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Par Emmanuel Lyasse le 24 Mars 2020 à 18:23
N. B. : cela a été commencé, il y a bien longtemps, pour être proposé à une revue universitaire, et n’avait jamais été fini. Pour ceux qui ne sont pas de ce métier, et donc habitués sinon à comprendre les allusions, du moins à faire semblant (et à être d’autant plus vexés quand on les explique), j’ai rajouté deux notes entre crochets, et une annexe tentant d’expliquer les rapports compliqués entre les nombreux personnages cités.
La divinisation (en latin consecratio, en grec ἀποθέωσις) est à Rome sous le principat la décision, prise formellement par le sénat, de considérer qu’un mortel défunt est devenu un dieu, donc de lui accorder des prêtres et de sacrifier à lui comme aux autres dieux, en ajoutant à son nom usuel l’adjectif formé sur deus,diuuspour signifier ce nouveau statut.
À partir des Flaviens, elle est la norme pour tous les princes défunts, et de plus en plus souvent pour les membres de leur famille, son absence étant une exception, toujours dans le cas d'une succession s'effectuant anormalement. On a renoncé aujourd'hui à voir là un jugement sur l'œuvre du défunt du sénat qui, clairement, ne fait que ratifier la volonté du successeur.
En revanche, la liste des divinisations avant Vespasien montre que les choses étaient moins simples, et que la situation que nous venons de décrire était l'aboutissement d'une évolution depuis le premier divinisé de l'époque historique, le dictateur César.
On voudrait poser ici la question des critères qui ont conduit à faire d'Auguste, de Drusilla, de Livie et de Claude des dieux, et à rejeter ou ne pas même envisager ce statut pour d'autres. [Photo ci-dessus : monnaie (dupondius) frappée sous Claude (n° 257 du catalogue de la Bibliothèque nationale), portant au droit le Divus Augustus, au revers la Diva Augusta]
I– LES ÉLUS ET LES ABSENTS
Plus de cinquante ans s'écoulent entre la première consécration et la seconde, celle d'Auguste en 14. Mais il est clair que celle-ci était attendue de longue date. Dès les Géorgiques, en 30 selon ses biographes antiques[1], Virgile l'envisage comme certaine, et s'adresse au prince pour évoquer son futur séjour divin après avoir invoqué les principaux dieux ruraux et cité la fonction de chacun
Tuque adeo, quem mox quae sint habitura deorum / concilia incertum est, urbisne inuisere, Caesar / terrarumque uelis curam
(Et toi, dont on ne sait lequel des conseils des dieux tu fréquenteras bientôt, si tu voudras veiller sur les villes, César, ou avoir le soin des champs[2].
Il est était évident pour tout Romain qu'Auguste, qui avait commencé sa carrière en plaçant son père adoptif au ciel, y prendrait place à son tour dès qu'il serait mort. Il faut attendre ensuite vingt-cinq ans pour qu'il y soit rejoint par Drusilla, beaucoup plus surprenante dans le rôle de nouvelle déesse, selon la volonté de son frère Caius.
Dans l'intervalle, nos sources nous apprennent qu'il a été deux fois question de divinisation : à la mort de Livie, quand certains envisagèrent d'en faire la première diuade la religion romaine, Tacite nous apprend que Tibère s'y opposa,
honoresque memoriae eius ab senatu large decretos quasi per modestiam imminuit, paucis admodum receptis et addito ne caelestis religio decerneretur : sic ipsam maluisse
(Les nombreux honneurs décrétés par le sénat à sa mémoire furent limités par lui comme par modestie, peu seulement retenus. Il ajouta qu’il ne fallait pas lui attribuer de culte divin. Il disait que c’était ce qu’elle même aurait voulu)[3].
ce que confirme Dion Cassius,
ἀθανατισθῆναι δὲ αὐτὴν ἄντικρυς ἀπηγόρευσεν
(Il interdit formellement de la diviniser)[4].
Inversement, c'est Caius qui envisage de faire de son prédécesseur un dieu, puis y renonce, selon Dion,
Τόν τε Τιβέριον αὐτόν, ὃν καὶ πάππον προσωνόμαζε, τῶν αὐτῶν τῷ Αὐγούστῳ τιμῶν παρὰ τῆς βουλῆς τυχεῖν ἀξιώσας, ἔπειτ´ ἐπειδὴ μὴ παραχρῆμα ἐψηφίσθησαν (οὔτε γὰρ τιμῆσαι αὐτὸν ὑπομένοντες οὔτ´ ἀτιμάσαι θαρσοῦντες, ἅτε μηδέπω τὴν τοῦ νεανίσκου γνώμην σαφῶς εἰδότες, ἐς τὴν παρουσίαν αὐτοῦ πάντα ἀνεβάλλοντο), οὐδενὶ ἄλλῳ πλὴν τῇ δημοσίᾳ ταφῇ ἤγηλε
(Il avait demandé au sénat pour Tibère, qu'il appelait son aïeul, les distinctions accordées à Auguste; comme elles ne furent pas immédiatement décrétées (les sénateurs, en effet, ne supportant pas de conférer des honneurs à Tibère et n'osant pas le noter d'infamie, attendu qu'ils ne connaissaient pas bien encore le caractère du jeune prince, différaient tout jusqu'à son arrivée), il se contenta de lui décerner l'honneur d'une sépulture aux frais de l'État, et, rapportant de nuit le corps à Rome, l'exposa, le matin, aux regards du public)[5],
qui ne précise pas s'il y a eu débat public ou une simple velléité étouffée par le rejet que le sénat et le peuple romain manifestaient pour la mémoire de Tibère.
En revanche, il n'est jamais question dans nos sources de divinisation, ni pour Germanicus, ni pour Drusus, pourtant comblés d'honneurs posthumes quasi divins, bien connus par Tacite et, pour le premier, la Tabula Siarensis et la Tabula Hebana. Il n'en avait apparemment pas été question non plus, sous Auguste, pour Caius puis Lucius César, ni pour Agrippa, ni pour Marcellus, ni pour l'autre Drusus. Plus surprenant, alors que Caius commence son principat par une mise en avant de son père et une réhabilitation spectaculaire de sa mère et de ses deux frères, il n'en fait pas des dieux, alors qu'il fait accorder cet honneur un an et quelques mois plus tard à sa sœur Drusilla.
Claude, ensuite, revient sur la décision de Tibère pour faire de sa grand-mère la Diva Augusta et associer son culte à celui d'Auguste, puis est lui-même divinisé, dans des circonstances curieuses, à l'avènement de son fils adoptif Néron, selon la volonté de son épouse et meurtrière Agrippine. Négligeant rapidement ce culte, mais sans jamais l'abolir, Néron fait créer deux nouvelles diuae, la fille qu'il avait eu de Poppée puis Poppée elle-même.
Il est facile d'expliquer la plupart de ces divinisations par des raisons d'opportunité politique. Pour Tibère, comme pour tous ses contemporains, ou presque tous, celle d'Auguste allait de soi. Fils et héritier choisi par Auguste, affichant son intention de le prendre pour modèle en tout, à qui Tacite fait dire devant le sénat,
qui omnia facta dictaque eius uice legis obseruem
(moi qui traite tous ses actes et ses paroles comme des lois)[6],
il renforçait évidemment sa légitimité en devenant diui Augusti filius. Claude, quand il accède au principat, par le hasard qui l'a laissé seul survivant de la famille après le meurtre de son neveu, souligne en faisant de sa grand-mère Livie une déesse le lien le plus fort qui le rattache à Auguste. Sa propre divinisation a pu sembler surprenante aux lecteurs du Sénèque de l'Apocoloquintoseou du De clementia, et de la version que donne Tacite du premier discours de Néron qui, sans le nommer, montre une volonté de rupture avec son prédécesseur. Elle s'explique, comme s'explique l'oubli dans lequel elle tombe rapidement, si on admet que le début du règne a été marqué par l'opposition entre deux lignes, celle de Sénèque, ouvertement hostile à la mémoire de Claude, et celle d'Agrippine, qui voulait appuyer la légitimité de son fils sur celle de son prédécesseur et père adoptif[7]. Après avoir rejeté la mémoire de Claude et mis à l'écart puis fait tuer sa mère, Néron innove en faisant des déesses d'une enfant morte en bas âge, puis de la femme qu'il a perdue. Si cela a pu choquer ceux des contemporains qui lui étaient hostiles[8], et à plus forte raison la postérité immédiate, unanime contre lui, cela prend bien place dans la construction et l'illustration d'une monarchie centrée sur sa personne, affranchie au moins en partie de la référence à l'héritage d'Auguste, qui semble avoir été son projet. Le seul cas vraiment surprenant est celui de Drusilla, que les Anciens expliquent par la folie de Caius et son amour scandaleux pour sa sœur.
II– UN HONNEUR D’ABORD STRICTEMENT LIMITÉ
Il est en revanche beaucoup plus difficile d'expliquer que ces divinisations aient été les seules. L'unique élément d'explication qu'on trouve dans nos sources concerne Drusus, le père de Germanicus et de Claude, mort en 9 avant notre ère. Un passage de l'anonyme Consolation à Livie, qui déplore qu'il ne devienne pas un dieu, prête à Mars un discours où il explique au Tibre qu’il a jadis supplié les Parques pour que Remus devînt un dieu, et rapporte leur réponse :
de tribus una mihi partem accipe, quae datur inquit
muneris ; ex istis quod petis alter erit.
hic tibi, mox Veneri Caesar promissus uterque:
hos debet solos Martia Roma deos
(Une des trois sœurs m’a dit “Accepte le présent partiel qui t’est fait : de ces deux jeunes gens, l’un sera ce que tu souhaites. Celui-ci t’est promis, et ensuite les deux Césars le seront à Vénus : ce sont les seuls dieux que doit avoir la Rome de Mars”)[9].
On peut voir là un argument décisif pour l'authenticité de l'œuvre: une telle idée ne peut dater que du début du principat, est impossible après la consécration de Claude, et déjà très improbable après la mort d'Auguste et l'avènement de Tibère. Nous apprenons là que, vers le milieu du règne d'Auguste, deux choses pouvaient sembler évidentes au poète : que le prince deviendrait un dieu après sa mort, qu'il serait le seul à obtenir cet honneur après son père adoptif. Il ne s'agit pas bien sûr d'un document officiel, et il ne peut s'agir de la reprise d'une position officielle : il est tout à fait impossible qu'Auguste lui même ait explicitement prévu et revendiqué son destin céleste, comme il est à peu près certain que tous ceux qui l'ont fait le faisaient pour lui plaire, et sans risque de se tromper. Le poète l'exprime en tout cas comme une opinion répandue, puisqu'il lui donne l'aspect d'une évidence qui s'impose à lui, contre le souhait qu'il aurait eu de voir Drusus divinisé. Les événements qui suivent lui donnent raison sur ce point : la preuve en est que la consécration n'est pas même envisagée pour Caius et Lucius, puis pour Germanicus et l’autre Drusus. Il est en particulier remarquable que, parmi tous les reproches qui sont faits à Tibère quand l'opinion, selon Tacite, l'accuse de ne pas assez honorer la mémoire de son fils adoptif[10], celui-là ne vienne jamais. On voit fort bien les raisons qu'aurait eu Tibère d'hésiter à le faire, et à faire ainsi d'Agrippine la veuve d'un dieu et de ses enfants des diui filii, au moment où il cherche manifestement à limiter leur importance dans la hiérarchie de la cité. Mais l'absence totale de trace d'une proposition en ce sens faite par quiconque, ou même d'un regret a posteriori, ne peut s'expliquer autrement qu'en considérant qu'il allait de soi pour tout le monde qu'il ne pouvait pas y a voir de nouveau diuus après Auguste, comme il n'y en avait pas eu entre César et Auguste. On sait que Caius et Lucius ont reçu un culte en Gaule. On connaît aussi un flamen Germanici Caesarisà Vienne, à Nîmes, à Narbonne, à Lisbonne[11], qui prouve un culte divin, presque à coup sûr posthume. Mais à Rome, on considérait cela comme impossible.
Il reste alors à voir pourquoi, dix ans après la mort de Germanicus, la question s'est posée pour Livie. L'explication la plus vraisemblable est que le problème n'était pas de même nature quand il s'agissait de créer non un dieu, mais une déesse, non de donner un concurrent au Diuus Augustus, mais de lui attribuer dans le ciel la compagne qu'il avait eue sur la terre. Pour ceux qui l'ont suggérée, cette divinisation était vraisemblablement complémentaire de celle d'Auguste, et à ce titre logique pour celle à qui il avait donné par testament le cognomend'Augusta. Cette proposition souligne aussi la place exceptionnelle que Livie avait dans la cité en tant que veuve d'Auguste, place dont nous avons d'autres témoignages, le plus net ayant été donné récemment par le senatus-consulte De Cnaeo Pisone patrequi, dans liste des membres de la domusà qui il rend grâce, la place en deuxième position, juste après Tibère[12]. C'est pourquoi pour elle, et pour elle seulement, on a envisagé une consécration.
La réponse de Tibère à cette proposition se comprend fort bien. Nous savons par Tacite et Suétone que l'opposition entre sa mère lui était devenue de plus en plus ouverte entre la mort d'Auguste et la sienne, et qu'il a constamment cherché à limiter le rôle politique qu'elle tenait du testament d'Auguste. En particulier, il rejetait tout ce qui tendait à rappeler que son lien à son prédécesseur passait par elle, comme le vote d'un ara adoptionis ou l'appellation fils de Livie[13]. Cela lui donnait beaucoup de raisons de ne pas en faire une déesse. Mais peut-être y a-t-il eu aussi chez lui une volonté de s'en tenir à une interprétation stricte du principe qui réservait la divinisation à Auguste.
C'est en tout cas en ce sens qu'il raisonne s'agissant de lui-même, refusant manifestement d'envisager ou de laisser envisager sa propre inscription posthume parmi les dieux. On le voit nettement dans les nombreux refus qu'il oppose aux provinciaux qui veulent lui rendre un culte, les renvoyant à chaque fois à celui d'Auguste, qui est un dieu. C'est à tort qu'on a parfois considéré qu'il voulait ainsi suivre l'exemple de son père, refusant les cultes de son vivant et les réservant pour après sa mort. Auguste n'avait posé cette restriction que pour le culte romain, non pour les cultes provinciaux, fussent-ils rendus par des citoyens romains[14]. Tibère refuse presque systématiquement les cultes à sa personne et répond, selon Tacite, à la proposition des Espagnols en des termes qui ne laissent aucun doute sur la conception qu'il a de sa destinée future,
Ego me, patres conscripti, mortalem esse et hominum officia fungi satisque habere si locum principem impleam et uos testor et meminisse posteros uolo
Oui, pères conscrits, je suis mortel, les devoirs que je remplis relèvent des hommes et il me suffit d'occuper la première place ; de cela je vous prends à témoin et je veux que la postérité se souvienne[15] :
il est mortel, et entend rester dans les mémoires à ce titre. C'est n'est pas non plus une hostilité de principe au culte impérial, mais la volonté de le réserver à Auguste. On remarque aussi que l’éloge qu’en fait Velleius Paterculus, qui semble pourtant outrancier, n’envisage pas pour lui le destin céleste que de nombreux poètes promettaient à son prédécesseur de son vivant : cela semble indiquer que cette position était connue, comprise et respectée des flatteurs[16].
