qu’il s’agisse d’institutions gauloises antérieures à la transformation en colonie latine, et lui ayant survécu, dans ces cas là avec un nom latinisé, mais ce ne peut être qu’une hypothèse gratuite. On remarque aussi que dans ces deux cas, et également celui des Voconces, il s’agit de cités correspondant à un peuple Gaulois entier, les Volques Arécomiques à Nîmes, les Allobroges à Vienne, d’une taille démesurée par rapport aux normes habituelles en Italie, en Espagne ou dans le reste de la Narbonnaise. Sur d’aussi vastes territoires, la question du maintien de l’ordre pouvait se poser très différemment. De même, la cité pouvait avoir des domaines très vastes. Des besoins particuliers auraient donc entrainé la création localement de magistratures spécifiques.

    Reste enfin la question de la place de ces magistratures particulières dans le cursus local. Elle est à peu près insoluble (ce qui n’a pas empêché que de nombreuses solutions fussent proposées) puisque nous ne pouvons que très rarement être certains qu’une inscription d’un magistrat local donne toutes les étapes de son cursus, et jamais qu’elle les donne dans l’ordre. Le problème le plus douloureux est celui de l’effectif, particulièrement à Nîmes. Par définition, une préfecture n’est pas collégiale. Le mot, du participe factusfait, avec le préfixe praeen avant, n’a pas en soi plus de signification que duumvir ou quattuorvir : il en est l’équivalent pour une fonction non collégiale, l’important étant là aussi ce qui suit. Logiquement, il aurait donc dû y avoir quatre fois moins de préfets que de quattuorvirs à Nîmes, et être donc quatre fois plus difficile de le devenir (Sur une vingtaine de quattuorvirs connus, la moitié environ mentionnent la préfecture, tandis que trois préfets ne citent pas de quattuorvirat. Il est serait très dangereux de prétendre en tirer des indications statistiques). Il est néanmoins très difficile d’envisager que le sommet de la carrière n’ait pas été, comme partout ailleurs, la magistrature iure dicundo.On ne peut certes exclure que dans un deuxième temps la préfecture soit devenue collégiale en gardant son nom d’origine, mais il serait absurde de le tenir pour certain. Le problème se pose de la même façon à Vienne, à ceci près qu’ils sont trois. On remarque au passage qu’ils existent à l’époque où la cité est devenue colonie de citoyens romains, ce qui nous prouve que les institutions de celles-ci n’étaient pas non plus forcément identiques, et que les colonies de promotion pouvaient avoir des traits spécifiques, que le cas de Lepcis, vu plus haut, n’est pas généralisable.

    Dans les Trois Gaules (la partie de la Gaule conquise par César, dont Auguste a fait les trois provinces de Lyonnaise, Belgique et Aquitaine), il n’est en général pas possible, vue la rareté des inscriptions, de prétendre reconstituer ce qu’étaient, pour une cité donnée, les magistratures et la carrière (On a vu plus haut sur ce blog le cas des Santons). L’exception la plus notable est Lyon, colonie de citoyens romains de fondation, où nous avons un très grand nombre d’inscriptions, dont quelques-unes (en proportion très faible par rapport à leur total, mais en nombre très important par rapport aux autres cités des Trois Gaules) où nous trouvons, comme il est normal dans une telle colonie, des questeurs, des édiles et des duumvirs iure dicundo, aucun des sept que nous connaissons n’étant quinquennal, ce qui ne prouve pas qu’il n’y en avait pas.

    Il faudrait parler aussi des fonctions qu’on trouve dans toutes les Gaules, les quatre donc, se rapportant à un pagus, en général préfet de ce pagus. Le pagusétait apparemment une subdivision territoriale de la cité. L’existence de telles charges s’explique là évidemment par la taille anormale du territoire de la plupart des cités gauloises. Mais, vu le faible nombre d’attestations, et l’absence totale de texte normatif conservé, il nous est impossible de savoir si ces préfectures étaient, dans les cités où elles existaient, une magistrature annuelle, étape normale du cursus qui conduisait aux plus hautes charges civiques, une fonction subalterne donnée par les décurions ou les magistrats, ou encore une charge locale, donnée localement, sans lien avec les institutions de la cité.

    3- Le cas encore plus compliqué des fonctions religieuses

    Nous n’avons pas encore parlé des prêtrises. On ne rappellera jamais assez qu’à Rome, et donc dans les communautés de modèle romain, elles sont des charges civiques comme les autres, faisant à ce titre partie du cursus d’un magistrat, et qu’il faut absolument, pour en parler, se libérer de l’idée que tant de siècles de foi catholique nous ont donnée de ce qu’était un prêtre. Il n’en est pas question dans la loi d’Irni, dont nous sommes partis. Cela ne peut évidemment signifier qu’il n’y avait pas de prêtres dans les municipes gérés par une loi de ce type, mais soit que les articles concernant les prêtrises étaient sur une table nous manquant, la première, vraisemblablement, soit qu’elle n’étaient pas dans la loi, non par l’effet d’une conversion précoce au culte de sainte Laïcité, mais parce qu’elles étaient définies par d’autres textes, peut-être parce qu’en ce domaine les particularités locales empêchaient qu’on en traitât dans une loi manifestement écrite pour un grand nombre de communautés. On sait que les Romains, eux-mêmes fort conservateurs et donc justement réticents à tout changement, considéraient que leurs dieux l’étaient encore plus, toute modification d’un culte risquant de provoquer leur colère. Il est donc fort possible que, donnant à un certain nombre de nouveaux municipes espagnols des institutions communes définies par une loi type, ils aient laissé à chacun le soin d’organiser leur partie religieuse, en respectant les droits établis des dieux de chacun.

    Nous n’avons, là aussi, et donc sans même le point de comparaison très limité que nous donne la loi d’Irni pour les magistratures, que des titres attribués à des individus sur des inscriptions, presque tous existant à Rome et dont nous pouvons donc supposer qu’ils correspondent à quelque chose d’à peu près semblable. À Rome, les prêtrises sont toutes, à la différence des magistratures, viagères, mais (à de rares exceptions près) collégiales comme elles. Elles ont donc une place très particulière dans le cursus : le pouvoir qu’elles donnent, moins important que celui des magistrats (même en matière religieuse), n’est pas limité à un an ; comme elles sont viagères, elles sont plus difficiles à obtenir, donc d’autant  plus prestigieuses ; comme elles sont collégiales, elles n’entraient pas d’obligations incompatibles avec des activités loin de Rome, puisqu’il suffit qu’une partie des membres du collèges soient présents quand on a besoin de leur intervention.

    On trouve un certain nombre, dans les communautés des provinces de Gaule et d’Espagne, de pontifes et d’augures, dont les titres sont ceux des membres des deux principaux collèges de prêtres à Rome, où les premiers sont les gardiens de la religion, consultés chaque fois qu’un problème se pose, les seconds ont la fonction particulière, mais essentielle, d’observer les signes donnés par le vol des oiseaux dans le ciel, un signe défavorable pouvant provoquer le report d’une décision. Sans aucun élément concret sur l’action de leurs homonymes des provinces, nous ne pouvons que supposer que leurs fonctions étaient à peu près identiques. Leur nombre relativement restreint, par rapport à celui des magistrats, conduit à penser qu’il s’agissait, comme à Rome d’une fonction viagère et donc plus difficile à obtenir que la magistrature iure dicundo. Il y avait alors à Rome seize augures et seize pontifes, certainement beaucoup moins dans les communautés locales qui en possédaient. Mais comme nous n’avons presque toujours que des inscriptions consacrées à un individu et donnant ses titres, nous n’avons pas d’idée de leur effectif dans chacune. La seule communauté pour laquelle nous ayons une certitude est en Afrique du Nord, grâce à un document exceptionnel trouvé à Timgad, sur le site de la colonie de citoyens romains de Thamuggadi, fondée par Trajan, la liste des décurions de la colonie, vers 360. On y trouve quatre pontifes et quatre augures, qui apparaissent dans le classement hiérarchique avant les anciens duumvirs. Il y a en revanche une exception presque certaine à Nîmes, où le très grand nombre de pontifes connus, une quinzaine, plus de la moitié des quattuorvirs connus, semble exclure qu’il s’agisse d’un collège viager et restreint et pousse à conclure soit à une fonction annuelle, soit à un effectif très nombreux.

