• Morne plaine

    Morne plaine

    Feu sur le quartier général ! Cette année, la saint François s’étend à tout le mois d’octobre. Hollande est, pour tout le système médiatique, l’homme à abattre. Qui a, depuis des années, en se sentant souvent très seul, dénoncé la nullité de ce triste sire, a le premier réflexe, naturel, de jubiler. Il n’est cependant pas malsain de s’interroger sur les raisons qu’ont tous ceux qui naguère encore l’encensaient, d’en faire désormais de la charpie.

    Le motif invoqué est le livre publié par Davet et Lhomme, Un président ne devrait pas dire ça, long réquisitoire contre sa personne entrecoupé de citations de lui, dûment enregistrées au cours d’entretiens mensuels (ils le disent, il ne dément pas), qui sont autant d’éléments à charge.

    Il faut dire, quand même, à quel point le procédé est malhonnête. Ces deux journalistes s’étaient fait embaucher par lui  fin 2011 pour écrire un livre à sa gloire, à partir d’entretiens avec lui d’abord prévus pour les cent premiers jours (un hommage à la motion 2 du congrès de Pau ?) puis étendus à quatre années. Ils en font une charge impitoyable contre lui, qu’ils publient précisément au moment où se pose la question de sa candidature à sa succession. Ce n’est pas bien.

    Mais c’est bien lui qui s’est livré, en acceptant d’être enregistré par eux, sans aucune garantie sur ce qu’ils en feraient ni sur la date à laquelle ils le sortiraient, en renonçant d’avance à tout droit de relecture, apparemment parce qu’il était convaincu ce ne pouvait être qu’à son avantage. C’est pour le moins la preuve d’une incroyable naïveté.

    Surtout, il y a ce qu’il dit. Certes, les commentaires des deux journalistes sont presque systématiquement malveillants. Certes, le découpage et le classement des citations sont soigneusement calculés pour nuire Il n’en a pas moins dit tout ça, qui est globalement affligeant. Davet et Lhomme répètent à l’envi, au milieu de tant de méchancetés, qu’il aurait fait un excellent journaliste politique. C’est bien sûr aussi une façon de souligner qu’il est un exécrable président. Ce n’est pourtant pas faux : ce qu’il raconte est exactement du niveau de ce que nous font subir les journalistes et politologues d’aujourd’hui. On peut trouver que ce n’est ni excellent, ni d’ailleurs politique : ce n’est évidemment le point de vue des deux vedettes du Monde.

    Il n’était point besoin de ça pour savoir qu’Hollande était nul, même si même les plus méchants ou les plus lucides (souvent les mêmes, dans son cas) peuvent être surpris de découvrir à quel point il l’est. Tout cela reste anecdotique. La question la plus intéressante est : pourquoi ceux qui durant tant d’années l’ont servi de toutes leurs forces, les deux auteurs du livre comme tous ceux qui se déchaînent à leur suite, lui tapent-ils soudain dessus avec un tel acharnement ? Ce qu’il dit dans le livre, en soi, n’est bien sûr pas un motif sérieux : on en a vu de presque aussi mauvais présentés par la presse unanime comme chefs d’œuvre de génie politique montrant à la fois la hauteur des vues de l’homme d’État et sa proximité du peuple, à un public qui de toute façon ne risquait pas de les lire, via des journalistes dont ils n’étaient d’ailleurs pas certain qu’ils les eussent lus. La raison du massacre est à chercher ailleurs.

    Elle apparaît clairement, c’est le plus remarquable, à la lecture du livre, quand on fait (au moins partiellement) cet effort douloureux. Au-delà de la catastrophe générale, née des propos du personnage, lourdement soulignée par les commentaires, ce qui n’apporte rien, sinon sur son ampleur,  le lecteur découvre des choses surprenantes et passionnantes dont il n’aurait certes pas eu l’idée spontanément. Il apprend ainsi que ce grotesque Hollande a réussi à faire baisser le chômage, vraiment. On lui révèle que dans les négociations européennes et, plus généralement, internationales,  il apparaît comme un génie admiré du monde entier. Qu’il est un chef de guerre brillant et redoutable, dont la seule évocation du nom suffit à empêcher de dormir les terroristes les plus féroces. À ce stade, il n’est même plus surpris que tous les cadeaux gratuits au patronat soient autant d’idées merveilleuses témoignant d’une grande originalité. Il l’est plus quand les auteurs, par un retour en arrière qui pourrait a priori sembler cruauté, démontrent, Matin de Paris à l’appui, que leur anti héros affichait déjà les mêmes conceptions économiques, tout aussi portées sur la très fameuse politique de l’offre, dans les années 1980. Mais il se rassure vite, puisque Davet et Lhomme concluent immédiatement qu’ils ont ainsi prouvé que tout dogmatisme lui était étranger. Répéter les mêmes banalités néo classiques, toujours démenties par l’expérience, depuis quarante ans, tel est l’empirisme qu’on aime au Monde. Les dogmatiques se reconnaissent à leur tendance honteuse à poser des questions à leur sujet.