On ne peut donc être surpris, dans ces conditions, qu'il n'ait pas été divinisé. Il aurait fallu pour ce faire s'opposer non seulement à l'opinion publique, mais aussi à la volonté clairement manifestée par le défunt. Il est même étonnant que cela ait pu être envisagé par Caius. On peut douter du témoignage de Dion, seul à en parler. Il est fort possible qu'écrivant à une époque où tout prince dont la succession se passait sans heurt allait rejoindre ses prédécesseurs dans le ciel romain, il ait considéré que Caius ne pouvait que l'avoir demandé. Peut-être a-t-il aussi en tête, quand il écrit cela, le cas d'Hadrien, qui n'a dû sa divinisation qu'à l'obstination d'Antonin, qui y aurait gagné son surnom de Pius, face à un sénat hostile[17], et suppose-t-il que Caius n'a eu ni la même constance, ni la même pietas. Si on accepte sa version des faits, il faut admettre qu'il y avait là une rupture par rapport à la conception que Tibère avait fait prévaloir à la mort de sa mère.
III– UNE RUPTURE EN DEUX TEMPS : DRUSILLA ET LIVIE
La rupture est en tout cas claire s'agissant de Drusilla, dont Dion Cassius rapporte la consécration[18], que confirment deux allusions de Sénèque[19], une inscription de Tibur (photo ci-contre)[20], et des restitutions qui semblent incontestables dans les Actes des Arvales[21]. Elle est la première Romaine divinisée, la deuxième, après Livie, pour laquelle la chose ait été envisagée, alors que rien dans sa vie, hors l'affection particulière que lui aurait portée le prince, ne semble justifier qu'on la mette en cinquième position d'une liste comprenant Énée, Romulus, Jules César et Auguste[22]. Suétone,
Eadem defuncta iustitium indixit, in quo risisse lauisse cenasse cum parentibus aut coniuge liberisue capital fuit. Ac maeroris impatiens, cum repente noctu profugisset ab urbe transcucurrissetque Campaniam, Syracusas petit, rursusque inde propere rediit barba capilloque promisso; nec umquam postea quantiscumque de rebus, ne pro contione quidem populi aut apud milites, nisi per numen Drusillae deierauit[23],
Lorsqu’elle mourut, il prescrivit un temps de deuil durant lequel rire, se laver, manger avec ses parents, son épouse ou ses enfants était passible de mort. Puis, incapable de supporter sa douleur, comme il avait fui la ville de nuit et parcouru la Campanie, il gagna Syracuse, et en revint rapidement la barbe et les cheveux en désordre. Ensuite, à quelque propos que ce fût, même devant une assemblée du peuple ou parmi les soldats, il ne jura plus autrement que par la divinité de Drusilla
et Sénèque, en le prenant comme contre exemple dans la Consolation à Polybe,
C. Caesar amissa sorore Drusilla, is homo, qui non magis dolere quam gaudere principaliter posset, […] numquam satis certus, utrum lugeri vellet an coli sororem, eodem omni tempore, quo templa illi constituebat ac pulvinaria, eos qui parum maesti fuerant, crudelissima adficiebat animadversione[24]
Quand Caius César perdit sa sœur Drusilla, cet homme qui ne savait pas plus s’affliger que se réjouir en prince […] ne sut jamais clairement s’il voulait que sa sœur fût objet de deuil ou bien celui d’un culte, et au même moment où il décidait pour elle des temples et des lits divins, frappait avec la plus grande cruauté ceux qui n’étaient pas assez affligés.
décrivent la folle douleur qui prit Caius à la mort de sa sœur, et ses déraisonnables manifestations, parmi lesquelles semble prendre place ce culte. Il est cependant difficile de croire qu'elle aurait été la seule cause d'une décision aussi surprenante.
Il ne s'agit pas d'une rupture affichée avec le culte précédent, au contraire: les Arvales célèbrent Drusilla le même jour qu'ils commémorent le natalis diui Augusti, apparemment ob consecrationem[25], et au même lieu, le templum nouum diui Augusti[26]. La divinité de Drusilla est donc clairement placée dans la continuité de celle de son arrière grand-père. La mort de sa sœur a donné l'occasion à Caius de donner au Diuus Augustus une compagne plus proche de lui, et donc de renforcer sa position d'héritier et d'arrière petit-fils du dieu en devenant frère d'une déesse. Sa rupture avec Auguste, qui ne semble pas avoir envisagé qu'il y eût jamais d'autre consécration, après celle de son père, que la sienne propre, avec Tibère qui l'a explicitement affirmé, a pour but de le placer lui aussi dans la position du prince qui, en mettant un de ses proches au ciel, renforce le caractère divin de son pouvoir.
Mais cela nous ramène à la question essentielle : pourquoi Drusilla et, surtout, pourquoi seulement Drusilla ? Si Caius voulait, en rouvrant la liste des diui, renforcer sa position dans la domus diuina, il était plus logique de commencer par son père, et éventuellement par sa mère. Dès les premiers jours de son règne, il a voulu marquer son avènement comme une revanche de Germanicus, d'Agrippine et de ses fils aînés contre le sort qui leur avait été fait sous Tibère. Dion Cassius et Suétone, longuement, nous rapportent comment il est allé lui-même chercher les cendres d'Agrippine dans l'île de Pandateria où elle était morte, condamnée et exilée, pour les placer dans le Mausolée d'Auguste. Les monnaies frappées à leur effigie le confirment. Mais il n'est question de divinisation pour aucun d'eux, et il n'en sera jamais question par la suite. Il y aurait pourtant gagné le statut de diui filius.
D'autre part, la consécration de Drusilla aurait moins surpris si celle-ci avait été aussi fille d'un dieu, et éventuellement d'une déesse. Isolée, elle semble indiquer une volonté claire du prince de donner à sa sœur une place tout à fait exceptionnelle, supérieure à celle attribuée dès le début du règne à Germanicus et Agrippine, même au prix d'une rupture totale avec les conceptions qui avaient cours jusque là. Cela paraît d'autant plus surprenant que cette rupture ne semble pas affecter le culte du Diuus Augustus.
On est donc tenté de chercher une autre explication et de se demander si Caius, voulant appuyer son pouvoir sur une divinité nouvelle qui lui fût proche, n'a pas choisi Drusilla, malgré toutes les difficultés que cela pouvait poser, faute d'autre possibilité. Il faudrait alors qu'il y ait eu une raison majeure empêchant les divinisations de Germanicus et d'Agrippine, mais ne valant pas pour Drusilla. Un élément semble pouvoir apporter une réponse : cette promotion est justifiée par le témoignage de Livius Geminius qui l'a vu monter au ciel, ce que rapporte Dion Cassius,
Λίουιός τέ τις Γεμίνιος βουλευτὴς ἔς τε τὸν οὐρανὸν αὐτὴν ἀναβαίνουσαν καὶ τοῖς θεοῖς συγγιγνομένην ἑορακέναι ὤμοσεν, ἐξώλειαν καὶ ἑαυτῷ καὶ τοῖς παισίν, εἰ ψεύδοιτο, ἐπαρασάμενος τῇ τε τῶν ἄλλων θεῶν ἐπιμαρτυρίᾳ καὶ τῇ αὐτῆς ἐκείνης: ἐφ᾽ ᾧ πέντε καὶ εἴκοσι μυριάδαςἔλαβε[27].
Un certain Livius Geminius, sénateur, jura l'avoir vue monter au ciel et se joindre aux dieux : il appela la malédiction sur lui-même et ses enfants s'il mentait ; et en appela au témoignage des autres dieux et de Drusilla elle-même ; pour cela, il reçut un million de sesterces
Cela suit le modèle établi pour Auguste, dont l'accession avait été garantie par Numerius Atticus[28], et rejoint celui de César, pour qui le sidus iuliumavait donné cette preuve. La reconnaissance comme dieu de Romulus dans le récit livien[29], qui offre incontestablement un modèle ancien reconstruit à l'innovation, repose exclusivement sur le témoignage de Iulius Proculus. Si on admet qu'une telle manifestation était alors considérée comme indispensable pour qu'un mort fût reconnu comme dieu, on peut facilement expliquer pourquoi Germanicus n'a pu l'être dix-huit ans après sa mort à Antioche, quand aucun témoignage contemporain de celle-ci n'avait été recueilli ou retenu. La mort de Drusilla aurait alors donné au prince la première occasion de créer une déesse dans sa famille proche, qu'il aurait décidé de saisir, en quelque sorte comme un pis-aller.
Si on accepte cette hypothèse, l'auteur de la rupture décisive n'est pas Caius, mais Claude : Livie est incontestablement la première divinisée longtemps après sa mort. Aucune reconnaissance de signe surnaturel n'est attestée dans son cas, et on voit mal comment il aurait pu être possible soit d'accepter l'idée que la divinité ait mis si longtemps à se manifester comme telle, soit de retrouver des témoins contemporains de son décès et d'expliquer leur silence. Rien ne nous permet de savoir comment a été perçue une telle innovation. Deux éléments ont pu la favoriser : d'une part, que la consécration de Livie pouvait paraître naturelle, d'autre part le contexte troublé. Enfin, il a pu sembler urgent de donner au Divus Augustus une compagne lui convenant mieux que Drusilla et propre à la faire oublier. On peut trouver une trace de ce problème au début de l'Apocoloquintosequand Sénèque fait, lui, appel à témoin
Tamen si necesse fuerit auctorem producere, quaerito ab eo qui Drusillam euntem in caelum vidit: idem Claudium uidisse se dicet iter facientem "non passibus aequis." Velit nolit, necesse est illi omnia uidere, quae in caelo aguntur: Appiae uiae curator est, qua scis et divum Augustum et Tiberium Caesarem ad deos isse.
(S’il faut pourtant produire un témoin, demande à celui qui vit Drusilla aller au ciel. Il dira qu’il a vu de même Claude faisant ce voyage, d’une démarche peu assurée. Qu’il le veuille ou non, il a forcément vu tout ce qui était poussé au ciel. Il est le curateur de la via Appia, par où tu sais que le divin Auguste et Tibère César sont allés parmi les dieux).
et confirme en même temps qu'il n'y en a pas eu d'officiel
Hunc si interrogaueris, soli narrabit: coram pluribus nunquam uerbum faciet. Nam ex quo in senatu iuravit se Drusillam vidisse caelum ascendentem et illi pro tam bono nuntio nemo credidit, quod viderit, uerbis conceptis affirmavit se non indicaturum, etiam si in medio foro hominem occisum vidisset.
(Si tu le questionnes, il te le dira, mais à toi seul : il ne fera jamais plus de déclaration devant plusieurs personnes. Depuis qu’il a juré dans le sénat qu’il avait vu Drusilla montant au ciel, et que personne n’a cru cette si bonne nouvelle, il a dit fermement qu’il ne révélerait plus ce qu’il aurait vu, même s’il voyait un meurtre en plein forum)[30].
Il n'est pas impossible que ce soit la crainte d'un parallèle avec Drusilla qui ait conduit Agrippine à ne pas produire de témoin, et à confirmer ainsi une innovation faite pour une autre raison par celui qu'elle avait empoisonné et divinisé. On n'est pas en tout cas revenu sur ce point par la suite : il n'est plus jamais, dans nos sources, question de témoignage pour une divinisation.
On peut donc expliquer ainsi que Germanicus, objet de regrets sous Tibère, modèle et référence pour ses trois successeurs, n'ait jamais été placé parmi les dieux. À sa mort, on considérait que le ciel était définitivement fermé par l'ascension d'Auguste. Sous Caius, on n'envisageait pas la possibilité d'une consécration longtemps après le décès. Claude, supprimant cette condition pour créer une divinité qui le renforçât dans sa position de prince, ne pouvait évidemment choisir le père de son prédécesseur.
Il semble ainsi possible d’expliquer la liste, apparemment incohérente, des premiers divinisés après Auguste, par des arguments rationnels. Tibère refuse toute divinisation. Caius a besoin de rompre avec lui sur ce point, et divinise la première morte de sa famille, croyant ne pas pouvoir faire des dieux morts depuis longtemps. Claude innove pour Livie. Néron, certainement pour obéir à Agrippine, reproduit pour Claude, malgré les circonstances de sa mort, le modèle utilisé pour Auguste. Tibère, parce qu’il le voulait ainsi, et Germanicus, par cet enchaînement de circonstances, sont les grands oubliés. Mais, bien sûr, tout cela n’est qu’hypothèses.
Rue d’Ulm, 2006 - Bellegarde, mars 2020.
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ANNEXE : LA FAMILLE D’AUGUSTE
Il est d’usage de se donner bonne conscience en publiant un schéma généalogique illisible, celui-ci contre par exemple. Essayons de l’éclaircir un peu, en nous en tenant dans la mesure du possible aux personnages cités dans l’article. (On a mis, à leur première mention, en gras les noms de ceux qui ont été divinisés, en italique les noms de ceux qui ont été princes, ou en position de successeur désigné, et de leurs épouses).
La première famille princière romaine aurait tout pour plaire aux amateurs contemporains de familles recomposées dépassant la forme archaïque périmée. Elle s’est développée autour d’Augusteet Liviepar accumulation de divorces à répétition d’adoptions, de mariages souvent consanguins, de morts prématurées plus ou moins naturelles.
Auguste (qui n’était encore que César) a épousé Livie en 38 avant notre ère, les deux ayant divorcé pour ça. Ils n’ont pas eu d’enfants ensemble. De leurs mariages précédents, il avait une fille Julie, elle deux fils, Tibère Claude Néron (qu’on appelle couramment Tibère) et Tibère Claude Drusus. Auguste avait également une nièce, Antonia, née du mariage de sa sœur Octavie avec Antoine du temps où ils n’étaient pas fâchés (un neveu aussi Marcellus, d’un autre mariage, mort en 23 avant notre ère). C’est de la combinaison de ces trois éléments, compliquée par beaucoup de décès imprévus, que viennent ses quatre premiers successeurs.
Il a, dès qu’ils furent adultes, donné un rôle important aux fils de sa femme, Tibère, et Drusus, qu’il a marié à sa nièce Antonia. Il n’en comptait pas moins sur sa fille pour lui donner une descendance naturelle, par son mariage avec son ami et second Agrippa. Il adopta leurs deux premiers fils,Caiuset Lucius, dans l’intention évidente que l’un fût son successeur. Leurs morts en 2 et 4 de notre ère laissèrent Auguste sans héritier naturel mâle (le troisième fils, Agrippa Posthumus, étant jugé inapte), restant deux filles, Julie, rejetée et exilée, et Agrippine, dont le rôle sera essentiel
Il fut ainsi contraint à chercher son successeur dans la descendance de Livie, en rappelant son fils aîné Tibère. Le cadet, Drusus, était mort en 9 avant notre ère, mais avait laissé deux fils, Germanicuset Néron (qu’on appelle couramment Claude), qui, par leur mère Antonia, étaient les petits-neveux d’Auguste.
En 4, il adopte donc Tibère (qui devient ainsi Tibère Jules César), mais en lui imposant d’adopter lui-même son neveu Germanicus, bien qu’il ait un fils naturel, appelé Drususcomme son oncle. À la même époque Germanicus épouse Agrippine, petite-fille d’Auguste, sa cousine issue de germains.
Quand Auguste meurt en 14, Tibère lui succède logiquement. Germanicus est son second, et apparaît comme son futur successeur : il est, par l’adoption, fils de Tibère et petit-fils d’Auguste, par le sang neveu de Tibère et petit-fils de Livie (par son père Drusus), petit-neveu d’Auguste (par sa mère Antonia). Surtout, ses nombreux enfants d’Agrippine, trois garçons et trois filles, sont les descendants communs d’Auguste et de Livie. Drusus, le fils naturel, plus jeune, n’a aucun lien de sang avec le fondateur.
Le décès de Germanicus en 19 détruit cet équilibre, et provoque des affrontements à l’intérieur de la famille qui tournent, pour faire vite, au massacre général. Quand Tibère meurt en 37, ne survivent, de tous ceux que nous venons de citer, que le plus jeune des trois fils de Germanicus et Agrippine,Caius(qu’on a pris l’habitude, en France, d’appeler Caligula), et ses trois sœurs, Agrippine, Livilla et Drusilla. Malgré son jeune âge, vingt-cinq ans, et son inexpérience politique (Tibère n’avait rien fait pour le préparer à lui succéder, rien non plus pour l’en empêcher), Caius est reconnu comme prince, en tant que petit-fils adoptif du défunt et, surtout, arrière petit-fils naturel de son prédécesseur.
