• UNEF-ID: le mensonge revient, en pire

    Un incident grotesque, qui, nous l'avons dit et répété, à raison, ne nous concernait en rien sert de prétexte à une gigantesque manipulation historique, qui nous concerne au premier chef.

    Que s'est-il passé ? La présidente du peu qu'il reste de ce qui fut l'UNEF-ID, puis l'UNEF « réunifiée » s'est ridiculisée en direct sur Europe 1. Un ministre dont nous savons, par expérience sur des choses hélas plus sérieuses, qu'il est incapable d'ouvrir la bouche sans proférer une sottise, incapable aussi de la garder fermée, a dit des sottises sur ce sujet, comme il le fait sur tous les autres. Un député d'opposition, qui occupe son désœuvrement à veiller à ce que personne ne puisse passer pour plus bête que lui, tâche gigantesque en ces tristes temps, a sorti la seule sottise que le ministre eût oubliée, en réclamant la dissolution de l'UNEFexID, laquelle n'aurait évidemment, sur ces faits précis, aucun fondement juridique. Il faudrait d'ailleurs qu'il en restât quelque chose à dissoudre, ce qui est loin d'être évident.

    On pouvait penser que cette menace ridicule sur une organisation également ridicule n'avait pas la moindre importance. On pouvait tout aussi légitimement penser que malgré tout ce n'était pas une façon convenable de parler d'une organisation légalement représentative s'affichant comme « syndicat », que c'était une agression indirecte contre tous les vrais syndicats, qui devait être dénoncée. On pouvait éventuellement faire semblant de prendre cette menace de dissolution au sérieux et pétitionner contre.

    Encore aurait-il fallu, pour que ce fût légitime, défendre l'UNEFexID pour ce qu'elle était, ce qui, répétons le, ne nous aurait concerné en rien. Ce n'est pas ce qui est fait. Une vaste opération politico-médiatique, dont le sommet a été la publication lundi d'une tribune dans Le Monde, a été montée pour défendre une UNEF existant de façon continue depuis cent dix ans qui « a toujours été en tête des batailles relatives au budget de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche », « a su porter un discours anti-colonial dans une société française qui était loin d’y souscrire », et fait bien d'autres choses.

    Cette UNEF là est un énorme, un abominable, un odieux mensonge. Il nous concerne directement, puisqu'un de ses aspects est la négation totale de l'existence de l'UNEF à laquelle nous avons appartenu, celle du congrès du Renouveau de mars 1971, jusqu'à sa triste fin vers 2001, celle a qui a été consacré le site unef.org, d'abord pour la défendre puis, depuis 2007, pour maintenir sa mémoire et travailler à écrire son histoire. C'est aussi d'ailleurs le travail que nous avons fait qui est nié spectaculairement.

    Il nous concerne plus largement en tant qu'anciens militants s'intéressant à l'histoire du mouvement étudiant, en amateurs ou en professionnels, qu'une aussi énorme manipulation ne peut qu'indigner.

    Chacun sait, ou devrait savoir, que depuis la fondation de l'UAEF, devenue ensuite UNEF, en mars 1907 à Lille, par une dizaine d'associations locales préexistantes, beaucoup de choses ont existé sous ce nom en France, successivement et parallèlement, sans toujours continuité juridique, sans continuité politique, sans continuité syndicale.

    Il y a là une histoire variée, passionnante, que quiconque a milité dans une organisation appelée UNEF peut à bon droit considérer comme la sienne. C'est précisément pour cela qu'il est intolérable qu'elle soit niée, et remplacée par l'invocation et le culte d'un mensonge, d'une organisation constamment syndicale, constamment « de gauche » comme on l'entend aujourd'hui, de 1907 à Mélanie Luce.

    Parlons d'anticolonialisme, puisque les auteurs du texte ont choisi d'en faire l'axe principal de leur argumentation sur une continuité imaginaire, ce qui renforce le caractère monstrueux de la farce. C'est le plus ridicule des mythes qui aient été forgés sur  l'histoire de l'UNEF, mais à un moment précis et sur un événement précis, la guerre d'Algérie, qui est ici stupidement généralisé. Il est clair que sur la question de l'Empire colonial, l'UNEF a été, comme il est logique, à l'image de l'ensemble de la société française, qui l'a longtemps considéré comme naturel, tout en y étant largement indifférente, aux rares exceptions près de quelques intellectuels et de certains militants ouvriers (pas tous), et n'est devenue anticolonialiste que quand il n'y a plus eu de colonies.