    Pourquoi alors un tel acharnement sur un si merveilleux président que, alors que nous ne nous en doutions pas, le monde entier nous envie ? Précisément parce que nous ne nous en doutons pas, ce qui conduit à le juger, malgré tous ces brillants succès, coupable du péché capital : il ne sait pas communiquer.

    Et voilà pourquoi nos journalistes cessent d’être muets. Cet homme mène une politique admirable en tout point, et bat pourtant tous les records d’impopularité : il faut qu’il soit très mauvais. Il faut le dire très fort, pour qu’il soit clair que ce n’est pas cette politique qui est mauvaise. Ils le croient peut-être, d’ailleurs : on a toujours tort de supposer les journalistes corrompus et mentant parce qu’ils le sont, sans envisager qu’ils soient ignorants et stupides au point de croire à leurs propres mensonges.

    Si on remonte cinq ans en arrière, on voit Sarkozy subir exactement le même traitement, de la part des mêmes à peu près qui, après l’avoir sacré grand communicant et encensé, se sont mis soudain à déplorer son incapacité à communiquer pour l’accompagner vers la sortie. Avant, il y a eu, Chirac ayant le bon sens de rester en retrait après des expériences malheureuses, Villepin, à l’insupportable morgue aristocratique, pourtant si admirée un peu plus tôt, Raffarin dont les petites plaisanteries ont cessé tout d’un coup d’être signe de finesse pour caractériser sa bêtise, Jospin, dont le bilan était si bon mais qui a fait, l’imbécile, une exécrable campagne. Avant encore, il y a eu Juppé.

    La France est gouvernée depuis quarante ans par des gens qui mènent une politique merveilleuse, la seule possible d’ailleurs, toujours la même, ce qui montre leur grand pragmatisme et leur absence totale de dogmatisme, mais qui, malheureusement, sont tous si mauvais communicants qu’ils sont incapables de faire comprendre aux Français que tout va de mieux en mieux. Il est donc juste, à chaque fois que l’un d’eux a montré cette scandaleuse incompétence, de le couvrir d’injures et de le remplacer par un autre, sans qu’il soit bien sûr question de changer de politique.

    Il y a pourtant des moments de lucidité. Hollande, une fois, déclare, à la grande indignation de Davet et Lhomme :

    « Ce n’est pas parce qu’il y aurait une com défectueuse – la mienne peut être meilleure, j’en conviens – qu’il y aurait de l’impopularité, assure-t-il. C’est parce que la politique menée n’a pas les résultats qui sont espérés par les Français. L’idée qu’avec une bonne com on peut avoir une bonne popularité, c’est illusoire. On peut mettre un beau décor, si la marchandise est toujours la même, ça ne change rien, absolument rien. Ce qui est le plus important, c’est la politique, pas la communication. »

    Il faut réviser ici notre jugement précédent : non, il ne ferait pas un excellent journaliste politique. Il a d’odieux accès de dogmatisme. On se demande bien pourquoi, pensant cela, il se livre à ce ridicule exercice, après tant d’autres, pourquoi, au lieu de prier pour la croissance et de truquer les statistiques un mois sur deux, il n’envisage pas d’en finir avec la combinaison du libre-échangisme et du monétarisme qui fait monter le chômage et baisser les salaires depuis quarante ans, et ne peut évidemment faire que ça, puisque le premier consiste à s’obliger à nager plus vite que tous les autres pour survivre, le second à s’attacher pour ce faire un boulet au pied. Il ne pousse malheureusement pas le dogmatisme jusque là.

    Voilà. Nous avons parlé du traité de Maastricht.

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    27 octobre 2016.