Quand Caius est assassiné en 41, les soldats des cohortes prétoriennes imposent au sénat de lui choisir comme successeur Claude, qui est le dernier survivant mâle adulte de la famille. Il est le fils de Drusus et d’Antonia, donc le frère de Germanicus, l’oncle de Caius, le neveu de Tibère, le petit-fils de Livie, et par sa mère le petit-neveu d’Auguste. Il a la particularité de n’avoir été adopté par aucun de ses prédécesseurs (étant jugé par Auguste puis Tibère inapte à toute fonction politique) : il est donc resté un Claude quand tous les autres étaient devenus des Jules.
Après avoir fait exécuter sa femme Messaline, il épouse en 49, Agrippine, dernière survivante des enfants de Germanicus, et adopte le fils qu’elle avait eu d’un premier mariage avec Domitius Aenobarbus, qui devient ainsi Claude Néron. Pour les historiens latins Tacite et Suétone, l’explication est que Claude était follement amoureux de sa nièce. Ce mariage n’en a pas moins un très fort sans politique : en s’unissant à l’arrière petite-fille (à la fois par le sang de sa mère et l’adoption de son père) d’Auguste, Claude renforce sa position. Adopter le désormais Néron revenait à spolier son fils naturel Britannicus, mais était aussi reconnaître une légitimité supérieure à la sienne, puisque l’adopté était l’arrière arrière petit-fils d’Auguste. Il sera, de 54 à 69, le second descendant direct du fondateur, après Caius, à être prince, et le dernier de sa famille, sa mort sans descendance ni proche parenté provoque d’abord un vaste massacre, ensuite l’apparition d’une nouvelle famille princière, celle de Vespasien.
On remarque bien sûr que le critère essentiel dans toutes ces successions est le sang, en ligne masculine mais aussi en ligne féminine, et que l’adoption sert éventuellement à renforcer ses liens, mais ne les remplace jamais. Cela n’a rien d’original à Rome où, depuis aussi loin qu’on remonte, les fonctions politiques étaient de fait héréditaires. Le principat innove en créant pouvoir suprême qui appartient à une seule famille, quand auparavant les élections servaient à répartir les magistratures entre plusieurs, éventuellement à arbitrer entre elles.
[1]Vergilli Vita Donatiana, 89 (ed. J. Brummer, Lipsiae, 1933, p. 6) et Serv.,Vergilii Vita, 24-28 (Ibid., p. 70), voir l’introduction d’E. de Saint Denisà son édition de 1956 pour la CUF, p. VI-VII.
[8]L'hostilité qu'il manifeste par son absence aux cérémonies en l'honneur de Poppée est un des griefs de Néron contre Thraséa, selon Tac., Ann., XVI, XXII.
[12]J’ai traité ce sujet dans La domus plena Caesarum dans le senatus-consulte sur Pison père, Gerión, XXVIII (2010), p. 107-39, lisible en ligne ici : https://core.ac.uk/download/pdf/38835556.pdf
Ce texte est connu par une copie sur bronze découverte en Espagne dans les années 1980. C’est, après les Res gestae Diui Augusti, l’inscription qui nous a donné le plus d’informations sur les débuts du principat.
[14] Le cas le plus clair en Occident est celui de l’autel de Lyon Romae et Augusto, dont le premier sacerdos, est l’Éduen Caius Iulius Vercondaridubnus (connu par Liv., Per., CXXXIX), incontestablement citoyen romain.
[16]Vell. Pat., II, CXXIX-CXXXI. Il est vrai que la fin manque (une lacune qui « de toute évidence est de peu d’importance » selon J. Hellegouarc’hdans une note ad loc.p. 294 de son édition de 1982 pour la CUF) mais l’invocation aux dieux du dernier chapitre Iuppiter Capitoline, et auctor ac stator Romani nominis Gradive Mars perpetuorumque custos Vesta ignium et quidquid numinun hanc Romani imperii molem in amplissimum terrarum orbis fastigium extulit, vos publica voce obtestor atque precor custodite, servate, protegite hunc statum, hanc pacem, hunc principem, eique functo longissima statione mortali destinate successores quam serissimos(Jupiter capitolin, Mars Gradivus, origine et soutien du nom romain, Vesta, gardienne des feux perpétuels, et tous les dieux, quels qu’ils soient, qui portent le poids de l’empire romain, je vous appelle, je vous prie : gardez, conservez, protégez cette situation, cette paix, ce prince, et, après une très longue vie, donnez lui des successeurs, aussi tard que possible), envisage nettement sa mort sans parler de consécration, puisqu’elle passe ensuite à ses successeurs, avant la lacune. C’est d’autant plus remarquable que par ailleurs l’auteur s’écarte lourdement de la représentation officielle quand, emporté par son enthousiasme, il présente au moins implicitement Tibère comme supérieur à Auguste.
[20]CIL, XIV, 3576. Deux fragments de dédicaces à Veleia (CIL, XI, 1168) et à Caere (CIL, XI, 3598). Une flaminique à Caburrum, dans les Alpes cottiennes (CIL, V, 7345). Le culte de la Diva Drusilla est également attesté en Gaule à Avaricum (CIL, XIII, 1194, citée par R. Bedon, Les villes des Trois Gaules de César à Néron, Paris (Picard), 1999, p. 316, W. Van Andringa, La religion en Gaule romaine, Paris (Errance), 2002, p. 140). Un fragment d’inscription de Collegno, en Italie du Nord, cite peut-être ensemble Livie et Drusilla, ce qui prouverait un maintien au moins local du culte de la seconde après la mort de Caligula, si on admet la restitution [--- diuae Dru]sillae et diuae Augu[stae ---] (AE, 1988, 607).
[21]J. Scheid,Commentarii fratrum Arualium qui supersunt. Les copies épigraphiques des protocoles annuels de la confrérie arvale (21 av.-304 ap. J.-C.), Rome, 1998, 12c, 99 (sacrifice le 23 septembre 38 [ob consecrationem Drusilla]e) et 103 ([diu]ae Drusillae, qui justifie la précédente) ; 14, I, 21-22 (avant les nones de juin 40, sacrifice au Capitole ob natalem [diuae Drusilla]e Aug(ustae)) ; 16, 5-6 (fragment non daté ante tem[plum diui Augustu nouum] diuae D[rusillae]). [Les Arvales sont une des très nombreuses prêtrises collégiales de Rome, non l’une des plus importantes, très peu citée par les textes littéraires. Mais ils ont eu le bon goût de faire graver sur bronze les comptes-rendus de leur activité, et le goût meilleur encore de les afficher en un endroit où on a pu en retrouver une partie significative (il est probable qu’ils n’étaient pas les seuls à graver ainsi, mais on n’a rien des gravures éventuelles des autres), qui nous est un document incomparable sur la religion romaine à cette époque, dont l’ouvrage cité donne une édition critique avec traduction en français].
[24]Sen., Cons. ad Pol., XVII, 4. [Sénèque, en bon stoïcien, est l’auteur de plusieurs Consolations, lettres écrites à une personne ayant perdu un proche pour lui dire qu’il ne faut pas se laisser dominer par l’affliction mais supporter ça fermement. Celle adressée à Polybe, adressée à un des affranchis favoris de Claude, qui venait de perdre son frère, par le philosophe, alors exilé par ce même prince, présente une version très particulière du stoïcisme, puisqu’elle est essentiellement consacrée à flagorner Claude].
[26]J. Scheid,Commentarii…, 12c, 99 (in templo diui Augusti nouo) qui justifie la restitution en 16, 5 déjà citée plus haut. Le sacrifice de 40 pour son anniversaire (14, I, 19), fait au Capitole n’est pas offert à la déesse, mais à Jupiter, Junon et Minerve.
[28]D. Cass., LVI, XLVI, 2, ἐκείνη δὲ δὴ Νουμερίῳ τινὶ Ἀττικῷ, βουλευτῇ ἐστρατηγηκότι, πέντε καὶ εἴκοσι μυριάδας ἐχαρίσατο, ὅτι τὸν Αὔγουστον ἐς τὸν οὐρανόν, κατὰ τὰ περί τε τοῦ Πρόκλου καὶ περὶ τοῦ Ῥωμύλου λεγόμενα, ἀνιόντα ἑορακέναι ὤμοσε( [Livie] « fit don de deux cent cinquante mille drachmes à un certain Numerius Atticus, sénateur qui avait exercé la préture, pour avoir, à l'exemple de ce qu'on rapporte de Proculus et Romulus, affirmé par serment qu'il avait vu Auguste monter au ciel. »). Suet., Vit. Aug., C, 4, nec defuit uir praetorius, qui se effigiem cremati euntem in caelum uidisse iuraret (« Il se trouva encore un ancien préteur pour jurer qu'il avait vu son fantôme monter au ciel après la crémation. »).
[29]Liv., I, XVI, 6 Namque Proculus Iulius […] in contionem prodit. Romulus, inquit, Quirites, parens urbis huius, prima hodierna luce caelo repente delapsus se mihi obuium dedit(« Proculus Iulius […] se présente au peuple : « Romains, dit-il, Romulus, père de notre ville, est descendu soudain du ciel, ce matin, au point du jour et s’est offert à mes yeux »).
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Par Emmanuel Lyasse le 1 Juin 2019 à 13:06
On parle de plus en plus, à propos de l’ « Europe » d’empire, en général pour en dire du mal, parfois, quoique rarement, pour la défendre. On en parle aussi d’ailleurs à propos d’Allemagne seulement, chez les germanophiles comme chez les germanophobes. Tout dépend en fait ce qu’on met sous ce mot, qui peut être très varié. Il semble donc utile de clarifier cette question par un survol de ses usages historiques.
Il est certain que, d’une manière générale, on n’explique pas nécessairement un mot en faisant son étymologie, que son histoire ne dit parfois rien de son sens. Nous savons tous que rien c’est quelque chose, personne quelqu’un. La particularité du mot empire est qu’il n’a pas une évolution, comme res ou persona, mais que ses emplois contemporains mélangent tous ses sens passés, d’où la confusion ambiante à ce sujet.
I– L’empire est d’abord romain.
En latin, l’imperiumest le pouvoir de commandement, lié au verbe imperare. À Rome il est d’abord le pouvoir du roi, qui, après l’expulsion du dernier en 509, est passé à deux consuls annuels élus, en tout cas dans la version de l’histoire que nous donnent les auteurs que nous avons à partir du premier siècle avant notre ère, l’important ici étant qu’eux y croyaient. Pour répondre aux besoins croissants, on a ensuite créé d’autres magistrats ayant aussi l’imperium, les préteurs, puis des proconsuls et propréteurs, anciens magistrats dont l’imperium est prolongé au-delà d’une année pour être exercé hors de Rome.
Mais cela n’a aucun lien direct avec la notion d’empire romain : ce sont deux emplois différents du mot imperium. De même que l’imperium du magistrat est le pouvoir qu’il exerce sur les citoyens, celui du peuple romain (imperium populi romani) est le pouvoir qu’il exerce sur des populations et des territoires, et devient rapidement, par extension, la désignation de ces populations et territoires eux-mêmes. Il va de soi que cela n’a rien à voir avec le régime politique, ni le leur, ni celui de Rome : il s’agit d’un rapport de domination d’un peuple sur d’autres, qui finit par désigner l’ensemble des dominés. L’idée, hélas répandue que Rome, qui était une république, devient un empire quand Auguste devient « empereur » est une dangereuse absurdité.
Le lecteur se demande peut-être pourquoi j’ai été si long sur l’imperium des magistrats supérieurs pour dire ensuite qu’il n’avait absolument aucun rapport avec l’empire romain au sens territorial. Nous y arrivons : au contraire, le titre d’imperator, qui donne empereur en français, lui est directement lié. Étymologiquement, ce devrait être celui qui détient l’imperium. Pour des raisons mystérieuses, car antérieures manifestement à l’époque pour laquelle nous avons des sources latines, ce n’est pas ça. Le mot, avant Auguste, est utilisé uniquement dans un contexte guerrier et, en principe, même si certains textes littéraires en font un usage plus large, réservé au chef victorieux, acclamé par ses soldats sur le champ de bataille, ce qui lui donne droit à demander le triomphe. Auguste prend ce titre de manière permanente, en faisant même son prénom, ce que feront également après lui tous ses successeurs à partir de Vespasien : ce n’est qu’un des nombreux honneurs qu’il cumule, le terme couramment utilisé pour désigner sa place à Rome étant princeps, le premier, tout simplement (qui donne prince en français et des choses semblables dans la plupart des autres langues modernes, ce qui ne nous simplifie pas la vie). Mais Imperator a progressivement désigné la fonction, d’où l’emploi du mot empereur aujourd’hui pour désigner Auguste et ses successeurs, et celui beaucoup plus dangereux du mot empire pour qualifier le régime politique. Si les détails sont très compliqués, le point essentiel, en ce qui nous concerne ici, saute désormais aux yeux : il n’y a pas de lien direct entre empereur, imperator, et empire territorial, imperium populi romani. L’empereur n’est pas le monsieur qui gouverne l’empire : il s’agit d’une rencontre fortuite entre deux applications différentes du mot imperium.
Empire et empereur sont donc à l’origine deux notions proprement romaines, sans lien entre elles. On a ensuite compliqué les choses en parlant d’empires précédents, assyriens, perse, macédonien… ce qui se défend quand il y a analogie, qu’il s’agit d’un ensemble de peuples soumis à un autre, voire à une seule personne, mais devient absurde quand on parle à leur propos d’empereur, tant cette chose, qu’il s’agisse d’imperator ou de princeps, est proprement romaine, et le reste jusqu’à une époque très récente, comme nous allons le voir.
Il n’y a d’empereur que romain, qu’il soit unique, ou que plusieurs exercent la charge en principe à égalité, ce dont Marc Aurèle et Lucius Verus sont les premiers exemples. À la fin du IIIe siècle, Dioclétien veut faire de la collégialité une règle, avec partage territorial entre Occident et Orient, ce qui aboutit, après bien des complications et réunifications montrant que ce n’était pas forcément une idée géniale, à la scission définitive en 395 entre les deux parties de l’empire, chacune ayant son empereur. Il n’y a pourtant pas très longtemps deux empereurs, puisque celui d’Occident disparaît 81 ans plus tard. Il ne reste plus qu’un seul empereur, à Constantinople, qui prétend, probablement sans y croire vraiment lui-même, avoir autorité sur tout ce qui fut l’empire romain, les rois barbares qui se partagent sa partie occidentale s’efforçant de ne pas rire trop fort à ce sujet.
II- Aventures médiévales de l’empire
Cela change à la Noël de l’an 800, quand un de ces rois barbares, Charles qu’on a pris l’habitude d’appeler Charlemagne, qui a agrandi son royaume très largement, jusqu’à couvrir à peu près toute l’ancienne Gaule, le Nord de l’Italie, et à l’étendre au-delà du Rhin, se fait couronner empereur à Rome, par le pape Léon III. Il revendique ainsi l’héritage des empereurs d’Occident, dont il possède une partie de l’empire (sans l’Espagne, sans l’Afrique du Nord, sans ce qui était la Bretagne et est en train de devenir l’Angleterre). Ce couronnement n’a aucun effet concret : l’empereur de Constantinople n’en est pas heureux, mais ne le dit pas trop, faute de moyen de s’y opposer, et Charles est avant comme après le maître du royaume dont il a hérité et qu’il a agrandi. Son seul fils survivant, Louis, en hérite, et du titre impérial, à sa mort en 814.