    La très fameuse « charte » de Grenoble, en fait la résolution du congrès de 1946 dont on a également fait un mythe absurde, l'illustre fort bien, qui commence par « Les représentants des étudiants français, légalement réunis en Congrès National à Grenoble, le 24 avril 1946, conscients de la valeur historique de l’époque où l’Union Française élabore la nouvelle déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen »: l'Union française (le nom qui avait remplacé celui d'Empire) est considérée comme un fait établi, indépassable, mutuellement profitable. Pour l'anticolonialisme, on repassera. Il n'est évidemment pas question pour nous de porter un jugement anachronique sur les délégués de Grenoble, qui siégeaient à une époque où presque personne en France n'envisageait l'indépendance des colonies à court ou moyen terme, où d'ailleurs très peu l'envisageaient en Afrique (beaucoup en Indochine, certes, mais c'était loin). Il serait en revanche difficile de ne pas porter un jugement radical sur les auteurs du texte du Mondequi se réclament, tant pour eux-mêmes que pour leur UNEF éternelle, à la fois des « valeurs » de la « charte de Grenoble » et de l'anticolonialisme.

    Tout le monde sait, ou devrait savoir, que la guerre d'Algérie fut un cas très particulier, pour des raisons également connues, dans l'histoire de la décolonisation française, qu'il est donc absurde de lui ramener. Tout le monde sait, ou devrait savoir, que l'intervention de l'UNEF sur cette question (et non sur le colonialisme en général) fut tardive, et longtemps très modérée, avant un emballement final aisément explicable. Est-il vraiment nécessaire de rappeler ce qu'était l'AGE d'Alger, un temps présidée par Pierre Lagaillarde, et le souci longtemps maintenu de la majorité des autres AGE de ne pas la contrarier ? Est-il nécessaire de rappeler qui a présidé l'AGE de la Faculté de Droit de Paris avant d'aller s'illustrer en Algérie de la façon qu'on sait ?

    L'UNEF n'a longtemps abordé la question que par deux biais, celle de ses relations  avec l'UGEMA, l'Union générale des étudiants musulmans algériens (rompues en décembre 1956 par celle-ci, reprises en juin 1960 seulement), celle des sursis militaires qui concernaient directement les étudiants. Elle s'est prononcée pour l'autodétermination… après le général De Gaulle. À partir de là, chaque nouveau pas provoquant des départs de partisans de l'Algérie française, puis de ceux d'une stricte neutralité, elle a fini par prendre parti contre la guerre et pour des négociations avec le FLN. Sa gloire fut de prendre l'initiative de la manifestation syndicale du 27 octobre 1960 (pour des négociations, non pour l'indépendance): c'est un fait remarquable, mais qui ne la place pas parmi les précurseurs de la lutte anticoloniale.

    Il est presque aussi ridicule (il serait impossible, quand même, de l'être autant) de faire de l'UNEF un acteur essentiel de mai 1968. Tout le monde sait, ou devrait savoir, qu'elle était alors moribonde, que son assemblée générale d'avril avait été un désastre (voir le tract de l'AGEL de Lille que nous venons de publier), et qu'elle n'est apparue en mai qu'en tant que raison sociale de Jacques Sauvageot, un de ses vice-présidents qui a su profiter de la démission du président, M. Perraud, que tous les groupes gauchistes qui se sont jetés sur elle pendant l'été s'en sont rapidement lassés, ne laissant qu'un champ de ruines avec une direction PSU et deux tendances s'opposant, le Renouveau dirigé par des étudiants communistes, et les lambertistes de l'AJS.

    Nous en arrivons ainsi à ce qui nous concerne directement. Nous tenons à ce que tout le monde sache qu'il y a eu entre 1971 et 2001 deux UNEF, dont l'une était la nôtre, dont le texte du Monde, c'est un de ses plus odieux mensonges, tait totalement l'existence. Est-il utile de rappeler que quand en janvier 1971 le bureau national PSU s'est retiré, les deux tendances ont entrepris d'organiser chacune leur congrès, qu'elles ont l'une et l'autre présenté comme le 59econgrès de l'UNEF ? Qu'en 1980 celle des lambertistes est devenue, en fusionnant avec quelques autres groupuscules sans lien avec l'ancienne UNEF, UNEF-ID tandis que la nôtre est constamment restée UNEF ?