    Il y a bien sûr deux erreurs à éviter. La première serait de croire qu’il n’y a de pontifes ou d’augures que là où au moins une inscription atteste leur existence. Leur petit nombre, hors celui des pontifes de Nîmes, suffit à convaincre que dans bien des communautés, le hasard de la conservation et de leurs découvertes a fait disparaître toute trace de prêtres ayant pourtant existé. La seconde, symétrique, conclurait qu’il y en avait partout, puisque nous en avons des traces en un certains nombre d’endroits, et  nulle preuve de leur absence ailleurs. Une fois de plus, la sagesse est d’avouer notre ignorance.

    Globalement, on a la même impression pour ces prêtrises que pour le reste des institutions de type romain des communautés fondées, refondées ou modifiées : le modèle suivi est celui de Rome, mais simplifié, sans tout ce qui serait inutile, tant les institutions créées là-bas pour répondre à des besoins nouveaux (et maintenues même si ces besoins avaient disparu), comme les magistratures plébéiennes ou les deux autres collèges dits majeurs de prêtres, que celles archaïques maintenue sans plus avoir de rôle effectif, tous les autres collèges de prêtres.

    On se heurte immédiatement à une exception de taille. Contraste en effet avec la relative (et logique) rareté des pontifes (sauf à Nîmes) et des augures sur les inscriptions locales l’abondance des attestations de flamines[2], alors que le flaminat était à Rome au milieu du premier siècle le type même de la prêtrise archaïque tombée en désuétude, maintenue par conservatisme mais sans rôle politique. Il est l’exception à tout ce qu’on peut sur les prêtrises romaines en général puisque, n’étant pas collégial, il est une activité à plein temps, qui exclut en principe tout séjour hors de Rome, donc toute carrière politique importante. Il y avait quinze flamines, trois majeurs et douze mineurs, chacun étant le prêtre propre d’un dieu. Leur liste, connue simplement par un passage du grammairien Varron qui s’intéresse à l’étymologie de leurs noms, peut être considérée comme celle des principaux dieux de la cité à l’époque inconnue mais lointaine où ces prêtrises ont été instituées (avec Janus, dont était chargé le rex sacrorum). À part Jupiter et Mars pour les majeurs, Cérès et Vulcain pour les mineurs, ils nous sont peu connus ou totalement inconnus, et n’évoquaient sans doute pas beaucoup plus de choses aux contemporains de Cicéron et Varron. Le troisième majeur, Quirinus, était assimilé par eux, très certainement à tort, à Romulus divinisé. Nous savons ainsi qu’il a été l’un des trois ou quatre dieux majeurs de Rome avant d’être supplanté par d’autres, mais rien de plus, ce qui a permis aux savants modernes d’écrire beaucoup de choses à son sujet. Les autres grands dieux romains de l’époque historique, Junon, Minerve, Apollon, Hercule, Esculape… n’ont jamais eu de flamines, leur culte étant confié à l’un des collèges, ce qui semble indiquer que le flaminat était déjà une institution désuète au moment de leur introduction. Le seul de ces quinze flamines dont nous sachions vraiment quelque chose est le premier d’entre eux, le flamen dialis(adjectif formé de façon très compliquée sur le nom de Jupiter) car les nombreux interdits et obligations liés à son fonction ont intéressé des auteurs de la période historique, et parfois compliqué sa désignation puisqu’il devait être obligatoirement patricien. Nous ignorons totalement si de telles choses existaient pour les quatorze autres.

    On ne comprendrait pas du tout la prolifération des flamines dans les communautés locales si cette liste figée depuis trop de siècles pour que nous puissions savoir combien au juste n’avait été rouverte sous le principat, dans le cadre d’un des aspects de ce qu’on appelle le culte impérial, celui rendu à certains princes placés parmi les dieux de la cité après leur mort. Il y a eu un précédent controversé pour le dictateur César, apparemment de son vivant, mais le premier sûrement attesté est le flamen augustalis, chargé du culte d’Auguste après sa mort, le premier étant son petit-neveu et petit-fils adoptif Germanicus[3]. Il semble que tous les princes divinisés aient eu ensuite leur flamine. Cela peut expliquer leur apparition dans les provinces, puisque c’est l’époque où s’y diffuse le modèle romain. Cela ne justifie pas l’importance qu’ils y ont manifestement : à Rome, cette prêtrise ne semble pas avoir un rôle essentiel, n’est presque connue que par des inscriptions, certains textes littéraires signalant sa création pour tel ou tel, aucun ne montrant un de ces flamines en action. Nous ne savons même pas quels furent les successeurs de Germanicus au flaminat augustal. Les choses se compliquent encore quand on constate qu’il y avait à Pise, en Italie donc, du vivant d’Auguste un flamen augustalis, avant même qu’il y en eût un à Rome[4].

    C’est clairement dans le cadre du développement du culte impérial, celui des princes morts mais aussi, comme le montre l’exemple de Pise, du prince vivant, qu’apparaissent des flaminats dans les communautés de Gaule, d’Espagne et d’Afrique du Nord. On trouve parfois un flamen augustalis[5], comme à Rome et à Pise, parfois un flamen Augusti[6](avec le nom au génitif plutôt qu’un adjectif dérivé), plus souvent des flamines augqui peuvent être l’un ou l’autre, dont ne peut savoir si leur culte est celui d’Auguste divinisé, ou du prince vivant qui s’appelle aussi Auguste comme tout le monde. Certains sont Romae et Augusti, avec la même ambiguïté. D’autres sont clairement dits du Diuus Augustusou d’un autre divinisé[7]. On trouve enfin un nombre assez important de flamines diuorum, ou diuorum Augustorumou diuorum Augg(ustorum)(le double G indiquant qu’ils sont plusieurs quand la terminaison est abrégée), chargés des cultes de tous les diui, dans des communautés qui avaient donc renoncé à créer de nouveaux prêtres à mesure que leur nombre augmentait. Parmi eux, on a le cas intéressant de flamines diuorum et Aug(ou Augg), où Augn’est pas, si on croit à la sobriété du lapicide, une précision de diuorum, mais désigne le prince vivant. À Barcelone, un nommé Lucius Caecilius Optatus est dit, entre beaucoup d’autres choses, flam(en) Romae divorum et Augustorum[8]. Le pluriel Augustorums’explique facilement quand on a lu plus haut que, centurion, il avait reçu un congé honorable (honesta missio) de Marc Aurèle et Lucius Verus, les deux premiers à avoir été princes à égalité, étant chacun Auguste, de 161 à la mort du second en 169.

    Mais on trouve aussi, en beaucoup plus petit nombre, des flamines d’autres dieux. On connaît par exemple un flamine de Mars à Lyon, un de Lenus Mars à Trèves, un de Mars Mullo à Rennes[9]. Le premier est logiquement le dieu romain de la guerre dans une colonie de citoyens romains de fondation. Les deux autres sont plus amusants : Lenus et Mullo sont très vraisemblablement des dieux locaux, assimilés au Mars romain, d’où les doubles noms, chose dont a bien d’autres exemples, dont, à Rennes également, un Mercure Atepomarus. Il y a également quelques flamines sacr(orum) pub(licorum)[10], littéralement des choses sacrées (sacra) publiques, apparemment donc chargés de l’ensemble des cultes de la cité.