On sait qu’à la mort de Louis, en 840, après s’être un peu tapé dessus, les trois fils qu’il avait laissés se partagent son héritage, lors du très fameux traité de Verdun de 843, géographiquement : l’Ouest à Charles, qu’on appelle peu aimablement le Chauve (mais que personne n’a eu l’idée de nommer Charlecalve), le centre à Lothaire, l’Est à Louis, qui tout trois sont rois. On sait moins que le titre impérial reste unique, et revient à l’aîné, Lothaire, avec une prééminence théorique sur ses deux frères (qui bien, sûr, ne veulent pas le savoir). Après la mort de celui-ci sans enfants, et bien des complications sur lesquelles nous passons, ce titre se fixe dans la partie Est, tandis qu’il y a à l’Ouest un roi de ce qui deviendra la France. Alors qu’à l’Ouest comme à l’Est on passe de la centralisation au moins théorique du royaume de Charlemagne à une fragmentation toujours plus poussée, les divisions administratives devenant (pour faire bref, et avec toutes les réserves utiles), des fiefs héréditaires, ce titre impérial échappe aux descendants de son rénovateur (dits carolingiens), puis devient électif avec des électeurs qui sont tous de la partie orientale.
On ne rentrera pas dans les détails pour la suite, ce qui nous mènerait, à supposer que j’en sois capable, très loin. Un point est important, quand à notre quête de ce qu’est un empire : dans cette phase, c’est l’empereur, qui se veut l’héritier du modèle romain, qui crée l’empire, qui ne l’est donc pas, et est défini comme territorial par un processus long et assez complexe. Après bien des péripéties, le titre impérial se trouve attaché, en fait puis en droit, à la famille de Habsbourg, et, après le partage de l’héritage de Charles Quint au milieu du XVIe siècle, à ce qu’elle possède en Autriche et autour, avec une prééminence théorique sur le reste d’un Empire comprenant tout ce qui est à l’Est du royaume de France mais en Occident néanmoins, qui a peu d’effet pratiques et n’en a officiellement plus du tout à partir des traités de Westphalie de 1648. Pendant toute cette période, il n’y a qu’un empereur en Occident, qui devient progressivement un souverain comme les autres, et après la fin de l’empire d’Orient en 1453, reste le seul.
III— Fantaisies du XIXe siècle
Ce n’est qu’au XIXe siècle que se mettent à pousser partout empires et empereurs. Les Russes ont été des précurseurs, puisque c’est en 1721 que Pierre le Grand s’est fait nommer empereur de toutes les Russies. Mais il s’agissait alors d’une revendication de continuité avec les anciens empereurs romains d’Orient, qui faisait du tsar orthodoxe (le mot tsar ou czar, venait déjà de Caesar) leur successeur, et de Moscou la troisième Rome. C’est quand Napoléon Bonaparte se fait faire empereur des Français, en 1804, que ce mot change radicalement de sens. Dans le contexte de la révolution française où le goût pour les références antiques, pas toujours heureuses d’ailleurs, est fort, cela semble une mauvaise parodie de l’histoire romaine : après l’expulsion du dernier roi, la république (avec des consuls et un sénat, dans sa dernière version), à laquelle succède, parce que la monarchie est somme toute le seul régime raisonnable mais qu’on ne veut plus entendre parler de roi, un empereur. Cette référence romaine est évidente, mais il est difficile de savoir si ceux qui l’ont utilisée avaient conscience du côté hautement parodique de la chose, ou croyaient vraiment imiter sagement les Romains. Il n’y a, au départ, pas d’empire d’ailleurs, puisque Napoléon est « empereur des Français par la grâce de Dieu et les lois de la République ». On ne parle d’empire français que progressivement, la république s’effaçant discrètement (elle ne disparaît, par exemple, des monnaies qu’en 1809). Ça ne dure pas, mais ça n’en est pas moins la fin d’une conception millénaire de l’empereur et de l’Empire : par le traité de Presbourg, après Austerlitz, l’empereur (le vrai) accepte de n’être plus qu’empereur d’Autriche, ce qui ne fait qu’officialiser une situation déjà établie, mais a une forte portée symbolique, et ne sera pas remis en cause en 1815.
Il est alors admis qu’un empereur est comme un roi, en plus chic, un empire comme un royaume, en plus grand. Quand le roi de Prusse achève d’annexer l’Allemagne, moins l’Autriche, il se fait empereur comme tout le monde, mais sans contester le titre impérial de son voisin. Il y a eu entre-temps un second empire français, qui a tenté sans succès d’engendrer un empire du Mexique. Il y avait depuis 1822, et il y a eu jusqu’en 1889, un empereur et un empire du Brésil. On a aussi appelé empereurs des monarques non européens qu’on aurait pu tout aussi bien qualifier de rois. Les Anglais, qui ne pouvaient pas renoncer, quand même, à avoir des rois, s’en sont consolés en proclamant Victoria impératrice des Indes. Le dernier avatar de cette manie est le couronnement de Bokassa 1er empereur de Centrafrique en 1977, qui n’a convaincu que Giscard et Poniatowski, très provisoirement d’ailleurs : la mode était passée.
Les choses s’étaient encore compliquées entre-temps dans la deuxième moitié du XIXe siècle avec la phase dite, largement à tort, d’expansion coloniale de certaines grandes puissances, où l’on vit apparaître, sous la IIIe république qui se glorifiait d’avoir abattu le Second empire (sans le faire exprès, mais c’est une autre histoire), un empire français, et d’autre part un britannique empire qui n’était pas, loin de là, limité aux Indes, sous une reine et sous son parlement. Ces paradoxes ne sont qu’apparents : il s’agissait là d’un retour au sens romain, premier, l’empire étant l’ensemble des autres peuples sur lesquels un peuple donné exerce sa domination (ce qui, même si tout le monde l’a oublié, n’a absolument rien à voir avec la colonisation).
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En somme, il s’est développé, à partir des mots romains (sans lien direct entre eux, rappelons le) empire et empereur, deux sens très différents du mot empire, concurrents. Un empire peut être la domination d’un peuple, d’un État, éventuellement d’un individu ou d’une dynastie, sur un ensemble de peuples. Il peut aussi désigner un État dont le chef est un empereur. Il ne s’agit dans aucun de ces deux sens d’un régime politique. Au premier, le régime politique du dominant peut être de toute sorte, celui des dominés également (à ceci près qu’il n’est pas souverain). Au second, seul le titre distingue l’empire du royaume, de la principauté, du duché… : il s’agit normalement d’une monarchie comme les autres, qui peut tourner à la démocratie parlementaire, ou d’ailleurs à tout autre régime, si l’empereur règne sans gouverner comme le roi d’Angleterre par exemple. Si le premier type d’empire est presque par définition pluriethnique (mais avec un seul dominant), le second peut l’être ou ne pas l’être au même titre que n’importe quel État. Au premier sens, un empire n’est jamais fédéral, puisqu’il se définit par une domination unilatérale, au second il peut tout aussi bien l’être que ne pas l’être. Ce n’est évidemment pas l’héritage impérial qui fait l’actuel fédéralisme allemand (rappelons au passage qu’il est à l’origine une idée des Anglo-Saxons et des Français pour limiter la puissance allemande).
À chacun de tirer de cela les conclusions sur l’ « Europe » qu’il voudra. Il semble qu’il vaut mieux le savoir avant de parler d’empire à tort et à travers.
Bellegarde, mai 2019.
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Par Emmanuel Lyasse le 11 Avril 2019 à 11:53
Pour lire la suite de cette publication:III- Les institutions des cités 1- L'exemple d'Irni
III- Les institutions des cités 2- et 3-
Dans tout l’Occident romain, une fois la pacification terminée, la cité, ciuitas, est la structure politique essentielle, la référence première pour l’ensemble de ses habitants, et pour le pouvoir romain. Pour comprendre ce qu’a été l’empire romain, il faut se détacher de nos conceptions modernes de l’État, qui nous le font voir comme un ensemble centralisé divisé en provinces, elles-mêmes subdivisées, avec un système pyramidal d’administration. S’il a tendu à devenir cela, ce n’est pas ainsi que se le représentaient les Romains de la période de la conquête et du Haut-Empire. (Photo: monument funéraire d'un magistrat nîmois et de son épouse, CIL XII, 3175, prise par moi au musée de Nîmes)
I– La cité, structure politique fondamentale
Rome, au moment où elle sort d’Italie pour affronter Carthage, ce qui la conduit à dominer la Sicile, la Sardaigne et la Corse d’abord, l’Espagne ensuite, se considère comme une cité. Ce mot a pris dans les langues modernes le sens de ville, d’où de fréquentes confusions : dans l’Antiquité, il désigne une communauté de citoyens regroupés sur un territoire comprenant une ville, qui lui donne normalement son nom, qui se gouvernent eux-mêmes. En deçà de la cité, il n’y a que des relations privées. Au-delà, nous sommes dans le domaine de ce que nous appelons aujourd’hui les relations internationales, où on traite entre cités. En principe, la cité ne contient qu’un nombre limité de citoyens, sur un territoire relativement exigu : c’est considéré comme une condition de bon gouvernement.
Ce modèle politique vient apparemment de Grèce : c’est en tout cas en Grèce qu’il a été théorisé, ce dont nous avons trace en particulier dans les œuvres politiques de Platon et Aristote au IVe siècle avant notre ère. Mais il ne concerne pas toute la Grèce, qui connaît d’autres formes d’organisation politique, et s’étend bien au-delà. Nous ignorons dans quelles conditions il a pu passer en Italie et y a été adopté, même si on peut voir là l’influence des colonies grecques du Sud de la péninsule . L’histoire romaine officielle telle que nous la trouvons chez Tite-Live voit Rome comme une cité, avec des institutions civiques, un roi, un sénat, une assemblée du peuple, dès son origine, et la présente comme issue d’une autre cité plus ancienne, Albe : nous n’avons guère de moyens de savoir ce qu’il en était réellement.
Il y a bien évidemment une contradiction entre la conception de la cité comme espace politique exclusif, et l’expansion territoriale, qu’en principe une cité ne recherche pas, ou seulement à ses marges. L’histoire de l’empire romain est en partie l’histoire de cette contradiction et de sa gestion. Mais Rome se considère comme une cité dominant d’autres cités. Le terme qu’elle emploie pour désigner les autres Italiens, qui lui sont soumis, est significatif : socii, c’est-à-dire alliés. Il serait absurde de voir là une hypocrisie : personne ne songe à nier que les traités avec ces alliés, le plus souvent imposés par la guerre, sont presque tous inégaux. Les socii s’engagent généralement à avoir mêmes amis et mêmes ennemis que le peuple romain : c’est Rome qui décide pour tous de la paix et de la guerre, et qui décide aussi de la part que chacun doit prendre des charges de la guerre. Ils sont ainsi privés de toute possibilité de politique étrangère. Il s’agit de l’expression d’une conception politique : les hommes sont groupés en ciuitatesde taille nécessairement limitée, au-delà desquelles il n’y a que des relations entre cités. L’Italie n’est pas une entité politique mais un ensemble de cités dont chacune entretient avec Rome des relations définies par un traité.
Cette conception ne change pas fondamentalement quand Rome étend sa puissance hors d’Italie. L’empire est vu, de la même manière, comme un ensemble de ciuitatesayant un rapport de sujétion à Rome, les provinces n’étant, en tout cas au départ, que des regroupements techniques sans réalité politique.
Dans les territoires qu’elle domine par la conquête, Rome ne veut connaître et ne connaît, hors quelques royaumes « alliés » aux marges de son empire, que des ciuitates. Cela pose un problème évident : le modèle de la cité n’était pas universellement répandu, et le peu que nous savons des structures politiques en Espagne, en Gaule, en Bretagne, dans les Alpes en semble fort éloigné. Nous nous heurtons au problème de la nature de nos sources et, en deçà, de la langue qu’elles utilisent, le latin ou le grec. Les historiens modernes parlent plus volontiers, pour les unités politiques d’avant la conquête, de tribus, de peuples, de peuplades, et réservent en général le mot de cité à ce qui est grec ou italien. Mais César, par exemple, emploie, apparemment sans hésitation, le mot de ciuitaspour tous les peuples gaulois auxquels il a eu affaire, et parle même au moins une fois de res publicaà leur propos[1]. Les institutions qu’il évoque chez ces peuples semblent de type civique : on rencontre chez eux parfois un roi, des magistrats, un conseil restreint que César appelle sénat, une assemblée du peuple. Il y a là une utilisation, qui paraît naturelle, du vocabulaire latin pour décrire les réalités gauloises. Il est difficile, faut d’autres sources, de dire en quoi il y a eu aussi projection des réalités politiques romaines. Mais des différences restent cependant manifestes. La plus évidente concerne la taille des ces ciuitates : nous sommes fort loin de l’idéal civique d’un petit territoire rural autour d’un centre urbain. Les plus importantes, comme les Éduens ou les Carnutes, occupent des superficies très vastes, avec plusieurs agglomérations importantes, ce que l’archéologie confirme. Cette différence en induit une autre : il n’y a pas de rapport direct du citoyen à la cité, seule entité politique, mais au moins un échelon intermédiaire, village ou canton. Enfin, il semble y avoir entre les grandes ciuitateset leurs voisins plus petits des rapports de dépendance. Bref, sans nous donner les moyens de le préciser, nos sources nous laissent apercevoir des organisations pyramidales assez complexes, non réductibles au modèle de la cité.
Mais nos sources postérieures, la Géographie du grec Strabon (sous Auguste), les listes de Pline dans la partie géographique de son Histoire naturelle(sous Vespasien), les allusions de Tacite au moment de la révolte de Sabinus ou des guerres civiles de 68-69, nous montrent que la Gaule conquise par César est divisées en ciuitatesindépendantes les unes des autres, très dépendantes de Rome. Il y a donc eu refonte de la carte politique, qui n’a laissé subsister qu’un seul type d’entité, ou du moins un seul reconnu par les Romains, en modifiant les anciens liens, en supprimant certains, en renforçant d’autres. Il est à peu près certain que les autres conquêtes occidentales, pour lesquelles nous n’avons pas de document comparable au De bello gallico, ont connu le même processus.
Il faut immédiatement souligner, pour éviter tout malentendu, que nous n’avons pas la moindre idée de la façon dont ces processus se sont déroulés : nos sources ne nous permettent que d’en constater certains résultats, à des décennies d’intervalles. En ce qui concerne la Gaule conquise par César, on voit que les limites des ciuitatesau Haut-Empire sont en général conformes à ce que nous pouvons supposer des anciennes, et donc bien plus larges que celles des cités italiennes. Mais il y a des exceptions, dont la plus fameuse est celle des Mandubiens. Quand César assiège Vercingétorix dans Alésia, il signale qu’il s’agit de leur oppidum. Nous n’avons ensuite aucune trace de ceux-ci dans la Gaule d’après la conquête. Il faut donc conclure qu’ils y ont disparu en tant que ciuitaspour être rattachés à une autre, celle des Éduens si l’actuelle Alise Sainte Reine est bien le site de la bataille[2]. La simplification qui a suivi la conquête a fait disparaître certains peuples, rattachés à d’autres. Elle a aussi vraisemblablement permis à des communautés jusque là subordonnées d’accéder au statut de ciuitas autonome.