    On aimerait donc bien savoir quelle est l'UNEF unique à laquelle le texte du Mondeattribue la victoire contre le projet Devaquet. L'UNEF et l'UNEF-ID l'ont l'une et l'autre combattu, et chacune a revendiqué, avec certes quelques petites nuances pour la nôtre, la victoire comme la sienne propre: le moins qu'on puisse dire est qu'à cette période, elles ont au moins autant lutté l'une contre l'autre que contre Devaquet. L'histoire officielle a depuis longtemps tranché en faveur de l'UNEF-ID, et ignore totalement la nôtre, au point de laisser penser qu'elle n'a pas existé dans le mouvement. Ce n'est pas l'impression que nous retirons des documents que nous avons récemment rassemblés, qui montrent qu'elle était là (Cela ne nous conduit évidemment pas à adopter sans critique sa propre version officielle donnée par son guide de l'Étudiant 1987). En tout cas, l'affirmation que Devaquet a été vaincu par une mystérieuse UNEF unique qui serait celle que préside aujourd'hui Mélanie Luce est parfaitement aberrante.

    On passe sur la lutte contre le CPE en 2006, où il n'y avait plus qu'une UNEF, qui était effectivement celle que préside aujourd'hui Mélanie Luce. Les acteurs et les témoins (dont j'étais) du mouvement se rappellent l'avoir peu vue ailleurs qu'à la télé, où Bruno Julliard avait antenne ouverte pour revendiquer les actions des autres.

    Puisque notre existence est cette fois ci totalement niée, il n'y a, pour une fois, pas de mensonge sur la « réunification » de 2001, qui disparaît dans le mensonge global, et dont on évitera ainsi de parler longuement. On rappellera seulement qu'elle n'a pas plus eu lieu que la lutte anticoloniale de l'UNEF avant 1959, qu'à de très rares exceptions près les AGE et les militants de notre UNEF l'ont refusée (et se sont ridiculisés en prétendant soit faire un nouveau syndicat, soit maintenir l'UNEF) que l'UNEF prétendument réunifiée, celle que préside aujourd'hui Mélanie Luce, a été et reste la copie conforme de ce qu'était l'UNEF-ID avant 2001. On signale aussi que même s'il y avait eu, comme on l'a prétendu, unification des deux UNEF de 1971, ça n'aurait pas été, ça ne pouvait pas être, la reconstitution de l'UNEF d'avant 1968.

    L'UNEF de cent dix ans du texte du Mondeest un répugnant mensonge, parce qu'il n'y a, contrairement à ce qu'il prétend, aucune continuité syndicale, ni politique. Il n'y a pas non plus de continuité juridique. Celle de l'UNEF de la Libération avec celle d'avant-guerre était pour le moins acrobatique, comme c'est le cas pour toutes les organisations qui n'ont pas existé dans la clandestinité, avec de plus quelques amusants problèmes de statuts liés à la déclaration d'intérêt général de 1929, qui ont également pesé par la suite.

    Les deux UNEF de 1971 ont l'une et l'autre revendiqué cette continuité juridique, chacune niant l'existence même de l'autre. Elle n'a jamais été reconnue ni à l'une, ni à l'autre pour une raison simple: elle n'existait pas. La justice bourgeoise a fini par constater qu'il existait de fait deux UNEF, sans qu'il y eût moyen d'arbitrer entre elles.

    Même si elle avait eu lieu, la « réunification » n'aurait évidemment pas supprimé le problème : l'addition de deux fausses légitimités concurrentes ne fait pas une vraie. Elle n'a pas plus eu lieu juridiquement que politiquement. Notre UNEF n'a pas, contrairement à ce qui a été annoncé alors, été dissoute lors du « congrès » du 23 juin 2001 (une quarantaine de délégués, à ce qu'on nous a dit), pour la bonne et simple raison qu'il n'y avait rien à dissoudre, juridiquement parlant, puisqu'elle n'avait pas d'existence juridique reconnue, s'étant obstinée dans sa revendication des statuts de l'UNEF d'avant, en flottant entre ceux de 1929 et ceux de 1969, pour les raisons amusantes déjà évoquées (Note en passant: c'est d'abord pour cela qu'on utilisait pour les carnets de chèques des choses amusantes comme FE-UNEF). Curieusement, l'UNEF-ID n'a pas été non plus dissoute. La direction de l'UNEF « réunifiée » a déposé ex nihilo, comme création d'une nouvelle association, des statuts qui recopiaient ceux de l'UNEF-ID. S'il y a entre l'UNEF que préside aujourd'hui Mélanie Luce et l'UNEF-ID, elle seulement, une continuité politique indéniable, il n'y a même pas de continuité juridique.

    Tout ce qui se présente comme historique dans le texte du Mondeest donc mensonge, grossier mensonge, répugnant mensonge, impardonnable mensonge, mensonge qui nie l'histoire du mouvement étudiant, la nôtre, celle de nos prédécesseurs qui, dans sa grande variété, est aussi nôtre.