    On trouve surtout, et c’en est la majorité, des gens qui sont simplement dits flamen, sans aucune indication de dieu, parfois avec au génitif le nom de la communauté où ils le sont. On pourrait dire bien sûr que le dieu n’est pas précisé parce que tout le monde alors savait duquel il s’agissait, voire affirmer que c’était évidemment du culte impérial puisque une nette majorité des flamines identifiés en sont. Mais ce serait tout à fait gratuit. Il vaut mieux s’en tenir à ce qu’on voit sur les pierres : dans la plupart des cas, le flamenest un prêtre sans lien précisé avec une divinité, ce qui s’éloigne tout à fait du modèle romain, mais le rapproche des pontifes et des augures. Il semble vraisemblable que les premiers flamines locaux aient été créés pour le culte impérial, que dans un deuxième temps on en ait aussi, comme à Rome, créé pour d’autres dieux, et qu’enfin les flamines sans dieu ne soient apparus que tardivement. Il est en tout cas clair, encore plus que pour les magistratures, qu’il s’agit de fonctions locales créées localement, et variant selon les communautés, certaines ayant plusieurs flamines différents, certaines un seul, d’autres peut-être n’en ayant pas du tout, même si nous ne pouvons jamais avoir de certitude, l’absence d’attestation n’étant évidemment pas une preuve.

    À Rome, chaque flaminat avait un titulaire unique, nommé à vie à la mort de son prédécesseur. Ce devrait être aussi le cas des flamines locaux. Mais l’abondance de leurs attestations suffirait à nous en faire douter, si nous n’avions pas d’autres éléments. Quelques uns, très rares il est vrai, indiquent avoir exercé au moins deux fois le flaminat, ce qui suffit à prouver que dans leurs cités, il n’était pas viager. Nous avons aussi des flamines dits quinquennaux, ce qui signifie vraisemblablement que leur fonction durait cinq ans, à moins que, comme celle des duumvirs du même nom, elle n’ait pas été permanente : c’est le cas du flamen de Lenus Mars connu à Trèves et du diuorum Augustorumde Ulia Fidentia en Bétique[11]. Nous avons surtout une grande abondance de flamines qualifiés de perpétuels, ce qui devrait logiquement indiquer que tous ne l’étaient pas, que d’autres avaient une fonction limitée dans le temps, normalement annuelle, éventuellement quinquennale ou de tout autre durée. Mais cette abondance exclut à peu près que le flamen perpetuusait été dans toutes les cités un prêtre unique et viager sur le modèle romain. On en a la preuve, pour cette colonie et à cette date tardive, dans l’album de Timgad déjà cité, qui comprend trente-six flamines perpétuels, tous donc vivants et membres de l’ordre des décurions en cette année. Il ne faut pas en conclure que le mot perpétuel a perdu alors tout sens : contrairement aux inscriptions funéraires et honorifiques, qui indiquent toutes les fonctions exercées par le passé, l’album n’indique que les actuelles, puisqu’il distingue par exemple entre les deux duumvirs de l’année, et les anciens duumvirs (duumuiralicii). Ces flamines sont cités après les duumvirs de l’année, mais avant les pontifes, les augures, les édiles,  les questeurs et les anciens duumvirs : ce flaminat perpétuel apparaît donc, malgré son effectif abondant, comme le sommet de la carrière dans la colonie. Il est raisonnable de supposer qu’on était normalement flamen perpetuusaprès le duumvirat, et qu’il n’est pas mentionné pour ces trente-six parce qu’il allait de soi, que les duumuiralicii qui viennent ensuite sont ceux des anciens duumvirs qui n’étaient pas devenus flamines. Leur nombre semble indiquer qu’on en élisait au moins un nouveau chaque année, qui s’ajoutait aux précédents. On ne peut que se demander quelle était leur fonction, et si elle pouvait être vraiment exercée à trente-six, ce qui est beaucoup, ou si seuls certains l’exerçaient effectivement. Une cinquante d’années plus tôt, en 305,  plus tôt, le concile chrétien d’Elvira, en Espagne, largement consacré à décider à quelle sauce il fallait traiter les fidèles qui participaient aux institutions civiques, et donc aux cultes païens, distinguait parmi les flamines entre ceux qui sacrifiaient, jugés très sévèrement, et ceux qui ne sacrifiaient pas, pour qui il avait une indulgence relative[12]. C’est assez surprenant pour qui a en tête le modèle romain, où le flamine est par définition un sacrificateur. On comprend mieux en voyant qu’à Timgad vers 360 il y avait trente-six flamines, qui ne pouvaient évidemment tous sacrifier. Nous ne savons pas si celui ou ceux qui sacrifiaient étaient les plus récents, les plus anciens, ou étaient choisis pour le faire parmi tous ceux-là.

    Ces éléments nombreux mais épars nous permettent d’apercevoir une évolution qui fait du titre flamen, repris par des communautés civiques imitant le modèle romain, bien autre chose, quantitativement et qualitativement, de ce qu’il est à Rome. Il est à peu près certain que l’origine est le culte impérial, qui relance le flaminat tombé en désuétude, et fait créer, comme à Rome, des flamines pour les princes divinisés, et aussi, puisque ce n’est interdit qu’à Rome, pour le prince vivant. À l’origine, il s’agissait certainement, comme à Rome, de prêtres viagers, ce qui en faisait logiquement le sommet de la carrière locale, réservé à quelques individus parmi tous les anciens magistrats supérieurs annuels. Le flamen augustalisde Pise est qualifié par le décret de princeps coloniae nostrae, formule où il ne faut pas bien sûr voir un équivalent local d’Auguste, mais simplement le premier personnage de la communauté : la conjonction de cette position et de sacerdoce n’était certainement pas l’effet du hasard. Dans certains cas, on a aussi créé des flamines, comme à Rome, pour des deux locaux, comme le Mars Mullo de Rennes et le Lenus Mars de Trèves. Ensuite, les flaminats se sont multipliés avec la multiplication des diuià honorer, d’où une tendance à les regrouper en un flaminat diuorum, éventuellement aussi consacré au prince vivant. Un autre mouvement, dont on ne peut dater le début bien sûr, a remis en cause le caractère viager de la fonction. C’était peut-être qu’elle était trop prenante pour être exercée à vie par le même individu, peut-être, ça semble plus vraisemblable, que beaucoup voulaient être flamines qui ne pouvaient être satisfaits, ce qui n’était pas ennuyeux que pour eux : nous avons de nombreuses traces de nouveaux flamines manifestant leur reconnaissance par des dons significatifs à la communauté, qui avait donc intérêt à les multiplier. Les flaminats quinquennaux que nous avons évoqués peuvent être interprétés comme une étape intermédiaire entre le viager normal et l’annalité à laquelle on tend. Dans le même temps, la spécialisation des flamines semble avoir disparu. Nous voyons à Timgad le résultat final.

    Cette évolution a probablement un rapport avec l’apparition d’autres flamines, qui ne sont pas dans notre sujet puisqu’ils sont au-delà des institutions locales, ceux des cultes rendus aux princes au niveau provincial par des délégués des communautés civiques. Nous avons déjà eu l’occasion de parler sur ce blog, à propos des Santons, de celui des Trois Gaules, à Lyon, le seul dont il soit question dans des sources littéraires, avec un prêtre annuel ayant le titre de sacerdos Romae et Augusti. Nous constatons par les inscriptions qu’il en existe dans les autres provinces, apparemment sur le même modèle, et que le prêtre porte le titre de flamen. Il est tentant de supposer qu’ils sont postérieurs à celui de Lyon et que ce titre s’était répandu entre-temps pour les prêtres du culte impérial, qu’en douze avant notre ère à Lyon, faute de titre romain existant pour un prêtre annuel, on avait choisi le banal sacerdos, le nom de la catégorie, et que ce n’est que plus tard qu’on a eu l’idée de les appeler flamines. Nous avons en tout cas là, contre l’usage romain, des flamines incontestablement annuels dès leur création. Est-ce sur leur modèle qu’on a eu ensuite l’idée de faire des flamines non viagers au niveau local ? Est-ce parce qu’il en existait déjà qu’on a appelés ainsi les prêtres provinciaux annuels ? Nous ne le savons évidemment pas, mais il n’est pas vraisemblable qu’il n’y ait pas eu influence dans un sens ou dans l’autre.