La Gaule du Sud, d’abord appelée transalpine qui devint narbonnaise sous Auguste, offre des exemples plus variés. Les Allobroges, dont la capitale est Vienne, les Volques Arécomiques, autour de Nîmes, forment chacun une seule ciuitas, au territoire très vaste. En revanche, les Helviens, un des peuples les plus importants d’avant la conquête, celui dont les entreprises contre Marseille l’avaient motivée, disparaissent en tant que communauté politique : leur territoire est divisé en un nombre important de ciuitates. Nous avons donc à la fois des cités anormalement vastes et anormalement peuplées, et d’autres qui correspondent beaucoup mieux au modèle italien. Faute de sources, nous n’avons aucun moyen d’expliquer cette différence de traitement. Cela peut être une mesure de représailles contre les Helviens, pour détruire leur puissance en les fragmentant. Mais les Allobroges, qui ont eux aussi résisté durement aux Romains, connaissent la situation inverse. Cela peut tout aussi bien être au contraire une mesure de faveur pour les villes helviennes, jugées chacune dignes de devenir capitale d’une cité autonome. Mais les Volques Arécomiques semblent avoir connu avant la conquête une urbanisation vaste et diverse, puisque Strabon parle de vingt-quatre villes rattachées à Nîmes (ὑπηκόους γὰρ ἔχει κώμας τέτταρας καὶ εἴκοσι), très peuplées[3]. On peut citer aussi le cas très particulier des Voconces, connu par Pline l’Ancien qui cite leurs deux capitales (duo capita) Vasio et Lucus Augusti (Vaison et Le Luc)[4], ce qui est un cas unique : alors qu’une cité est normalement identifiée à sa ville capitale, à laquelle les autres agglomérations éventuelles sont subordonnées, celle-ci en a deux, apparemment sur un pied d’égalité. La seule conclusion possible qu’après la conquête des systèmes complexes à plusieurs échelons ont été réduit à un système simple où n’en subsistait, au point de vue romain en tout cas, qu’un seul. Des villes chef-lieu d’entités subordonnées sont ainsi devenues centres de cités autonomes. D’autres, ont été intégrées à des cités plus vastes. Certaines entités politiques antérieures sont devenues, telles quelles, des cités, d’autres ont été divisées en autant de cités qu’elles avaient de villes. Il est clair qu’il n’y avait aucune doctrine générale et qu’on a procédé au cas par cas. Il est également clair que les motivations pour chaque cas nous échappent totalement. On ne peut même dire si les conquérants ont procédé arbitrairement, ou s’ils ont consulté tout ou partie des populations concernées.
Nous ne pouvons que constater le résultat : l’Europe occidentale sous domination romaine est devenue un monde de cités, sur le modèle grec et romain, bien que beaucoup de ces cités, par leur importance territoriale, ne correspondent pas à ce modèle.
II– Des cités inégales entre elles
Ces cités ne sont pas pour autant égales entre elles. Chacune a un rapport à Rome particulier, plus ou moins favorable, qui lui donne une position spécifique.
Une première distinction s’impose. Toutes ne sont pas issues des entités politiques d’avant la conquête. Les Romains ont aussi créé ex nihilo, aux dépens des peuples conquis, des communautés civiques, qui ont logiquement un statut privilégié. Ils ont ensuite étendu ce statut à certaines cités indigènes. Il faut donc séparer les communautés de type romain de celles de statut pérégrin, c’est-à-dire étranger.
1– Les cités pérégrines
Comme on l’a vu, le statut dit pérégrin est au début de la conquête le statut normal, et le seul. Quand les Romains pénètrent dans un territoire, ils y trouvent des entités politiques qui, pour eux, sont étrangères, et le restent quand ils imposent leur domination. Il faut bien noter qu’est pérégrin tout ce qui n’est pas romain, et non seulement ce qui est soumis à Rome : les Gaulois, les Espagnols et les Bretons étaient déjà des pérégrins avant la conquête et, sauf exception, le restent ensuite ; les Germains d’au-delà de l’Elbe, qui n’ont jamais été conquis, sont également des pérégrins. Les cités pérégrines des territoires conquis sont formellement des entités politiques séparées de Rome, mais qui ont avec elle un lien contraignant accepté ou imposé. Ce lien est bilatéral et particulier à chacune, mais nos sources ne permettent que très rarement de le définir avec précision.
On peut apprécier cette diversité à partir des épithètes que les auteurs donnent aux cités, ou qu’elles se donnent dans les inscriptions. Trois termes sont employés, manifestement pour désigner des statuts privilégiés : libera,immuniset foederata[5]. Le plus fort semble bien sûr le premier, qui devrait logiquement caractériser une cité échappant totalement à la domination romaine. Mais on ne peut qu’avoir des doutes sur la réalité de cette liberté, que confirme le second terme, souvent, mais pas toujours, associé au premier, qui caractérise une exemption d’impôts : il semble donc qu’on pouvait être libre, mais devoir des impôts aux Romains. Le troisième, foederata, a un sens à la fois précis techniquement, et incertain quant à ses conséquences. Il ne doit en aucun cas être traduit par fédéré, faisant partie des nombreux mots latins dont le sens a évolué en passant dans les langues modernes : formé sur foedus, traité, il indique purement et simplement que la cité a un traité avec Rome. Mais bien évidemment, tout dépend du contenu du traité, dont nous avons rarement une idée. Est-il forcément préférable d’être liberique foederati ? Les deux termes sont-ils d’ailleurs incompatibles ? C’est très loin d’être certain. Marseille, que Pline l’ancien qualifie de foederataétait selon Strabon totalement soustraite à l’autorité des gouverneurs romains même après son siège par César pendant la guerre civile de 49 contre Pompée[6] : on ne peut bien sûr en déduire que tous les foederatiétaient dans ce cas. Les Rèmes, autour de l’actuelle ville de Reims, qui d’après le De bello gallico, sont les seuls Gaulois à n’avoir jamais pris les armes contre César le sont également chez le même auteur, comme les Éduens qui n’ont fait défection que quelques mois entre Gergovie et Alésia. En revanche, les Nerviens (Bavay), les Arvernes (Clermont-Ferrand) et les Bituriges cubes (Bourges)[7], qui furent des adversaires acharnés du conquérant, sont liberi. Mais c’est aussi le cas des Santons, eux aussi alliés sauf au moment d’Alésia.
La seule conclusion possible est que nous avons là différents statuts considérés comme privilégiés et revendiqués comme tels, qui distinguent certaines ciuitatesdes autres, mais qu’il est vain de tenter d’établir une hiérarchie entre eux à fin de classification.
2– Les communautés de type romain
On rencontre deux types particuliers de communautés civique, romains, appelés municipes et colonies. Ces deux termes demandent à être définis historiquement.
La colonisation est un phénomène bien connu dans l’Antiquité dès avant l’émergence de la puissance romaine. Elle a été pratiquée abondamment par les Grecs et les Phéniciens. Sur ce point comme sur beaucoup d’autres, il faut oublier totalement le sens que le mot a aujourd’hui, qu’il n’a d’ailleurs pris qu’à la fin du XIXe siècle : dans l’Antiquité, comme à l’époque moderne, une colonie n’est pas un territoire conquis dont les habitants sont soumis au conquérant, mais la fondation par des migrants d’une communauté politique sur un territoire vide d’habitants ou qui en a été vidé.
La colonisation est intrinsèquement liée à la conception de la cité que nous avons vue : une communauté politique d’ampleur limitée, fermée, non expansionniste. Quand la population en devient trop abondante pour le territoire, la seule solution envisageable est le départ de l’excédent pour fonder ailleurs une nouvelle communauté. C’est un moyen pour ceux qui n’ont pas de propriété, ou en ont une qu’ils trouvent insuffisante, d’aller chercher mieux ailleurs. C’est aussi parfois un moyen de résoudre un désaccord politique majeur : la minorité, volontairement ou sous la contrainte, quitte la cité pour aller en fonder une autre. C’est ainsi que des Grecs ont fondé des cités dans tout le bassin méditerranéen oriental, en Italie du Sud et en Sicile et même, avec Marseille, sur la côte gauloise. C’est ainsi que Carthage a été fondée par des Tyriens, venus de la côte syrienne donc, suite à un problème de succession d’après les récits antiques. Il n’y a pas de lien formel entre la colonie et la cité d’origine, appelée en grec métropole, cité mère : ce sont deux entités politiques totalement distinctes. Les colons, en devenant citoyens de leur fondation, perdent la citoyenneté de la métropole, car on ne peut en avoir qu’une. Il peut rester des liens religieux, culturels, de solidarité, qui varient en fonction des circonstances de la fondation, de la distance et du temps écoulé.
Les Romains ont logiquement, avec le développement de leur cité, repris ce modèle. Nous ignorons dans quelle mesure ils se sont inspirés des précédents grecs, dans quelle mesure les mêmes causes ont produit les mêmes effets. Les colonies sont donc des cités fondées par des Romains qui quittent Rome pour devenir citoyens d’une autre communauté où ils s’attendent à un meilleur sort. Il y a cependant dès l’origine des différences de conception, qu’illustre bien (ce sont des choses qui arrivent même s’il ne faut surtout pas en faire une loi générale) la différence d’étymologie entre le mot latin et le mot grec. Alors qu’ἀποικία (apoikia) évoque un départ du domicile (οἶκος), coloniaest formé sur colere, qui signifie cultiver. Chez les Grecs, l’idée première est celle de départ au loin, chez les Romains, c’est de trouver une terre à cultiver. On sait que les seconds étaient beaucoup moins portés sur les aventures maritimes. On n’a pas d’exemple de Romains se livrant aux hasards de la mer pour trouver un territoire où fonder une nouvelle patrie. Leurs premières colonies sont fondées en Italie, relativement près de Rome donc, en général sur des territoires confisqués à d’autres cités à la suite de guerres, et à l’initiative des magistrats et du sénat. Autre différence, en partie au moins liée à cette proximité, elles conservent un lien politique fort avec leur métropole, en rentrant dans le système d’alliances inégales qui assure sa domination sur l’Italie. Mais il s’agit bien de cités indépendantes de Rome, au même titre que les autres communautés de la péninsule. Celui qui participe à la fondation d’une colonie cesse d’être citoyen romain, pour devenir citoyen de celle-ci[8]. Nous sommes bien dans la conception classique de la cité : les citoyens d’une même communauté ne peuvent être que regroupés sur un territoire restreint, où ils peuvent exercer leurs droits. C’est un bon moyen de résoudre le problème de la terre sans remettre en cause les équilibres politiques et sociaux, dans une cité où le poids politique d’un citoyen est lié à sa richesse : par la colonisation, on fait de prolétaires (au sens romain : qui ne possède rien, sinon sa famille) ou de petits propriétaires, des propriétaires moyens mais en les excluant de la communauté. On leur reconnaît cependant le droit latin : ce n’est pas une sous citoyenneté, mais la reconnaissance mutuelle d’un certain nombre de droits que chaque cité réserve normalement à ses citoyens, comme celui de se marier légalement ou de commercer, hors les droits politiques, dont l’origine est dans les relations que Rome entretenait avec les autres cités latines avant de les absorber. Il s’apparente aux relations d’isopolitie connues entre les cités grecques.
À l’origine, un municipe est exactement le contraire d’une colonie. Il s’agit, autant que nous puissions le savoir, d’une notion proprement romaine : nous ne trouvons rien de comparable ailleurs[9]. Il apparaît très tôt (le premier connu est Tusculum, la patrie de Caton l’ancien, en 381[10]), pour résoudre le problème posé, déjà par l’extension de la cité romaine. Car Rome a aussi procédé très tôt par annexions à son territoire, dans des proportions très limitées : le territoire de la cité s’étend par absorption de cités voisines, celles du Latium (sauf Tibur et Préneste), Capoue, Cumes et quelques autres.
La particularité est que ces cités ont conservé leurs institutions, bien que leurs citoyens soient devenus citoyens romains. Certains d’entre eux sont citoyens sine suffragio, c’est à dire sans droit de vote à Rome, et n’ont donc le droit de s’exprimer que dans le cadre des institutions locales. Mais il semble clair que cela n’est pas caractéristique du statut de municipium : il y a eu dès l’origine des municipes avec le suffragium.
Un municipe est donc une communauté qui n’était pas romaine à l’origine, mais a été intégrée dans le peuple romain en conservant une personnalité propre, tandis qu’une colonie est une communauté formée de Romains d’origine qui ont perdu cette citoyenneté pour la fonder.
Ce n’est pas une subdivision de Rome dans la mesure où il n’y a pas de continuité entre les institutions municipales et les institutions romaines, qui fonctionnent parallèlement. Il y a là, déjà, une sorte de double citoyenneté, en contradiction avec les principes théoriques de la cité, mais qui n’est pas assumée. L’illustre un texte célèbre de Cicéron, lui-même d’Arpinum, municipe créé en 303 et qui n’a obtenu le suffragium qu’en 188[11] : dans la préface du livre II de son De legibus, il défend l’idée qu’on puisse avoir deux patries, mais distingue celle de la nature, le municipe, et celle du droit, Rome, alors qu’en fait le municipe, par ses institutions, est clairement aussi une patrie de droit.
Ce système reste dans un premier temps limité au centre de l’Italie, le reste de la péninsule étant formé de sociiou de colons autonomes. L’expansion du territoire romain à proprement parler s’est arrêtée en 241 pour près d’un siècle et demi : on voit bien que Rome veut garder à peu près la taille d’une cité.
Au moment où elle se trouve confrontée à Carthage, Rome est donc une cité d’une taille déjà anormale, qui à la particularité d’inclure des municipes, forme inédite de cité intégrée dans une autre. Elle a d’autre part fondé dans toute l’Italie des colonies, cités totalement distinctes d’elle, mais auxquelles l’origine romaine de leurs citoyens et le droit latin assurent une position particulière dans l’Italie que leur métropole domine par son système d’alliances inégales. C’est avec ce modèle qu’elle pénètre en Espagne puis en Gaule.
Mais cette organisation se trouve fortement ébranlée par la deuxième guerre punique, qui voit une grande partie des alliés italiens, et même des municipes, comme Capoue, prendre le parti de l’envahisseur. Si Rome, après la victoire, la reconstitue en sanctionnant lourdement les fautifs, sa crise est évidente et oblige bientôt à des évolutions
L’évolution touche d’abord le modèle colonial : après la deuxième guerre punique, la plupart des fondations ne lui correspondent plus. Apparaît alors un nouveau type, la colonie de citoyens romains, qui se distingue du précédent sur un seul point, mais capital : les colons restent citoyens romains et ont donc, de fait, une double citoyenneté, ce qui est une contradiction manifeste par rapport à la conception romaine de la cité. Elle s’explique aisément par l’évolution politique de l’Italie, qu’a montrée et accélérée la guerre contre Hannibal : du fait de la domination écrasante de Rome, en être citoyen n’est plus appartenir à une communauté parmi d’autres, mais avoir partout les garanties que donne le statut privilégié de membre du peuple dominant. Si auparavant les colons pensaient faire une bonne affaire en changeant le statut de citoyen pauvre à Rome pour celui de propriétaire aisé dans une nouvelle cité, cela n’est plus le cas. Pour poursuivre la colonisation, il faut leur permettre de rester romains : s’il leur est impossible de participer effectivement à la vie de la communauté à Rome, ils continuent à bénéficier des droits et du prestige attachés à ce titre. C’est ainsi que les autorités romaines sont conduites à créer cette contradiction, bien plus importante que celle que portaient les municipes, qui, à notre connaissance, n’a jamais été théorisée non plus : il est encore affirmé à l’époque de Cicéron qu’on ne peut être citoyen de deux cités, même si c’est devenu manifestement faux.
La dernière fondation d’une colonie selon l’ancien modèle, avec le droit latin, est celle d’Aquilée, sur l’Adriatique, au Nord de la péninsule, en 181. Peut-être est-ce dû à l’éloignement plus important de Rome, et à la situation dans une région, la Gaule cisalpine, qui n’était pas alors considérée comme faisant partie de l’Italie. On remarque que la quantité de terre allouée aux colons est bien supérieure à celle donnée à ceux restant romains de Parme et de Modène deux ans plus tôt : à Aquilée, cinquante jugères aux simples soldats (soit plus de douze hectares, le jugère étant évalué à vingt)cinq ares), cent aux centurions, cent quarante aux cavaliers, à Parme huit et à Modène cinq, apparemment sans distinction de grade, selon Tite-Live[12]. C’est peut-être parce qu’il y avait plus de terrain disponible. C’est sans doute aussi que ces colons ont été plus difficiles à trouver. Ensuite, on ne connaît que des fondations de colonies de citoyens romains. Le rapport entre le territoire de ces colonies et le territoire romain reste flou : contrairement à celui des municipes, il ne lui est jamais assimilé, gardant un statut fiscal différent.