    Pourquoi, pourquoi maintenant ?

    On a du mal à croire qu'il s'agisse vraiment de voler au secours du malheureux débris de l'UNEFexID, ce qui pourrait être charitable, pour elle sinon pour les étudiants de France à qui elle ne sert à rien (c'est un mieux indéniable, après plusieurs décennies où elle leur a tant nui). D'abord, elle n'est pas menacée, sinon par sa propre décomposition, puisque cette demande de dissolution n'a rien de sérieux. S'il fallait trafiquer honteusement un siècle d'histoire à chaque fois qu'un Ciotti quelconque dit une bêtise, on n'en finirait pas.

    Si même on voulait croire qu'elle l'était, il serait plus efficace de la défendre pour ce qu'elle est, plutôt que de promouvoir à sa place un fantasme d'organisation séculaire qui n'existe pas. Le mensonge ne peut lui profiter. On remarque au passage que si un des plus éveillés de ceux qui l'accusent aujourd'hui de racisme découvre qu'elle revendique être, « valeurs » comprises, l'UNEF qui a eu Qui vous savez parmi ses cadres, nous n'avons pas fini de rigoler. Plus généralement, si c'est vraiment une organisation si merveilleuse per saeculumque préside la malheureuse Mélanie Luce, elle est encore plus indéfendablement grotesque. Décidément, ce n'est pas ici elle qu'il s'agit de défendre.

    Il est difficile de ne pas envisager qu'il y a là une opération politique d'ampleur, dont les promoteurs ont saisi l'occasion des sottises conjuguées de Mélanie Luce et Éric Ciotti, de ne pas conclure qu'une bande de politiciens au rancart veut en profiter pour s'inventer un glorieux passé dans une organisation resplendissante de pureté, en piétinant sauvagement au passage l'histoire réelle du mouvement étudiant.

    Ce n'est pas la première fois qu'unef.org rencontre le mythe stupide de la « grande UNEF ». À nos débuts, il a été le moteur du chantage à la « réunification » pour éliminer une UNEF que certes personne n'a jamais soupçonné d'être grande, mais qui était, elle, dans la mesure de ses faibles moyens, utile aux étudiants de France. C'est parce qu'il se déchainait à l'occasion des célébrations officielles du centenaire par l'UNEFexID que nous avons relancé le site comme historique, pour défendre notre mémoire et notre histoire. Le mythe est à chaque fois plus dévastateur: en 2000, nous étions  traités comme un obstacle à sa réalisation, en 2007 comme une petite parenthèse sans importance ni intérêt, cette fois ci, on nous annihile.

    En 2007, nous avions pu faire entendre un peu notre protestation, publier en ordre des documents sur la dernière période de notre UNEF, mais l'affaire s'était rapidement arrêtée, faute de trouver suffisamment de camarades non liés à notre lutte contre la « réunification » intéressés, ce qui avait eu la conséquence d'identifier le site à elle seulement, ce qui n'était pas notre but. Une des causes principales de cet échec relatif semble avoir été que les choses étaient trop récentes, que cette tentative historique heurtait beaucoup trop d'intérêts politiques.

    La relance de juin dernier, après plusieurs tentatives sans résultat, a obtenu un succès inespéré, qui nous a permis de changer totalement de dimension. Tout semblait indiquer qu'après vingt ans, le temps de faire sereinement de l'histoire était arrivé. Nous prenons en pleine face le retour d'une version officielle qui ment plus que jamais, sans aucune vergogne, au service de la politique la plus basse.

    Ce passage d'un rouleau compresseur que les flics saluent comme un des leurs nous rappelle bien des souvenirs. Quand nous étions petits et syndicalistes étudiants, nous faisions notre petit boulot avec nos petits moyens toute l'année, sans rencontrer d'opposition, et étions heureux et fiers d'avoir l'impression d'être un peu utiles. Les jours d'élections, les hordes de l'UNEF-ID, jamais vues les autres, débarquaient en masse, et nous n'existions plus. Le cauchemar semble revenir: nous retrouvons les mêmes menteurs professionnels, aussi peu soucieux aujourd'hui de recherche de la vérité historique qu'ils l'étaient jadis de l'intérêt des étudiants, et la même impuissance face à eux.

    Ah mais ! Ça ne finira donc jamais, ça ne finira donc jamais.

    Emmanuel Lyasse, en tant que (presque) cofondateur du site unef.org, s'exprimant à titre personnel


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