    Bien entendu, il ne faut pas perdre de vue que nous n’avons pu qu’esquisser un schéma général à partir de fragments de réalités locales et que, si évolution il y a eu, cela a été dans chaque communauté, par des décisions propres, à des rythmes différents. Il est fort possible qu’il y ait eu très tôt dans certaines un flamine annuel, ou plusieurs flamines perpétuels. Il est tout aussi possible qu’au moment où il y avait trente-six flamines perpétuels à Timgad, d’autres aient gardé un flaminat viager, ou plusieurs chacun consacré à une divinité différente. Bien d’autres variables sont envisageables.

    Signalons, hors de notre sujet sur les magistrats locaux mais pour compléter celui du flaminat, qu’on trouve aussi en nombre moins important, mais très important relativement à la rareté des sacerdoces féminins, des flaminiques (flaminicae). À Rome, la seule flaminique connue est l’épouse du flamine de Jupiter, qui partage une bonne partie des obligations de son sacerdoce. Il n’est pas impossible que les épouses des quatorze autres flamines, ou du moins de certains d’entre eux, aient également porté ce titre : nous n’en avons aucune trace, ni non plus pour celles des nouveaux flamines créés pour le culte des princes divinisés. Celles que nous avons sur des inscriptions locales ne sont pas apparemment épouses de flamines, certaines ne le sont certainement pas, qui sont honorées sur la même pierre que leur mari qui ne l’est pas : il s’agit au moins dans la plupart des cas de sacerdoces autonomes, donc. Là aussi, il y a un net éloignement du modèle romain, que nous constatons sans pouvoir l’expliquer, faute de sources autres que des inscriptions avec des noms et des titres.

    On ne peut terminer cette longue énumération avec quelques tentatives acrobatiques d’analyse des fonctions religieuses attestées localement sans envisager le cas des sévirs augustaux, qui pullulent sur les inscriptions locales.  Ils font partie des pénibles dont on a de nombreux noms, mais rien qui nous indique ce qu’ils pouvaient bien faire exactement, faute de source, faute de comparaison possible avec le modèle romain où ils n’existent pas. Tout est dans leur titre, qui nous apprend qu’ils sont membres d’un collège de six, lequel a un rapport avec un auguste, (Le premier ? Le prince régnant ? Mystère) donc très vraisemblablement avec le culte impérial. L’abondance de leurs attestations permet d’exclure qu’ils aient été viagers, et de supposer légitimement qu’ils étaient annuels. On constate que ceux qui sont cités comme tels ne sont jamais donnés comme magistrats ni décurions. On remarque également que beaucoup sont des affranchis, soit qu’ils l’indiquent, ce qui est rare, car ce n’était pas une chose dont on se vantait, sauf dans le cas où l’ancien maître était d’un grand prestige, soit que leur nom les trahisse (On a déjà vu ailleurs que les affranchis prenaient prénom et nom de leur ancien maître, mais gardaient comme cognomenleur nom unique d’esclave, souvent reconnaissable comme tel). Quelques inscriptions les mentionnent comme groupe, en général sans qu’on puisse savoir s’il s’agit des six de l’année, ou de l’ensemble des sévirs présents et passés, dont certaines où ils apparaissent clairement comme un ordre constitué dans la communauté civique, immédiatement inférieur aux décurions. Beaucoup d’inscriptions signalent leur générosité, individuellement ou en tant que groupe, pour cette communauté. L’opinion commune, qui traîne partout, est que les sévirs augustaux étaient de riches affranchis, que leur statut d’anciens esclaves empêchait d’être magistrat ou même décurions, et dont cette charge permettait de mettre les richesses à contribution pour la communauté. La seule source littéraire les mentionnant va dans ce sens : dans leSatiricon de Pétrone, le bête et méchant Trimalcion, personnage principal, riche affranchi ayant tous les défauts d’un parvenu, est sévir augustal, sans que, malheureusement, l’auteur nous dise rien de plus sur cette fonction. Il y a pourtant un souci : peut-on croire vraiment que dans toutes les communautés civiques, toutes celles du moins où il y avait de sévirs augustaux puisqu’on ne peut être certain qu’il y en avait partout, on pouvait trouver chaque année six affranchis très riches heureux et fiers de faire bénéficier leurs concitoyens de leurs largesses ? La plupart n’ayant que quelques milliers d’habitants, c’est assez difficile. On sait qu’il y avait des affranchis très riches, presque tous parce leur ancien maître l’était et s’était montré généreux avec eux : ce n’en était évidemment pas la majorité. Il serait donc plus raisonnable que les sévirs fastueux que nous font connaître quelques inscriptions étaient plutôt des exceptions, qui logiquement laissent plus de traces sur la pierre étant plus riches, que la norme.

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    Il est donc décidément impossible de donner, au-delà de quelques principes généraux, un tableau d’ensemble des institutions locales en Gaule et en Espagne. La documentation dont nous disposons nous fait apparaître de nombreux cas particuliers, sa faiblesse nous oblige à supposer qu’il y en avait bien plus. On peut tout au plus définir un cadre général d’analyse, où il est surtout question de ce qu’il ne faut pas faire quand on se trouve face à une inscription isolée concernant les institutions d’une communauté. Ce constat, désespérant pour le positiviste (et que le néo positivisme qui sévit aujourd’hui ignore superbement), est stimulant pour le modeste bricoleur qui pense qu’il est plus amusant pour un historien de poser des problèmes et caractériser ainsi son ignorance que de plaquer des certitudes sur les sources.

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    [1]AE, 1950, 156 = IRT, 412.
    [2]Le mot latin est flamenau nominatif, flamin-à tous les autres cas (donc flamines au nominatif pluriel). On transcrit donc en français un flamine, des flamines.
    [3]J’ai publié quand j’étais petit un article sur ce sujet, Germanicus flamen Augustalis et la création de nouveaux flaminats à Rome, Gerión, 2007, lisible en ligne ici, auquel je renvoie les lecteurs qui souhaitent en savoir plus, s’ils ne craignent pas les coupages de cheveux en quatre dans le sens de la longueur.
    [4]CIL,XI, 1421, texte d’un décret voté à l’occasion de la mort de Caius César, petit-fils naturel et fils adoptif d’Auguste,  en 4 de notre ère.
    [5]Par exemple, en Arles, Caius Iunius Priscus, flam[en Augusta]lis(CIL, XII, 697, HD018427 sur le site de Heidelberg
    [6]Par exemple, chez les Helvètes, Caius Flauius Camillus (CIL , XIII, 5063, HD080284)
    [7]Par exemple, Sextus Iulius Max[imus] à Nîmes (CIL, XII, 3180, HD054511), Lucius Iulius Maelo Caudicus (AE, 1987, 478a, HD004109), à Olisipo en Lusitanie, aujourd’hui Lisbonne, du Diuus Vespasainus, Publius Staius Exoratus également à Lisbonne (AE, 1987, 478d, HD010865), du diuus Traianus Marcus Cassius Caecili[anus] (AE, 1983 519, HD000027) à Italica (Séville) en Bétique, du Diuus Claudius, un dont le nom manque à Tarraco (AE, 1999, 966, HD048366).
    [8]CIL, II, 4514, HD056770.
    [9]Tiberius Aquius Apollinaris à Lyon (AE,1966, 0252, HD016007), un dont le nom manque à Trèves (AE, 1973, 0361, HD011186); Titus Flauius Postuminus à Rennes (AE, 1969/70, 405, HD013816).
    [10]Par exemple, Lucius Calpurnius Silvinus, à Urgavo en Bétique, aujourd’hui Arjona en Espagene (CILII, 2105, HD027623)  
    [11]CIL, II2, 5, 497 (= AE, 1961, 343), HD018082
    [12]Canon 2 : Flamines qui post fidem lavacri et regenerationis sacrificaverunt […] placuit eos nec in finem accipere communionem.( Les flamines qui après la foi du bain et de la régénération ont sacrifié, […] il a plu qu’ils ne reçoivent pas la communion, même à la fin.)Canon 3 : Item flamines qui non immolaverint, sed munus tantum dederint,eo quod se a funestis abstinuerint sacrificiis, placuit in finem eis praestare communionem, acta tamen legitima paenitentia(De même, les flamines qui n’ont pas sacrifié, mais seulement donné des jeux, en quoi ils se sont abstenus des funestes sacrifices, il a plu de leur donner la communion à la fin, après pourtant une pénitence légitime). Texte latin dans C.-J. Hefele, Histoire des conciles d’après les documents originaux, tome I, première partie, trad.. fr., Paris, 1907, p. 222. Je dois la découverte de cette chose merveilleuse à Natalia Trouiller.