Ce changement ne porte que sur les nouvelles colonies. Les anciennes conservent le droit latin, qui connaît cependant deux changements significatifs. Le premier, négatif, que nous connaissons bien par plusieurs textes de Tite-Live[13], est la fin du droit de migration, ius migrandi, qui y était lié. Tout membre d’une communauté de droit latin pouvait librement s’installer dans une autre et en recevoir la citoyenneté. À l’origine réciproque, ce droit impliquait alors surtout, en pratique, celui pour tout colon latin de revenir à Rome et d’y retrouver la citoyenneté romaine abandonnée par lui ou par ses ancêtres. Qu’il ait été si longtemps maintenu sans poser de problème confirme ce que nous avancions plus haut : il était alors plus avantageux d’être colon latin que citoyen romain, et les retours n’étaient pas nombreux. Mais précisément, la situation change, comme nous l’avons déjà vu, après la deuxième guerre punique, et le pouvoir romain réagit par une mesure brutale de suppression de ce droit. Le second, positif mais qui va dans le même sens, est l’octroi de la citoyenneté romaine aux magistrats annuels des colonies latines à leur sortie de charge. Il confirme l’évolution que nous avons constatée pour les nouvelles colonies : désormais, la citoyenneté romaine n’est plus liée à la résidence dans la cité mais est devenue un statut privilégié et convoité, dans toute l’Italie. Ces deux changements modifient profondément la nature du droit latin, qui devient alors une sorte de sous citoyenneté romaine, et non plus une formule de partage partiel de citoyennetés. Dans les colonies de droit latin, la majorité a une partie seulement des droits du citoyen romain, les anciens magistrats, c’est-à-dire une élite restreinte, principalement héréditaire et se complétant essentiellement par cooptation, en a la totalité[14].
Les municipes ont eux aussi connu une évolution, avec la fin de la ciuitas sine suffragioet la généralisation de la pleine citoyenneté. Nous n’avons que deux informations précises à ce sujet. D’une part, Capoue et Cumes, qui avaient trahi Rome au profit d’Hannibal, disparaissent en tant que municipes. D’autre part, Tite-Live nous apprend qu’en 188, Arpinum, Fundi et Formiae reçoivent la pleine citoyenneté[15]. Comme nous n’entendons plus parler ensuite de ciuitas sine suffragio, on conclut en général qu’il s’agissait des derniers à ne pas l’avoir, et que les autres l’avaient reçue progressivement, selon un processus que nous sommes incapables de dater.
Il n’y a pas eu en revanche de nouveau municipe en Italie au cours du IIe siècle : la cité romaine ne dépasse pas les frontières qu’elle avait atteintes en 241. Cela rend d’autant plus spectaculaire l’évolution qu’elle connaît, sous une relative contrainte, au début du premier. Suite à la guerre sociale (adjectif formé sur le mot socii), où elle a fait face victorieusement à la majorité de ses alliés italiens, elle se résigne à leur accorder à tous sa citoyenneté, ce qui consacre son évolution hors du cadre d’une cité normale. Toutes les cités concernées, comprises les anciennes colonies, deviennent alors des municipes. L’Italie n’est plus qu’une cité gigantesque dont, en l’absence de toute idée de délégation ou de représentation, la majorité des citoyens ne peut exercer que très épisodiquement son droit de vote à Rome, et ne s’exprime donc que dans le cadre des institutions municipales. Elle est ensuite étendue à la partie Nord de la péninsule, la Gaule cisalpine.
Entretemps, ce modèle a été transposé dans les provinces d’Espagne puis de Gaule, quoique de façon très limitée : leur colonisation par les Romains débute très lentement.
La première fondation est pourtant attestée dès la période de conquête de l’Espagne : en 206, Scipion, le futur Africain[16], installe certains de ses soldats au bord du fleuve Bétis (aujourd’hui le Guadalquivir) dans une ville qu’il nomme, significativement, Italica. Il semble cependant qu’il ne faille pas exagérer son importance : l’historien grec Appien, le seul à la mentionner[17], précise qu’il s’agissait de malades et de blessés, ceux donc qui ne pouvaient pas rentrer en Italie. Tite-Live, qui pourtant donne un récit très détaillé des exploits espagnols de Scipion, n’en dit pas un mot. On ignore tout du statut de la ville, et même si elle en avait un. Vraisemblablement, on n’a accordé de l’importance à cet événement qu’a posteriori, quand la cité a pris de l’importance et, surtout, a été la patrie d’origine de deux empereurs successifs, Trajan (98-117) et Hadrien (117-38).
Le deuxième cas, connu cette fois-ci par Tite-Live[18], est très particulier : une colonie latine est fondée sur décision du sénat à Carteia en 171, dix ans donc après Aquilée. Mais il ne s’agit pas d’envoi de citoyens romains : la fondation a lieu à la demande de personnes déjà sur place qui, nés d’union entre soldats romains et femmes indigènes, n’ont pas la citoyenneté[19]. Recevoir le statut latin est donc pour eux un progrès.
Cette absence de fondations coloniales en Espagne, alors qu’on voit bien quel aurait été leur intérêt stratégique pour le contrôle du territoire soumis paraît pouvoir s’expliquer par le peu d’enthousiasme des Romains à s’installer si loin de l’Italie. Les premiers projets coloniaux hors de la péninsule qui soient attestés étaient dus à Caius Gracchus, qui lança en 123 une politique ambitieuse pour résoudre le problème de la propriété foncière : ils ne survécurent pas à son échec. C’est peu de temps après, en 118, que fut fondée la première colonie romaine au-delà des Alpes, Narbo Martius (Narbonne), dans la partie Sud de la Gaule transalpine qui venait d’être conquise, par l’un des chefs victorieux, Cnaeus Domitius Aenobarbus. Les circonstances nous en sont assez mal connues. Significativement, il s’agit d’une colonie de citoyens romains : la distance n’y fait rien, les fondations latines appartiennent au passé, un citoyen romain, même installé à des centaines de kilomètres de Rome, ne renonce pas à son appartenance au peuple dominant.
Cet exemple reste longtemps isolé. Dans les décennies qui suivent, des projets n’aboutissent pas. Les guerres civiles, qui commencent entre Marius et Sylla juste après la fin de la guerre sociale, relancent la colonisation, mais en Italie. Sylla, vainqueur, installe ses soldats, à qui il doit récompense, sur des terres confisquées à des communautés qui ont choisi le camp perdant : ainsi, au moment où les anciennes colonies d’Italie deviennent des municipes, d’autres réapparaissent. César, puis les triumvirs ses successeurs procèdent de même. C’est la fin de ces guerres civiles qui remet la colonisation de l’Espagne, de l’Afrique et de la Gaule à l’ordre du jour. Il s’agit toujours de récompenser ceux qui ont combattu pour le vainqueur, mais il y a deux bonnes raisons de ne pas les installer en Italie : la première est qu’on veut se concilier les Italiens, ce qui exclut de les spolier, la seconde qu’on préfère, quand on pense ne plus avoir besoin d’eux, les installer loin de Rome pour ne pas subir leur pression.
Le premier programme est lancé par le dictateur César quand il se croit, à tort certes, dans cette situation. Suétone indique qu’il a installé au total 80 000 citoyens romains in transmarinas colonias[20]. On n’a pas de liste exacte de ces fondations. Leurs noms ne nous permettent pas toujours de les distinguer de celles, postérieures, de son fils adoptif, Octave, le futur Auguste : les unes et les autres portent l’épithète Iulia, du nom de leur fondateur. On ne peut avoir de certitude que pour celles qui précisent Iulia Paterna. Peuvent être citées en Espagne Urso, en Gaule la refondation de Narbonne par l’envoi de nouveaux colons, la création d’Arles. Ce programme est repris par Octave-Auguste durant la période triumvirale et, surtout, après sa victoire définitive, quand il doit licencier l’immense armée qu’il avait réunie contre Antoine.
Il y a donc, pour la première fois, installation massive de citoyens romains en Gaule et en Espagne, où ne se trouvaient auparavant que les gouverneurs et leur suite, des armées épisodiquement, et des commerçants. Ils ne sont pas établis au milieu des indigènes, mais dans des cités qui leur sont propres, et dont l’activité principale sera logiquement l’agriculture pour nourrir leur population. Ces colonies ne se répartissent cependant pas régulièrement dans l’ensemble des régions soumises. La Gaule conquise par César en est pratiquement vide, à l’exception de Lyon, qui se trouve à la limite de l’ancienne Gaule transalpine. On voit donc bien que l’objectif de ces fondations n’est pas de contrôler les territoires conquis, mais de donner autant que possible satisfaction aux vétérans, en en faisant des agriculteurs dans des conditions proches de celles de l’Italie : le climat est manifestement l’élément déterminant. Ce serait d’ailleurs une erreur d’exagérer l’aspect militaire de ces fondations : certes, les premiers habitants sont d’anciens légionnaires, mais cette qualité ne se transmet pas à leurs enfants.
Nous n’avons aucun document précis sur l’installation, même d’une seule de ces colonies, comme nous pouvons en avoir sur celles d’Italie par Tite-Live. Les sources nous donnent au mieux un nom, une date de fondation, le nom du fondateur, et l’unité concernée, car les colons sont répartis par leur légion d’origine.
Les territoires, relativement exigus, sont incontestablement pris sur les cités indigènes. Nous n’en savons pas plus. S’agit-il de confiscations ? d’achats ? de terres déjà confisquées lors de la conquête et jamais utilisées ? Les cas sont sans doute différents. Il est peu vraisemblable que César et Auguste aient massivement spolié des peuples pour certains soumis depuis longtemps. Il a pu y avoir des compensations en termes fiscaux ou en termes de statut. Pline l’ancien nous apprend que le territoire de Lyon a été pris sur les Ségusiaves (Strabon en fait, par une erreur manifeste, leur capitale), qu’il indique commeliberi, alors qu’il ne font partie ni des principaux peuples d’avant la conquête, comme les Arvernes, ni des soutiens des Romains, comme les Santons : il est tentant de supposer un lien entre ces deux faits, la liberté étant accordée comme compensation à l’amputation du territoire, mais ce ne peut être qu’une hypothèse. De même, la promotion au droit latin de certaines cités de Narbonnaise, que nous étudierons bientôt, peut être liée à la colonisation.
En principe, la colonie était fondée sur un territoire vide d’habitants. La ville était construite ex nihiloselon le célèbre plan carré des villes romaines, éventuellement adapté au relief. Le territoire rural était découpé de façon géométrique, ce dont les fragments gravés de cadastre retrouvés à Orange donnent un témoignage, et répartis entre les colons. L’archéologie a permis cependant de retrouver, dans de nombreux cas, des traces d’agglomérations là où ont été bâties les villes, à Lyon et en Arles par exemple. Ce n’est guère surprenant : les fondateurs choisissaient évidemment des sites propices, que d’autres avaient logiquement occupés avant eux. Faute de datation précise des sources archéologiques, on ne peut savoir avec certitude si ces agglomérations existaient encore au moment de la colonisation, ou avaient été abandonnées antérieurement. Dans le premier cas, elles ont nécessairement été détruites pour faire place à la ville romaine. Les habitants furent-ils chassés, ou intégrés dans la colonie ? On ne peut le savoir.
Plus généralement, se pose la question de la présence d’indigènes parmi les colons. En théorie, une colonie est fondée par des Romains exclusivement. Cependant, l’épigraphie locale peut démentir ce principe : à Aquilée, dont nous avons déjà parlé, on a prouvé grâce aux inscriptions la présence significative d’indigènes originaires de la région, reconnaissables par leurs noms. Les colonies de Gaule et d’Espagne se prêtent mal à ce genre d’analyse : si on y trouve des colons dont le nom prouve incontestablement une origine indigène, il n’est pas possible de déterminer s’ils ont reçu la citoyenneté pour être intégrés dans la colonie, où s’ils ont été colons en tant que Romains, l’ayant obtenue auparavant. On sait en effet que César, puis les autres chefs des guerres civiles, ont fort généreusement distribué cette citoyenneté dans les provinces qu’ils contrôlaient dans le but principal de pouvoir faire de ceux qu’il obligeaient ainsi des légionnaires au service de leur cause. Parmi les soldats des légions installées par la colonisation, il y avait donc aussi des Espagnols et des Gaulois d’origine.
On peut citer le cas, exceptionnellement connu, par la biographie que lui a consacrée son gendre, du beau-père de Tacite, Agricola. Son nom complet est Cnaeus Iulius Agricola, et nous savons par sa biographie qu’il était originaire de Fréjus. Le nom de Iulius indique que sa famille devait sa citoyenneté romaine à un membre de cette gens : on trouvait donc à son origine soit un affranchi d’un Iulius, ce qui est hautement improbable au vu de leur ascension rapide, soit un indigène ayant été fait romain par César ou par Auguste. Mais il est impossible de savoir si celui-là s’est trouvé colon à Fréjus parce que, Gaulois, il a été intégré parmi les colons ou parce que, légionnaire d’origine gauloise, voire espagnole, ou même de Gaule cisalpine avant l’intégration de celle-ci dans la cité romaine, il en faisait partie.
Il faut quoi qu’il en soit souligner que, si tous les colons sont Romains de citoyenneté, tous ne sont pas Italiens d’origine, ce qui atténue déjà l’opposition qu’on peut supposer entre les nouvelles communautés et les cités indigènes voisines.
Cette phase de colonisation massive modifie sensiblement le visage de certaines parties des provinces d’Europe occidentale, et crée ou renforce une opposition entre les zones marquées par la présence romaine, et celles qui le sont beaucoup moins.
Ce sera la seule. Avec le principat, l’armée romaine change de nature en s’installant essentiellement sur les frontières, avec des soldats de plus en plus recrutés localement, et on ne fonde plus guère de colonies, les vétérans, libérés à un âge avancé, restant en général sur place. La seule exception significative est la fondation par Claude, après sa conquête de la Bretagne, de Camulodunum : le but est cette fois ci clairement stratégique, et symbolique en même temps.
Mais le nombre de cités de type romain ne croît pas moins en Espagne et en Gaule, par la promotion de communautés indigènes.
3- Des promotions de cités pérégrines vers le type romain
Au moment où la colonisation s’arrête, les colonies se multiplient. On en trouve ne grand nombre dans la partie Sud de la Gaule, désormais province de Gaule Narbonnaise. Leurs propres inscriptions, où elles se nomment ainsi, sont notre source principale sur ce point. Il ne s’agit plus là, comme précédemment, de fondations ex nihilopar des colons romains, mais, clairement, de promotions au rang de colonies de cités indigènes. Certains auteurs modernes ont considéré que le titre de colonie impliquait forcément l’installation de colons et en ont supposées, en particulier pour Nîmes : nous n’en avons en fait aucune trace, et tout au contraire tend à confirmer qu’il y a continuité parfaite entre les ciuitatespérégrines antérieures et les nouvelles colonies. Cette appellation cesse donc d’être une référence aux conditions de fondation pour devenir un statut privilégié, manifestement supérieur à ceux de ciuitas liberaou foederata.