  • Déformation historique: le Chevènement de Pujadas sur LCP.J’ai bien sûr fini par regarder le documentaire sur Jean-Pierre Chevènement fait par David Pujadas et Émilie Lançon pour LCP. J’avais la conviction, d’après la présentation, qu’il serait très mauvais, et avais pour cela entre autres préféré voir le soir même le dernier épisode de Belphégor, trouvé sur le site de l’INA. Mais j’y suis revenu. Je ne l’ai pas regretté. Il est encore plus mauvais que tout ce que j’avais pu envisager, tellement mauvais qu’il en devient instructif, non sur son sujet, mais sur la façon dont on manipule l’histoire politique de ce pays, qui va bien au-delà du personnage de Chevènement. [La photo ci-contre, qui représente ce que j’avais dans le dos en écrivant cette note, est un élément de réponse à la nécessaire question : « d’où parles-tu, camarade ? »]

    La formule, en soi, est détestable. Quelques images d’archives, assez peu somme toute, et avec encore moins de son, présentées et orientées par une voix off parlant avec autorité, entrecoupées d’interviews, du personnage lui-même, beaucoup plus de « témoins » dont le choix est très significatif, dont il est également significatif qu’on ne nous dise jamais d’où et à quel titre ils s’expriment. Les deux plus marquants sont Jacques Attali et Hubert Védrine. Ce furent pourtant deux adversaires féroces, l’un et l’autre au service de François Mitterrand aux deux moments de rupture avec lui, l’arrimage au Mark en 1983 pour le premier (On rappellera qu’à l’origine de la démission du ministre de l’Industrie, il y a une déclaration d’Attali sur le perron de l’Élysée dénonçant son « dirigisme tatillon »[1]), la Guerre du Golfe pour le second, qui a été ensuite le ministre des affaires étrangères des guerres conjointes de Jospin et Chirac. On n’est donc pas surpris de voir le premier exposer qu’il était ridicule de vouloir sortir du SME en 1983, ce que confirme le second, le second qu’il était évidemment nécessaire d’écraser l’Irak sous les bombes en 1991, ce que le premier vient appuyer en disant que toutes les tentatives de négociation avaient échoué, un très vilain mensonge puisqu’il n’y en a eu aucune, Bush voulant la guerre dès août 90, Mitterrand étant dès août 90, malgré un peu de comédie ultérieure, décidé à le suivre[2]. On l’est plus de les voir s’exprimer en tant que vieux compagnons très compréhensifs, que leur position d’experts reconnus oblige à leur grand regret à dire que leur malheureux ami était complètement à côté de la plaque. Ils ont aussi en commun, nous y reviendrons, de ne point être des politiques, de ne jamais s’être occupés ni de parti, ni d’élections, d’avoir été de ces serviteurs du prince que Mitterrand a préférés au parti qui l’avait fait roi : ce n’est pas honteux en soi, quand le prince mérite d’être servi, mais il est curieux de choisir comme principaux témoins du parcours de Chevènement deux personnages qui, sur ce point, sont son exact contraire. Côté PS, nous avons un peu de Ségolène Royal, qui glousse des banalités qu’elle croit gentilles, et Daniel Vaillant qui remâche sa haine et son obstination à ne pas comprendre que ce n’est pas Chevènement qui a fait battre son maître Jospin, mais la juste haine qu’il avait inspirée à la majorité des électeurs de gauche, qui auraient voté pour n’importe quel autre candidat que pour lui s’il n’y avait pas eu celui-là. Vaillant est le seul à n’avoir pas saisi que la règle du jeu impliquait qu’on fît semblant d’être bienveillant pour le héros du film : cette subtilité là, comme bien d’autres, lui a échappé. Tant qu’à entendre des témoins non chevènementistes du PS, ce qui pouvait être utile certes, on aurait aimé en avoir qui comprissent quelque chose au sujet, plutôt qu’une cruche et un abruti.

    Il y a quand même des témoins qui ont été chevènementistes. C’est un assez bel exploit, dans un monde où presque tout le monde l’a été, d’être parvenus à ce qu’ils soient minoritaires. C’est toujours un bonheur pour moi de revoir Michel Suchod. On le voit malheureusement très peu. Ce qu’il dit est très intéressant (sur le courant. Sur la guerre froide en 1971, il pousse vraiment grand-mère. Si ça venait d’un autre, je hurlerais. Là, parce que c’est lui, je tousse). Il avait certainement bien d’autres choses à dire (peut-être en a-t-il dit une partie, qui n’ont pas été retenues), étant l’un des mieux placés pour parler du sujet, puisqu’il a été dans les premiers à adhérer au CERES après ses fondateurs, et est resté dans ses différents avatars jusqu’à être directeur de campagne dans l’aventure de 2002, qui fut la fin de la carrière politique du personnage. Louis Gallois est également un incontestable chevènementiste, d’un genre qui n’est certes pas le mien, mais n’est pas un politique (un point commun avec Attali et Védrine) : il ne dit d’ailleurs pas grand-chose. La seule qu’on entende significativement est Natacha Polony, venue de la droite dans l’aventure de 2002 et très tôt repartie. Elle aurait peut-être des choses utiles à dire sur cet épisode. Quand elle parle de l’Énarchie, on doute qu’elle ait jamais ouvert ce livre, quand c’est elle qui est chargée de définir le CERES des années soixante, on conclut qu’elle n’a jamais rien lu à ce sujet. À part Michel pour quelques mots, personne donc, qui ait jamais milité au PS dans le CERES ou SR, ni au Mouvement des Citoyens. Même si les plus illustres sont morts aujourd’hui, il y a pourtant des survivants dont le point de vue aurait été intéressant (On pense bien sûr à Jean-Yves Autexier, le dernier fidèle, à beaucoup d’autres aussi qui, ayant trahi pour des raisons plus ou moins estimables, ou pas du tout, n’en auraient pas moins des choses à dire). Il n’aurait pas été malsain de ressortir des vidéos (il en existe) de ces morts illustres (un surtout, bien sûr). Enfin il est des jeunes, un, en tout cas, qui même venus tard, quand la tragi-comédie planifiée était devenue une comédie dramatique, et de la droite, se sont, contrairement à Natacha Polony, intéressés au passé glorieux au point d’en pouvoir parler savamment (vous avez tous reconnu Gaël Brustier).