Parmi celles-là, on trouve des colonies de citoyens romains. C’est essentiellement Pline qui nous renseigne sur ce point. Dans sa liste des colonies de Narbonnaise, parmi les colonies de fondation pour lesquelles il cite à chaque fois la légion d’origine, il en place deux sans cette précision, Valence et Vienne. La seconde est la mieux connue : il s’agit de la capitale des Allobroges, ce qui indique qu’avec sa promotion, l’ancienne ciuitasgauloise a abandonné son nom pour prendre celui de sa ville principale, selon l’habitude grecque et latine[21]. Une autre source nous permet même de dater l’accession à ce statut avec une relative précision : dans le discours conservé par la table de Lyon, Claude mentionne Valerius Asiaticus, un Viennois devenu consul sous Caligula ante […] quam colonia sua solidum civitatis Roma/nae benificium consecuta est,avant que sa colonie ait eu le total bénéfice de la citoyenneté romaine, ce qui désigne sans aucun doute sa promotion : elle date donc soit de la fin du règne de Caligula, soit du début de celui de Claude, avant l’année 48 où ce discours est prononcé[22]. Elle peut être liée au voyage de Caligula en Gaule, à l’influence de Valerius Asiaticus, deux hypothèses qui n’ont rien d’incompatible. Sur Valence, nous ne savons rien de plus que ce que dit Pline : elle était colonie romaine dans les années 70 de notre ère, sans qu’il soit possible de dater sa promotion.
On ne trouve pas de cas comparable en Espagne, où toutes les colonies semblent de fondation, mais le même processus de promotion a lieu sous une autre forme, celle du municipe de citoyens romains, qui semble plus logique pour des communautés pérégrines promues à la citoyenneté romaine, compte tenu des origines, vues plus haut de ces deux statuts. Nous n’avons aucune explication sûre pour cette différence, sinon que ces promotions ont dû avoir lieu à des époques différentes. Peut-être le titre colonial en Gaule s’explique-t-il par le passage par le statut latin.
En effet, si le statut de communauté de citoyens romains, colonie ou municipe, reste limité à quelques cas au moment où écrit Pline, ses listes, et d’autres sources, témoignent en revanche d’une diffusion très large du droit latin, qui connaît ainsi, après l’époque de la ligue latine et celle de la colonisation de l’Italie, un troisième usage, devenant un moyen de promotion de communautés non italiennes. Là encore, nos sources nous permettent plus de constater, partiellement, un résultat que d’analyser un processus.
Nous avons deux attestations d’octroi du droit latin à des provinces entières. Tacite l’indique pour les Alpes maritimes sous Néron[23]. Surtout, Pline nous donne en une phrase, « Vespasien a donné à toute l’Espagne le droit latin »[24], une information capitale, dont les listes qu’il fournit ne tiennent pas encore compte, puisqu’elles signalent des pérégrins. La Narbonnaise pose un problème particulier : sans rien dire de tel, Pline n’y cite, hors Marseille, que deux types de communautés, les colonies romaines et ce qu’il appelle les oppida latina[25]. Il semble logique de conclure que cette province avait reçu le droit latin globalement, avant les Espagnes. Il y a accord quasi général parmi les auteurs modernes pour attribuer cela soit à César, soit à Auguste, ce qui permet de voir là une compensation à la colonisation accordée aux indigènes, mais il ne s’agit que d’une hypothèse. Il est admis que Pline utilise une source d’époque augustéenne, car son texte ignore l’existence de la province des Alpes maritimes, créée sous Aguste: il est donc tentant de supposer que la Narbonnaise avait déjà alors le droit latin. Mais on ne saurait en être certain : la phrase sur l’Espagne, le cas de Vienne suffisent à prouver que l’auteur corrigeait parfois sa source pour la mettre à jour, ce qu’il a fort bien pu faire aussi dans ce cas. On peut aussi voir un indice dans le silence de Tacite, par qui nous connaissons le cas des Alpes maritimes sur ce point, bien qu’une négligence de sa part ne soit pas impossible : cela peut nous placer avant le début de son œuvre, la mort d’Auguste en 14, mais aussi dans sa lacune couvrant le règne de Caligula et le début de celui de Claude, voire dans les dernières années de celui de Néron. Aucune autre promotion globale de province n’est attestée, ce qui ne signifie pas bien sûr qu’il n’y en ait pas eu après la rédaction de l’œuvre de Pline, voire avant puisqu’il ignore le cas, antérieur à l’Espagne, des Alpes maritimes.
Ces promotions globales n’ont manifestement eu lieu que dans un second temps, certaines cités indigènes ayant d’abord reçu séparément le droit latin. On en a la preuve dans le texte de Pline sur l’Espagne : la liste des communautés qu’il donne, antérieure à l’application de la décision de Vespasien puisqu’elle comporte des pérégrins, mentionne aussi des Latins, qu’il qualifie de Latini ueteres, sans doute par opposition aux Latins récents créés par ce prince. Dans sa description de la Narbonnaise, Strabon ne cite que Nîmes comme latine, en s’étendant assez longuement sur son cas. On peut donc légitimement conclure qu’à l’époque où il se place (qui n’est pas nécessairement celle où il écrit), il n’y en avait pas d’autres. Des monnaies datables de 30 avant notre ère environ[26]portant Col(onia) Nem(ausi)indiquent qu’elle avait déjà ce titre, vraisemblablement lié au droit latin, alors.
Le lien entre les deux est-il pour autant nécessaire ? Il semble clair que toute colonie est soit de citoyens romains, soit de droit latin. Il est moins évident que toute communauté recevant le droit latin à cette époque ait reçu le titre de colonie. Pline l’ancien, en Narbonnaise comme en Espagne emploie le terme d’oppidumpour tout ce qui n’est pas colonie de citoyens romains, et distingue entre ceux qui sont de citoyens, latins et pérégrins. Ce mot désigne vraisemblablement pour lui, à un sens très différent donc de celui qu’on trouve chez César, toute forme de communauté civique, ciuitaspérégrine, municipe ou colonie : on peut penser qu’il l’emploie justement pour éviter de rentrer dans ces distinctions. Il ne connaît donc que des oppida latina. Un certain nombre, dont Nîmes est le plus illustre, nous sont connus comme colonies par d’autres sources littéraires ou, surtout, par des inscriptions, au hasard des découvertes, ce qui confirme qu’oppidumpouvait désigner une colonie. Sur beaucoup d’autres, nous n’avons aucune information : cela ne permet évidemment pas de conclure qu’il ne s’agissait pas de colonies. Nous n’avons aucune preuve qu’une communauté ait eu le droit latin sans l’être et, vue la nature de la documentation, n’en aurons sans doute jamais. On ne peut donc conclure que les Romains aient donné en Narbonnaise le droit latin sans le titre colonial, ni affirmer le contraire.
Les choses sont en revanche beaucoup plus claires en Espagne à partir de Vespasien. À la phrase de Pline répondent en effet les nombreux fragments de lois municipales d’Irni, Salpensa, Malacca…, qui nous apprennent l’apparition d’un type institutionnel manifestement nouveau : le municipe latin. Vu le grand nombre d’exemples de lois apparemment identiques ou presque identiques dont nous avons des fragments, nous pouvons déduire sans grand risque qu’il s’agit de la formalisation sous Domitien, en ??, de la décision de Vespasien d’accorder le droit latin à toute l’Espagne, et que chaque communauté civique qui n’avait pas le droit romain a reçu une loi de même type, en faisant un municipe latin. Cela semble a priori une aberration historique et juridique : nous avons vu qu’à l’origine le droit latin était lié aux colonies, tandis que le municipe se caractérisait par l’intégration dans la cité romaine. Cette aberration peut être interprétée aussi comme une nouvelle étape de l’évolution de la notion de citoyenneté, qui a fait apparaître les colonies de citoyens romains loin de Rome tout en faisant du droit latin une sorte de sous citoyenneté : peut-être le municipe latin était-il, dans l’esprit de ses concepteurs, un lointain héritier du municipe sine suffragio.
Si l’évolution est évidente, il n’est pas certain qu’elle soit à attribuer aux Flaviens, bien qu’elle soit pour la première fois clairement attestée sous cette dynastie. On trouve en effet dans les Alpes Maritimes, dotées du Latium par Néron, des municipes qui semblent latin[27] : Vespasien et Domitien n’ont peut-être qu’appliqué ce modèle d’octroi à une province entière. André Chastagnol a proposé de faire remonter la création des premiers municipes latins au règne de Claude, à partir de l’exemple du Norique, où trois communautés sont qualifiées de claudiennes et de municipes : selon lui, le nombre de non Romains apparaissant dans leurs inscriptions exclut qu’il s’agissent de municipes de citoyens romains.
On arrive donc, au plus tôt sous Claude, au plus tard sous Domitien, à une situation paradoxalement inversée : le titre de municipe signifie désormais le droit latin, celui de colonie le droit romain. Mais cela ne concerne pas les communautés qui avaient déjà obtenu ces titres auparavant : les municipes de citoyens romains d’Espagne restent municipes, les colonies de droit latin de Narbonnaise restent colonies.
Le cas des Trois Gaules est (encore) beaucoup plus compliqué. Il est généralement admis qu’elles ont, comme les trois provinces espagnoles, reçu en bloc le droit latin, et avant elles. Mais, si on cherche ce qui peut bien fonder cette affirmation, on ne trouve guère que le patriotisme gaulois des auteurs modernes français, qui leur fait exclure que les Espagnols aient pu être mieux traités. La conquête romaine de l’Espagne est pourtant bien plus ancienne et, ce qui est un point commun avec la Narbonnaise, la présence de colons romains y est importante, alors qu’il n’y en pas entre Lyon et le Rhin. Pline l’ancien ne connaît en Gaule chevelue que des cités gauloises, hors quatre colonies, Lyon, Equestris (Nyon), Raurica (Augst, en Suisse) et Agrippinensis (Cologne), qui sont toutes des fondations romaines, la dernière sous Claude, ce qui semble prouver que sa liste n’est pas antérieure à son règne. En Aquitaine, Strabon indique que certains, dont les Auscii (Auch) et les Convènes (Saint Bertrand de Comminges) on reçu le droit latin d’Auguste ou Tibère, ce qu’ignore Pline près d’un siècle plus tard).Le statut de colonie des Trévires (Trèves) et des Lingons (Langres) est bien attesté, par des passages de Tacite en 69[28]et un nombre assez important d’inscriptions, celui de quelques autres citées, les Helvètes ou les Morins (Boulogne), par exemple, par quelques inscriptions sans datation possible[29]. Ce sont là des promotions, qui impliquent au moins le droit latin, vraisemblablement pas le droit romain. Ça ne permet certes pas de conclure à un droit latin généralisé en Gaule, surtout pas précédant celui donné à l’Espagne. Ça ne permet pas bien sûr d’affirmer le contraire : sans cette unique phrase insérée par Pline qui vient nous apprendre que ses listes espagnoles sont périmées, nous ne saurions rien non plus de ce don de Vespasien. Une telle mesure pour les Trois Gaules peut lui avoir échappé, et avoir été négligée par Tacite ou dater d’un moment où son œuvre nous manque[30]. Ensuite, sans Pline ni Tacite, nous n’avons plus aucune source littéraire susceptible de nous informer de ce genre de choses : les Trois Gaules peuvent donc aussi bien avoir reçu le droit latin à la fin du premier siècle ou au cours du deuxième qu’avoir conservé des cités pérégrines jusqu’au moment où Caracalla a généralisé la citoyenneté romaine à tout l’empire en 212.
On peut d’ailleurs se demander si ces promotions étaient toujours souhaitées. Elles avaient, dans certains cas au moins, des conséquences fiscales appréciables, les colonies et municipes étant mieux traités que les cités pérégrines en général. Mais l’étaient-elles mieux que toutes les privilégiées, liberae,immunesou foederatae ? Nous n’en savons rien. On peut aussi penser que la promotion apportait, en soi, un prestige supplémentaire à la cité, et était recherchée pour cela. Mais les plus prestigieuses, comme les Arvernes et les Éduens, où nous n’avons pas de trace de titre colonial, estimaient-elles en avoir besoin ?
La conséquence principale d’une promotion est bien sûr la citoyenneté romaine, pour toute la population s’il s’agit de droit romain, pour les anciens magistrats seulement dans le cas du droit latin. On considère souvent rétrospectivement l’histoire de l’empire romain comme une marche triomphale vers la généralisation de la citoyenneté romaine, sollicitée par les sujets, d’abord refusée puis généreusement accordée par les maîtres, progressivement jusqu’à l’édit de 212, le droit latin étant vu comme étape. Il n’est pas certain que ç’ait été la vision de tous les contemporains. Être citoyen romain n’avait que des avantages pour un Gaulois ou un Espagnol des premier et deuxième siècles de notre ère. Mais, précisément, ceux qui détenaient ce privilège étaient-ils soucieux de le partager, au point qu’il cessât d’en être un ? Le droit latin paraît être un statut inférieur en ce qu’il réserve l’accès à la citoyenneté romaine aux magistrats. Il n’est pas certain que ç’ait été un inconvénient pour ceux qui en bénéficiaient puisque cela augmentait la coupure entre le groupe dominant, essentiellement héréditaire (les auteurs modernes qui considèrent que ça permettait de faire deux ou quatre nouveaux citoyens par an semblent avoir oublié que presque tous les magistrats élus étaient fils de magistrats, donc citoyens romains de naissance) et se complétant par cooptation, en droit ou en fait (nous y reviendrons), qui avait donc le monopole de la citoyenneté romaine, et de sa collation, par ce moyen et également par affranchissement, monopole dont sa généralisation le privait. On est surpris que Nîmes, apparemment la plus ancienne colonie latine de Gaule, ne soit jamais, à notre connaissance, devenue colonie de citoyens romains[31], contrairement à Vienne et Valence. Ce peut être parce que les Nîmois étaient moins bien considérés par les princes du premier siècle, mais ce peut être aussi que leur groupe dominant ne tenait pas à cette promotion. De même, s’agissant de promotion des cités des Trois Gaules au droit latin, on peut se demander, alors que les rares inscriptions que nous ayons nous les montrent dominées par des familles ayant reçu la citoyenneté peu après la conquête, comme nous l’avons vu dans une autre note à propos des Santons, si celles-ci voulaient vraiment la voir étendue à un groupe plus large.
Les cités comprises dans les provinces de Gaule et d’Espagne ont donc des statuts extrêmement variés, d’une complexité que nos sources nous permettent d’apercevoir, mais non certes d’analyser en détail. On voit qu’il y a une distinction fondamentale entre cités pérégrines d’une part, communautés de type romain de l’autre, que les premières ne sont pas égales entre elles, que les secondes sont essentiellement réparties entre romaines et latines, mais il est très difficile, au mieux, souvent impossible d’apprécier les nuances, de savoir à quelle date telle cité change de statut, et même si elle en a changé. La nature même des sources n’arrange rien : hors quelques allusions éparses chez Tacite ou ailleurs, nous n’avons après Strabon, que les listes de Pline qui donnent un état à une date qui n’est pas forcément celle de la rédaction de l’œuvre, et peut varier selon les cas, et des inscriptions locales qui sont très rarement datées ou datables, parlent parfois de colonies ou de municipes, différence devenue anecdotique comme on l’a vu, citent des noms de peuples sans mention de statut, ce qui ne suffit pas à prouver qu’ils soient pérégrins, et ne parlent presque jamais de droit romain ou latin, ni des statuts particuliers des cités pérégrines.
Il serait excessif de dire qu’il y a, hors les colonies romaines de fondation, autant de statuts que de cités. On n’en est pourtant vraisemblablement pas très loin, tant ils dépendent des conditions particulières de soumission ou de promotion.
On retrouve cette diversité et cette complexité, en pire encore, si on examine, ce que nous ferons dans la troisième partie, le peu que nous savons des institutions locales de ces cités.
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[2]Cette disparition explique l’importance des polémiques à ce sujet, et les vastes distances entre les sites concurrents : alors que Gergovie, oppidumdes Arvernes, ne peut être placé que sur leur territoire, ce qui limite les possibilités, Alésia peut se trouver à peu près n’importe où.