    Le plus intéressant dans ce documentaire est le peu qu’on laisse dire à Jean-Pierre Chevènement lui-même. Comme toujours quand il raconte sa vie, ce qu’il fait très souvent, c’est une nouvelle version : c’est un point commun entre lui et la Calamity Jane de Lucky Luke, et c’est pour ça qu’on ne s’ennuie jamais quand on lit ou écoute son autobiographie. Il y a cependant, pour une fois, quelques redites : on est lassé de l’entendre justifier son emploi du mot sauvageons par la récitation d’une définition arboricole dont il est difficile de ne pas supposer qu’il ne l’a lue et apprise qu’après avoir dit ça, et pris force coups sur la tête. C’est malheureusement une de ses habitudes de, quand il a lâché très brutalement une juste chose choquant donc justement  les bien-pensants, se justifier en tournant en rond autour du bocal dans l’espoir de noyer le poisson (il fait d’ailleurs exactement la même chose quand il a proféré une énorme connerie, comme les quatre-vingts pour cent au niveau du baccalauréat, dont il n’est pas question dans le documentaire). Mais on est surpris, et charmé, d’apprendre qu’il n’a jamais cru pouvoir gagner l’élection présidentielle de 2002 et qu’il faisait semblant seulement d’y croire. Dieu, qu’il simulait bien ! Il est allé jusqu’à subordonner totalement à cette chimère, à cette feinte de chimère donc, la suite de sa carrière politique, et donc à la terminer, en même temps que celles de tous ceux qui, certains par fidélité, d’autres par naïveté, l’avaient suivi et n’avaient pas pris la tangente avant qu’il fût trop tard. On avait déjà été épaté de l’entendre expliquer sa candidature en disant qu’il avait pensé que, puisqu’il y avait un communiste, un écologiste, une radicale (ce dernier point est faux à hurler : la candidature radicale bidon de Christiane Taubira est venue après la sienne, et en a été une conséquence, puisque c’est Jospin, fin stratège, qui a demandé aux radicots de présenter n’importe quoi pour stopper la ruée de leurs élus vers Chevènement), il fallait aussi un candidat du Mouvement des Citoyens. On admire là encore son sens du camouflage qui l’a conduit, au moment où il a déclaré cette candidature, à liquider en tant qu’organisation le dit mouvement (qu’il avait déjà liquidé idéologiquement dans sa phase précédente, jospinolâtre, allant même jusqu’à se rallier à la plaisanterie delorienne de la « fédération d’États-nations » pour caser Sami Naïr et Béatrice Patrie sur la liste du PS pour les élections européennes de juin 1999). On a néanmoins du mal à le suivre quand il inscrit ainsi sa campagne dans le cadre de la merveilleuse gauche plurielle avec, dit il, l’objectif d’arriver second de celle-ci derrière Jospin pour peser, vue la juste façon dont il y a traité celui-ci. Il se justifie laborieusement, en arguant qu’il est normal dans une campagne électorale d’attaquer ses adversaires, d’avoir dit ce qui était vrai (voir plus haut le coup des sauvageons) avec ce « Chirospin » qui indigne tant Vaillant (mais qu’il est incapable de prononcer correctement). Il semble clair que sur ce point c’est Vaillant, même s’il ne comprend rien à rien, qui a raison : la campagne de 2002 était clairement tournée contre Jospin, ce qui ne peut lui être reproché (même si trois années de reptation devant lui nuisaient à sa crédibilité). La surprise qu’a été l’absence de Jospin au deuxième tour n’a rien changé, quoi qu’ils en disent tous : il aurait été battu par Chirac, et les gens comme Vaillant auraient tout autant accusé Chevènement d’être responsable de cette défaite pour avoir dit ce que tout le monde savait depuis longtemps, lui, apparemment, depuis un an seulement (On ne saura jamais, et c’est regrettable, ce qu’il aurait fait, et dans quelle position, en cas de face à face Chirac Jospin, et comment auraient réagi ses électeurs).

    Je ne blaguais pas en disant que cela était très intéressant, la seule chose vraiment intéressante dans ce documentaire : ce travail de recomposition historique est passionnant à observer, quand on a de quoi l’analyser. On aurait pu espérer d’enquêteurs sérieux qu’ils fissent cette analyse, interrogeassent leur personnage à ce sujet. Ils ne font rien de tel, et ne tiennent d’ailleurs aucun compte de ses propos dans la représentation qu’ils donnent de l’aventure de 2002 comme une anticipation dans le ni droite ni gauche, malheureusement prématurée, de l’épopée de leur maître Macron,

    Pour le reste, il s’agit d’un exposé à peu près chronologique, avec quelques inversions bizarres néanmoins. Une grande importance est donnée à la jeunesse du héros. On passera pudiquement sur les souvenirs d’enfance qu’il a lui-même révélés dans sa dernière, retenant sobrement les commentaires méchants qu’ils pourraient inspirer à moins indulgent que nous, et sur les lieux communs à propos de ses études et de sa découverte de l’injustice sociale. On ne peut pas passer sur la dramatisation ridicule, comme si la chose n’était pas assez dramatique en soi, de son épisode algérien. Nous entendons que « ses études sont brutalement interrompues ». De qui se moquent-ils ? Ignorent-ils vraiment qu’en ce temps là le service militaire était obligatoire pour tous les Français mâles, à vingt ans ou un peu plus tard à l’expiration d’un éventuel sursis ? Que pour les énarques, c’était logiquement, comme élèves-officiers, après la réussite au concours, et avant l’entrée à l’école ? Qu’il n’y avait donc vraiment pas de quoi être surpris. Certes, c’était pour aller faire la guerre, ce qui est désagréable, et a été peu fréquent dans l’histoire de l’ENA. Espèrent-ils nous faire croire que la guerre d’Algérie a commencé alors ? Elle durait depuis 1954, et le contingent était envoyé classe par classe pour la faire depuis le gouvernement Mollet. Jean-Pierre Chevènement ne pouvait donc ignorer que son tour viendrait, si la paix n’était pas faite avant. Mais le pire est à venir « Il choisit de répondre à l’appel ». A-t-on jamais vu un énarque déserteur ? Faire de ça un trait montrant le caractère original du personnage, en sous-entendant son côté militariste, est se foutre du monde. La suite est moins scandaleuse, même si on est surpris de son aspect guerrier, qui contraste avec le témoignage que lui-même donnait il y a quarante-six ans[3], où il disait être arrivé en avril 61, avoir passé six mois à l’école de Cherchell (où il plaçait l’épisode qu’il cite dans le documentaire d’un camarade déchiqueté devant lui, mais en précisant que c’était à l’entrainement, par une mine française. Ça n’est pas moins tragique, mais c’est moins martial), et n’avoir vu le feu qu’après le cessez-le-feu, avoir surtout combattu, en tant que détaché à l’administration civile, l’OAS et non les fells (On ne le lui reprochera certes pas, ni ne songera à nier les dangers qu’il a courus. On remarque un biais certain dans la version que donne le documentaire).

    Les choses sérieuses devraient commencer avec la fondation du CERES. C’est manqué. Jean-Pierre Chevènement écrit l’Énarchie avec ses « copains » Didier Motchane et Alain Gomez, puis fonde le CERES avec Georges Sarre en plus. Il ne sera plus question ensuite de Sarre et Motchane. Ça aurait pu être pire : Pierre Guidoni, lui, n’est même pas cité (En revanche, on voit passer une photo censée illustrer la fondation par les « quatre mousquetaires » sus nommés, qui date en fait apparemment de 1978, sans Gomez, mais avec lui[4].Déformation historique: le Chevènement de Pujadas sur LCP. Du travail sérieux, décidément). Le CERES est défini comme un courant du PS, ce qui est faux à l’époque, fondé après leur adhésion, ce qui est encore faux, « très à gauche, proche du marxisme » (on sent au ton de la voix que la dame qui dit ça a conscience de prononcer un vilain gros mot). Ces gens là semblent ignorer qu’à cette heureuse époque, il n’était pas en général honteux, ni même original, d’être marxiste (pas « proche du » !) et qu’en particulier le parti socialiste alors sous-titré SFIO (et non « la SFIO ancêtre du PS », comme ils disent), l’était tout a fait officiellement (et l’est resté jusqu’au congrès de Rennes). Pour expliquer l’idéologie du CERES, on fait appel à… Natacha Polony, qui s’exécute, et l’exécute, en une phrase. On aimerait en rire, mais il est difficile de ne point pleurer.

    On passe immédiatement au congrès d’Épinay (mai 68 ? Connais pas). Nous apprenons que depuis la présidentielle de 1965, Mitterrand rêve (!) de prendre la tête de la SFIO et qu’il a soudain l’idée de s’adresser à Chevènement. C’est présenté comme une affaire entre eux deux, un « hold-up », sans rien de politique. Mauroy et Defferre n’existent pas, Savary et Poperen non plus d’ailleurs : il ne s’agit que de remplacer Mollet par Mitterrand, ce dont « Chevènement et Mitterrand tentent de convaincre les militants »[5]. Puisque les bonnes habitudes sont prises, cette action commune est illustrée par une photo prise à Metz, huit ans plus tard. Le plus effroyable est à venir : Chevènement rédige le Programme commun ! Il semble y avoir là une monstrueuse confusion entre le nouveau programme du PS, poétiquement intitulé Changer la vie, dont il a effectivement rédigé l’avant-projet (soumis ensuite bien sûr à amendements), et le programme commun qui est un catalogue de mesures négocié ensuite virgule par virgule avec le PCF (Si un lecteur croit que les communistes d’alors auraient pu signer comme ça un texte écrit par Chevènement, qu’il m’écrive : il a gagné un scan de la couverture de mon exemplaire de L’Union est un combat, du regretté Étienne Fajon).

    Après un assez long baratin sur le logo avec la rose au poing, on arrive directement à 1981, sans qu’il soit question de Pau, Nantes et Metz, ni du Projet socialiste, ni de la rupture du programme commun, ni des échecs de 1974 et 1978, ni même de la campagne présidentielle. Le héros devient ministre, de la Recherche. Là, un brusque décrochage chronologique : il n’est qu’ « un ministre parmi d’autres » (C’est faux : il est là en tant que représentant d’un des quatre grands courants du PS, ce pourquoi il a obtenu le rang de ministre d’État) et personne ne se doute qu’il frôlera la mort dix-sept ans plus tard (Comme c’est surprenant ! Les gens d’alors n’avaient vraiment aucun sens de l’anticipation). On enchaîne aussitôt sans autre transition que cette subtilité, sur son accident opératoire de septembre 1998, longuement, pour passer brusquement à sa démission deux ans plus tard à propos de Corse. On observe que ce n’est pas la première. Retour en 1983, avec donc Attali et Védrine expliquant que la position de leur malheureux ami était honorable, mais qu’il était incapable de comprendre que le monde avait changé, puis reprise d’un exposé chronologique avec le retour au gouvernement à l’Éducation (sans rien donc sur la grande offensive du CERES du printemps et de l’été 1983, perdue dans une nuit de brouillard bressan), puis la Défense, la guerre du Golfe (Védrine et Attali pour tout bien expliquer, cette fois ci, pour changer), la démission étant présentée comme résultat d’un conflit entre son devoir et ses convictions. C’était donc un devoir de bombarder l’Irak !

    On arrive à Maastrikt, traité qui « crée une vaste zone de libre-échange » (Zut ! On a oublié l’Acte unique). Et là, c’est la rupture (On a déjà oublié la guerre du Golfe). Chevènement se trouve « seul de son camp » à dire non, au milieu de gens de droite. Là, on a du mal à faire les parts de la putasserie et de la sottise. On omet qu’il avait avec lui ce qu’il restait de Socialisme et République après la guerre, Didier Motchane bien sûr, Max Gallo, sept députés outre lui-même, Autexier[6], Carraz, Delahais, Fourré, Michel, Hélène Mignon, Suchod. On omet surtout que le PCF votait fermement non, et à peu près tout ce qui se trouvait à gauche du PS, la LCR et même une partie des Verts (Voynet et Lipietz, qui ont bien changé ensuite). Non : il faut qu’il soit seul, et en train de basculer vers la droite. Après l’échec aux européennes de 1994 du Mouvement des Citoyens (qui n’est cité qu’à se propos, bien qu’il en ait été formellement absent), Chevènement (toujours seul) se rallie à Jospin, qui le nomme ministre de l’Intérieur par bonté ou par faiblesse (Le génie politique Daniel Vaillant s’interroge longuement à ce sujet. Pas d’autre point de vue). On ne retient de ces trois ans que le coup des sauvageons, pas la loi  n’abrogeant pas celles de Pasqua et Debré par exemple, puis la rupture, déjà traitée, avant l’épopée présidentielle de 2002 en ne parlant presque que des soutiens de droite, dont Philippot qui avait dix-huit ans à l’époque et n’a fait que distribuer des tracts à HEC. Pour corser l’addition, on signale la présence « dans l’ombre de Georges Sarre » du jeune Emmanuel Macron, ce qui est un mensonge aussi affreux que stupide (Macron a un peu travaillé pour Sarre, sans jamais adhérer au MdC, à l’époque où Chevènement était ministre, pas ensuite).

    On a parlé de ce qu’il y avait dans ce machin, signalé de nombreuses sottises et quelques saloperies, qui suffiraient à le discréditer. Ce n’est néanmoins pas l’essentiel : il faut revenir à ce qui manque, que nous avons déjà évoqué incidemment, où est la part principale de l’œuvre de falsification.

    La première absence, criante, est celle du caractère collectif de la démarche qui a porté Chevènement. Le CERES apparaît brièvement comme un truc entre « copains » pour ne plus reparaitre, ni Didier Motchane, ni Georges Sarre. Tous les autres n’existent pas (sauf Gomez à qui on fait la tête de Guidoni). Socialisme et République, en quoi il est transformé au printemps 1986, n’est jamais cité que par Chevènement lui-même, sans qu’aucun compte en soit tenu, de même que le Mouvement des Citoyens. Le Parti socialiste est également presque absent. Le seul congrès qui en est cité est Épinay, réduit, on l’a vu, à un « hold-up » de « Mitterrand et Chevènement » : Pau, Nantes, Metz, Bourg-en-Bresse et Rennes n’existent pas. Toute cette démarche collective est caricaturée en l’aventure personnelle d’un homme sympathique mais capricieux, qui capte la confiance de Mitterrand, puis de Jospin, avant de se retourner brusquement contre eux.

    Conséquence de cette déplorable conception, une absence encore plus abominable : celle, tout simplement, de la politique. Le rapport (variable !) au gaullisme, à mai 68, la conception du socialisme, de la révolution, de l’organisation politique, du pouvoir d’État, de la propriété, l’autogestion, des relations avec le PCF et avec l’URSS, le tournant républicain (et ses détours variables), le nationalisme qui est certainement la clef de tout ça, dans ses avatars variés, ne sont jamais même évoqués. La question, obsessionnelle chez lui (à juste titre), dans les années MdC, de la monnaie unique, ne l’est pas plus, ni donc son ralliement entre 1999 et 2002. On est dans un monde où il y a une seule politique possible, comme l’expliquent fort bien les deux frères jumeaux Attali et Védrine, où le seul jeu digne d’intérêt est la lutte des places, Chevènement étant celui qui agace mais qu’on admire parce que de temps à autre il en sort avec fracas en invoquant des « convictions ».

    Une autre absence significative de la conception de la politique qui règne là est celle, totale, de la partie belfortaine de la carrière du personnage qui, pour être seconde, chronologiquement (à partir seulement de son rétro parachutage de 73) et dans son importance, n’en est pas moins indispensable pour comprendre sa partie parisienne, l’une et l’autre s’étant déterminées mutuellement jusqu’à leur écrasement mutuel et réciproque. On parle d’image, de télévision et de ministères, certainement pas plus d’électeurs et de mairie que de partis ou de positions, ni de parlement d’ailleurs. Il n’est pas non plus question de la première carrière militante à Paris, dans la glorieuse quatorzième section, de la première candidature à une élection à Montparnasse en juin 68, de l’importance qu’a eue la prise par le CERES de la fédération de Paris.

    On m’objectera, à raison certes, que dans un film de moins d’une heure pour la télévision on ne peut pas tout dire, que le congrès de Pau, par exemple, mériterait à lui tout seul cette durée. Mais ce qu’on choisit de dire (sans parles des énormes conneries) et de taire est d’autant plus significatif. Un traitement sérieux et honnête du personnage historique aurait montré moins de Val-de-Grâce, de l’Alsthom, moins d’Attali-Védrine, du  Motchane, du Sarre, du Guidoni, moins de sauvageons, de la monnaie unique, moins de Polony, de l’analyse politique, moins de ministères, des partis, des courants, des militants, des électeurs. Il s’agit là pour l’essentiel d’un Chevènement repeint rétroactivement à partir de son aventure présidentielle de 2002, non telle qu’elle a été, ce qui n’était déjà pas très joli, mais telle qu’elle a été fantasmée par une certaine droite gaulliste mais pas trop quand même, suivie par les journalistes aux ordres, qui l’a découvert comme un ferme partisan de l’ordre, patriote (il faut) mais pour l’ « Europe », un peu trop rigide malheureusement, et qui ne s’est jamais intéressée à son passé, cette droite qui a ensuite adoré Sarkozy malgré le traité de Lisbonne ou à cause de lui. De ce point de vue, Natacha Polony est incontestablement le témoin idéal. Au-delà, et ça n’est pas moins grave, il s’agit de relire une carrière politique du temps où on faisait des carrières politiques pour la faire correspondre à celle de Macron, de Le Pen fille, à celle qu’a commencée tardivement Mélenchon, où tout est dans le cirque médiatique, sans partis, sans militants, où les électeurs ne sont admis que comme téléspectateurs.

    Gaël Brustier a donc eu tout à fait raison de dire, en réagissant à ce documentaire, que le « chevènementisme » était en train de se faire voler sa mémoire. C’est très ennuyeux, et il est également ennuyeux que beaucoup de « chevènementistes » aient au contraire manifesté leur satisfaction, voire de l’enthousiasme, parce que pour une fois on présentait le chef de façon sympathique, sans comprendre de quel genre de sympathie il s’agissait.

    Ce n’est qu’un symptôme d’un vol (un « hold-up », diraient ils) beaucoup plus important. C’est à la France entière qu’on est en train de voler son histoire politique en la réécrivant pour qu’elle soit conforme aux mœurs du « nouveau monde » macronien, qui était déjà presque là avec Sarkozy et Hollande, et dont Attali-Védrine auront été des précurseurs. Qu’on pense à toutes les âneries sur De Gaulle, l’homme qui a su dire non au fascisme et construire l’ « Europe »… comme Macron. Le giscardisme a, en quarante ans, réduit la France à sa taille, minuscule. Le giscardisme accompli (on espère, sans trop y croire, qu’il n’y aura pas pire ensuite) qu’est le macronisme repeint son passé pour faire croire qu’elle a toujours été comme ça.

    Bellegarde, 7-16 octobre 2019.

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    [1]J.-P. ChevènementLe temps des citoyens, Paris, 1993, p. 88. En annexe, p. 389 et 394, lettres de l’auteur du 2 et du 9 février 1983 au président de la république et au secrétaire général de l’Élysée à ce sujet.

    [2]On ne relira jamais assez à ce sujet, bien sûr, D. MotchaneUn atlantisme à la charentaise, Paris, 1992.

    [3]Le vieux, la crise, le neuf, Paris, 1974, p. 22-30, lisible en ligne ici sur Google Books

    [4]On trouve presque la même ici, manifestement prise au même lieu au même moment, avec cette date,  http://www.archives-socialistes.fr

    [5]Jean-Pierre Chevènement a donné des versions différentes d’Épinay à chaque fois qu’il racontait sa vie, souvent donc. Celle de 2003, pour l’institut François Mitterrand, est en ligne ici. On peut lire aussi P. GuidoniHistoire du nouveau parti socialiste, Paris, 1973, p. 169-203 (forcément marqué par le contexte d’alors, avec un enthousiasme pour Mitterrand qu’on ne retrouve plus après Pau), et bien sûr le compte-rendu sténographique des débats sur le site de la Fondation Jean Jaurès.

    [6]Suppléant de Georges Sarre qui, étant secrétaire d’État, est resté discret.


  • Auguste comme fondateur d'un nouveau régime (Les Romains et la notion de régime politique)Fond de tiroir. Je mets ici un article qui traîne depuis fort longtemps, et n'a jamais été publié, sauf, dans une
    version précédente, par nos glorieux Cahiers du Citoyen.

    C'était un des premiers chapitres de ma thèse, écrit en 1997, que j'ai coupé dans la version publiée par la collection Latomus pour en faire un article, et proposé aux Mélanges de l'Ecole de Rome qui m'en demandaient un. Je ne peux pas dire qu'ils l'aient refusé: bien au contraire, ils l'ont accepté trois fois, à partir de 2006, mais jamais publié, ce qui revenait au même, à ceci près qu'il m'était devenu impossible de le proposer à une autre revue.

    En 2013, ayant renoncé à tout espoir de carrière universitaire, après avoir écrit au jean-foutre qui répondait à toutes mes relances qu'il ne comprenait pas ce qui s'était passé, qu'il en était navré et que bien sûr il le publierait l'année suivante une petite partie de ce que je pensais de lui, je l'ai diffusé par mail en PDF.

    C'est ce PDF que vous trouverez ci-dessous. J'ai dû renoncer à corriger les quelques fautes de frappe que j'ai remarquées à la relecture, et à mettre à jour les références d'articles indiqués comme à paraître (il arrivait parfois qu'il en parût) en constatant que ma machine ne savait plus lire sous Word les polices de caractères grecs qu'on utilisait à l'époque (ça donne des choses aussi horrible que ceci "oJmologou`ntai ga ;r trei`" eij`nai politeivai para ; pa`sin ajnqrwvpoi", tupanniv" kai ; ojligarciva kai ; dhmokrativa"). Je n'ai pas eu le courage de tout retaper selon les nouvelles mœurs, ni de chercher comment dresser ma machine pour lui inculquer les anciennes. (Le PDF est antérieur à 2013 pour la même raison, déjà, hors l'encadré final expliquant la diffusion par mail)

    Je dois cependant signaler une abomination en bas de l'avant-dernière page p. 24), où c'est un mot qui a mystérieusement disparu "L'image qu'il donne de son vivant, celle sur laquelle Tibère, lorsqu'après une hésitation réelle ou feinte il accepte sa succession, s'appuie, est celle de l'auctor optimi status".

    J'ajoute aussi, sous le PDF, les références manquantes ou incomplètes à ma thèse et aux articles que je citais, et en prime ceux que j'ai écrits ensuite à propos de res publica.

    (La photo est celle de la statue d'Auguste du théâtre d'Orange, et n'a de fonction que décorative)

    Le principat et son fondateur. Mémoire d'Auguste et référence à Auguste de l’avènement de Tibère à la mort de Trajan, collection Latomus n°311, Bruxelles, 2008, 388 pages.

    La notion de libertas dans le discours politique romain d’Auguste à Trajan, Ktèma, 28, 2003, p. 63-69.

    Les notions de res publica et de ciuitas dans la pensée romaine de la cité et de l’empire, Latomus, 66, 2007, p. 580-605. https://www.jstor.org/stable/41544607?read-now=1&refreqid=excelsior%3Acb05c295865d2dcb6a0991be079f344e&seq=1#page_scan_tab_contents

    La domus plena Caesarum dans le senatus-consulte sur Pison pèreGerión, 28, 2010, p. 107-39. https://revistas.ucm.es/index.php/GERI/article/view/GERI1010120107A/13739

    L'utilisation des termes res publica dans le quotidien institutionnel des cités. Vocabulaire politique romain et réalités locales, dans C. Berrendonner, M. Cébeillac-Gervasoni et L. Lamoine (dir.),  Le quotidien municipal dans l’Occident romain, actes du colloque des 19, 20 et 21 octobre 2007, Clermont-Ferrand (PUBP), 2008, p. 179-94.

    Communis ou publicus ? D’Irni à Arpinumcommunication à la journée EMIRE du 25 octobre 2008 à Paris, Les textes juridiques et le fonctionnement institutionnel au quotidien des cités municipales : regards croisés de juristes et d'historiensMélanges de l’École française de Rome (Antiquité), 122, 2010, p. 7-14.   https://journals.openedition.org/mefra/323

    Res publica restituta : propagande antique ou contresens moderne ?Ktèma, 38, 2013, p. 273-91.

     

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