[5]Donnés ici au féminin, comme s’appliquant à des ciuitates. On les trouve aussi au masculin pluriel (liberi, immunes, foederati)accolé aux noms des habitants.
[8]Nous ne nous intéressons pas ici au cas, très différent, des quelques colonies de citoyens romains anciennes, petites et fondées aux limites de Rome, qui n’ont rien à voir avec ce qui se passe ensuite dans les provinces.
[9]La référence sur ce sujet est le livre de M. Humbert, Municipiumet ciuitas sine suffragio. L’organisation de la conquête jusqu’à la guerre sociale, Rome (Coll. EFR, 36), 1978, que je suis largement ici.
[14]Nous ne connaissons pas la date de ce changement essentiel, Tite-Live nous manquant à partir de 167 (ce qui donne un terminus post quem) et n’étant remplacé par aucune source comparable avant le début des Annalesde Tacite. Il devrait logiquement être antérieur à la guerre sociale, qui fait de tous les Italiens, latins ou non, des Romains. Nous en constatons les effets bien plus tard.
[19]Rappelons qu’on ne naissait citoyen que de deux parents citoyens, sauf cas particulier comme le ius connubiilié au droit latin.
[21]Il n’y a aucune raison de supposer, comme on le trouve parfois, que le statut privilégié était réservé à la ville, le territoire rural et les autres agglomérations restant pérégrins.
[25]Les oppida ignobiliaqu’il évoque en fin de liste ne s’opposent pas aux oppida latina. Il s’agit de ceux qu’il juge de trop peu d’importance pour qu’il soit utile de citer leurs noms (ignobiliss’oppose à nobilis, connu, et n’a pas de sens moral), mais qui n’en sont pas moins latins. Le prouve la comparaison avec le passage sur l’Espagne, où il distingue parmi les oppidaqu’il ne nomme pas selon les statuts.
[26]Elles représentent un crocodile, qui semble une allusion à conquête de l’Égypte par César Octavien en 30, avec son portrait et une légende (Imp(erator) Divi f(ilius))qui ne lui donne pas le nom d’Auguste, qu’il a reçu en 27.
[27] A. Chastagnol, Considérations sur les municipes latins du premier siècle après J.-C., dans L’Afrique dans l’Occident romain, Rome (Coll. EFR, 134), 1990, p. 351-65, repris dansId., La Gaule romaine et le droit latin, Lyon (De Boccard), 1995, p. 73-87.
[28]Tacite, Histoires, IV, LXII et LXXI. J’ai eu l’occasion de dire dans E. Lyasse, Obsequium cum securitate. Une vision de l’impérialisme romain au livre IV des Histoiresde Tacite, Ktèma, 32 (2007), p. 519-34, pourquoi cette mention me paraissait crédible.
[29]Voir, pour une liste apparemment exhaustive, et une analyse plus développée, A. Chastagnol, Le problème de la diffusion du droit latin dans les Trois Gaules et les Germanies, dans Id., La Gaule romaine et le droit latin…, p. 181-90.
[30]Les Annales allaient de la mort d’Auguste en 14 à (apparemment) celle de Néron en 68. Ont été perdus les livres consacrés à une partie du règne de Tibère, la totalité de celui de Caligula et le début de celui de Claude, la fin de celui de Néron. Les Histoires, écrites d’abord, commençaient avec Galba et allaient apparemment jusqu’à la mort de Domitien en 96 : il n’en reste que le cinq premiers livres, avec seulement le tout début du règne de Vespasien. On note d’ailleurs que Tacite ne dit rien de l’octroi du droit latin à l’Espagne, que Pline lie à la guerre civile de 69, soit qu’il en parle plus tard dans un livre perdu, soit que cette question ne l’intéresse pas.
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Par Emmanuel Lyasse le 31 Décembre 2018 à 17:12
Le deyx parties précédentes de cet article sont ici
Petits Santons I Le Santon bâtisseur d'Arc
Petits Santons II Le cousin du rempart et III Le Santon vergobretIV– Le Santon soldat
Nous avons enfin un quatrième Santon, le troisième du rempart, indiquant une carrière digne d’intérêt
.La première ligne est sauvagement coupée, mais on arrive à lire à peu près tout, sinon sur la photo, du moins sur la pierre. La transcription donnée par les ILAest
C̣▴ỊṾḶỊỌ▴ẠG̣[ . ]ḌỊḶỊ[ . . . . . . ]Ạ ṂẠC̣ṚỌ▴[ . . . . . . . . . . ]
SANT▴DVPLI⁽CA⁾RI⁽O▴⁾AḶẠẸ▴ATECTORIGIANAE▴[ . . . . . . . . ]
STIPEN⁽DI⁾S▴EMERITIS▴X̅X̅X̅I̅I̅▴AERE▴IN⁽CI⁾SS⁽O▴⁾EVOCAT⁽Ọ▴⁾[ . . . . . . . ]
GESATORVM▴D̅C▴RAETORVM▴CASTELL⁽O▴⁾IR⁽CAV⁾⁽IO▴⁾⁽CL⁾VP⁽EO⁾▴[---]
CORONIS▴AENVLIS▴AVREIS▴⁽DO⁾NAT⁽O▴⁾A⁽CO⁾MMILITONIB[ . . . . . . ]
IVLIA▴MATRONA▴F▴⁽C▴⁾IVL▴PRIMVLVS▴L▴H▴E▴T▴[ . . . . . . ]
Il s’agit là aussi d’un monument funéraire fait pour le défunt, dont le nom est donc au datif, par sa fille et son affranchi, qui se nomment à la dernière ligne. C’est encore un Caius Iulius, dont le cognomenest Macer (Macro au datif), qui signifie maigre (même remarque que pour les trois précédents) et donne un nom gaulois pour son père, qu’on peut aisément restituer Ag[e]dili[us], relativement bien attesté par ailleurs. La tribu n’est pas lisible, hors un A, mais ce ne peut être, pour des raisons de place, la Voltinia : on s’accorde sur la Fabia. C’est une première originalité, qui n’est pas la principale, mais lui est sans doute liée.
Sa carrière n’a en effet rien de commun avec les précédentes. Ce garçon nous dit qu’il a été trente-deux ans soldat (stipendi(i)s emeritis XXXII), et a le bon goût de préciser qu’il a été inscrit sur le bronze (aere incisso). Cette formule obscure est éclairée par un type très particulier d’inscriptions, qu’on appelle les diplômes militaires. Il s’agit de tablettes de bronze indiquant l’octroi de la citoyenneté romaine à un ou plusieurs soldats pérégrins, qui leur étaient apparemment remises à titre de preuve. Les plus anciennes que nous ayons ne remontent qu’à la fin du règne de Claude, mais la procédure est manifestement antérieure. Elles portent la mention « descriptum et recognitum ex tabula aenea quae fixa est Romae in Capitolio aedis Fidei populi romani parte dexteriore, « copié et vérifié d’après la table de bronze qui est affichée au Capitole à Rome, sur le côté droit du temple de la Fidesdu peuple romain »[1]. C’est à une telle table de bronze que fait évidemment allusion l’inscription, qui nous permet donc d’être certains d’avoir, cette fois ci, un néo-citoyen, né pérégrin, fils de pérégrin, ce que sa filiation ne pouvait nous assurer après les farces du pénible Victor. Fait citoyen en tant que soldat, il a été inscrit dans une tribu sans rapport avec son origine, au contraire des trois précédents.
Les ILArestituent ainsi sa carrière dupli⁽ca⁾ri⁽o ⁾aḷạẹ Atectorigianae [Gallorum] / stipen⁽di⁾s emeritis X̅X̅X̅I̅I̅ aere in⁽ci⁾ss⁽o⁾, euocat⁽ọ ⁾[Ḍiui Aug(usti)] / Gesatorum D̅C Raetorum, castell⁽o ⁾Ir⁽cau⁾⁽io ⁾, ⁽cl⁾up⁽eo⁾[---], /coronis, aenulis aureis ⁽do⁾nat⁽o ⁾a ⁽co⁾mmilitonib[us suis], et traduisent par « duplicaire de l’aile atectorigienne [des Gaulois ?], inscrit sur le bronze après trente deux ans de service, évocat [d’Auguste divinisé ?] de 600 Gésates Rhètes dans le castellum d’Ircavium, décoré par ses compagnons d’armes d’un bouclier …, de couronnes et d’anneaux d’or ». Nous ne nous risquerons pas à expliquer tout ça. L’étude, à partir de quelques attestations épigraphiques seulement, des grades subalternes de l’armée romaine inférieurs à celui de centurion, est un jeu appelé Rankordnung, qui, comme son nom l’indique, est allemand, inintelligible à qui n’a jamais porté le casque à pointe. On remarquera seulement qu’il est passé par au moins deux unités, l’une nommée sans doute d’après le nom de son chef (ou d’un chef précédent), apparemment gaulois, Atectorix (dont nous ne savons bien sûr rien de plus), l’autre plus exotique, des Rhètes, qui habitaient entre la Suisse et l’Autriche actuelles, ce qui indique que, dès cette époque, le recrutement ne correspondait plus nécessairement aux noms des unités auxiliaires.
D’après l’ordre du texte, Macer semble avoir servi trente-deux ans comme auxiliaire dans l’aile atectorigienne, avoir pour ce service reçu la citoyenneté, puis rempilé chez les Rhètes pour un nombre d’années non précisées. On peut avoir un doute, car trente-deux ans de service, c’est déjà beaucoup. La norme était de vingt ans pour un légionnaire, vingt-cinq ans pour un auxiliaire. Elle était certes souvent dépassée, mais ces trente-deux ans, qui l’auraient porté au-delà de cinquante ans, semblent néanmoins un maximum. Il est possible donc qu’il s’agisse de son temps de service total, mal placé par le rédacteur de l’inscription ou par le lapicide.
Une chose est sûre : le Monsieur a passé l’essentiel de sa vie très loin de Saintes, vraisemblablement sur le Rhin ou le Danube, et y est revenu pour se faire enterrer. On est surpris de constater que l’inscription précise qu’il était santon (sant(ono)ou [ex ciuitate] sant(onum), suivant l’interprétation de la partie manquante de la première ligne). Ce sont des choses qu’on fait quand on est loin de chez soi, comme Rufus sur l’inscription de Lyon, mais qu’on n’a en principe pas de raison de faire sur place. Peut-être est-ce simplement l’effet de l’habitude qu’il avait eue durant les décennies passées très loin d’indiquer son origine après son nom, maintenue post mortem. Il n’est pas impossible aussi que lui-même ou ses héritiers aient tenu à faire savoir sur sa tombe qu’il n’était pas là par hasard, mais était revenu chez lui, où il devait être bien oublié. On a même parfois supposé qu’il n’y était revenu que mort, voire que cette inscription serait une copie de sa véritable épitaphe, faite sur le lieu où il servait. Cela paraît invraisemblable. La mention de sa fille et de son affranchi comme auteurs du monument semble indiquer leur présence sur place, et donc qu’il était revenu à Saintes avec sa famille. On peut bien sûr, avec l’hypothèse de la copie, soutenir qu’ils lui ont fait le monument ailleurs, mais on ne comprendrait pas alors l’intérêt d’une telle copie dans une ville avec laquelle il n’aurait plus aucun lien.
Le seul élément de datation, puisque nous n’avons rien de précis sur l’histoire des unités citées et que nous ignorons totalement où pouvait bien se trouver ce castellumd’Ircavium est le nom Caius Iulius. Il indique vraisemblablement une citoyenneté donnée par Auguste, le dictateur César n’étant pas envisageable à cause de la durée du service, puisqu’il est mort quatorze ans après être entré en Gaule chevelue. Macer serait alors mort à la fin du règne d’Auguste[2]ou au début de celui de Tibère, et serait contemporain de nos trois Santons précédents. Mais la citoyenneté pourrait aussi, malheureusement, venir du successeur de Tibère, qu’on a la bizarre habitude en France d’appeler Caligula, qui était un Iulius prénommé Caius (désigné couramment par ce prénom partout ailleurs qu’en France), prince de 37 à 41. Il aurait alors quitté Saintes pour se faire soldat dans la dernière partie du règne d’Auguste, et serait revenu y mourir après 37.
Nous avons là, quoi qu’il en soit, un personnage contemporain au moins à une ou deux générations près des trois précédents, qui est comme eux santon et citoyen romain, mais avec un parcours très différent. Les autres, c’est certain pour les deux cousins, très probable pour Marinus, sont citoyens romains parce qu’ils sont issus d’une grande famille, dominante chez les Santons dès avant la conquête. Lui est parti de bas, puisqu’il s’est trouvé soldat auxiliaire très loin de chez lui. On peut se demander comment un Santon pouvait alors quitter ainsi sa cité pour aller servir Rome au plus bas niveau pendant des décennies, mais on ne peut trouver de réponse. Était-ce le fait d’un tempérament particulièrement aventureux ? Y avait-il à cette époque des levées de troupes obligatoires dans toutes la Gaule, qui expédiaient les malchanceux sur le Rhin ou le Danube pour très longtemps ? Nous n’en savons rien. Nous ne pouvons que constater que ce brave militaire a quitté sa terre natale en étant pérégrin, et y est revenu plus de trente ans après citoyen romain, suffisamment riche pour que ses héritiers pussent lui édifier un mausolée après sa mort, mais certainement sans commune mesure avec la fortune de Rufus, Victor et Marinus.
Ces héritiers ne manquent pas non plus d’intérêt. Sa fille, Iulia Matrona, a la citoyenneté romaine, avec le nomende son père et un cognomenlatin qui évoque la maternité. Cela n’allait pas de soi. Soit il l’a eue après être lui-même fait citoyen, ce qui semble compliqué si c’est bien après trente-deux ans de service, mais non totalement impossible, soit, née pérégrine d’un père pérégrin, elle a reçu la citoyenneté romaine en même temps que son père. Le diplôme militaire déjà cité précise que Claude donne la citoyenneté ipsis liberis posterisque eorum, à eux-mêmes, leurs enfants et leurs descendants : c’est ce qui s’est vraisemblablement passé pour Macer. Il n’est pas question d’épouse, ce qui laisse penser qu’elle était morte avant son mari. Elle peut avoir été enterrée sur les bords du Rhin ou du Danube. Elle peut aussi avoir eu une tombe à Saintes, qui n’a pas été retrouvée.
Iulia Matrona a pour cohéritier Caius Iulius Primulus, affranchi (l(ibertus)), soit un ancien esclave de Macer qui lui a donné sa liberté (s’il était l’affranchi d’un autre, il le préciserait) puis légué une partie de sa fortune. La pratique était assez courante que des affranchis héritassent de leurs anciens maîtres, quand ceux-ci n’avaient pas d’enfants : cela revenait à peu près à une adoption. Le cas est ici un peu plus original, puisque l’héritage est partagé, dans des proportions que bien sûr nous ne connaissons pas, entre la fille et l’affranchi. Celui-ci s’appelle logiquement, comme tout le monde dans cet article, Caius Iulius : l’esclave libéré prenait le prénom et le nom de son ancien maître, et gardait en général comme cognomenson ancien nom unique, comme d’ailleurs les pérégrins faits citoyens. Ce cognomen, Primulus, est tout à fait latin (ce qui ne signifie pas bien sûr que le personnage l’ait été lui-même). Primussignifie premier, le suffixe –lusindique en général la petitesse, ce qui va bien pour un nom servile (mais ça ne marche pas à tous les coups, pas du tout, par exemple, pour Romulus, premier roi de Rome). On peut noter au passage qu’il est possible que, pour une fois, ce nom ait une signification, contrairement à Rufus ou Victor : Macer peut l’avoir nommé ainsi parce qu’il était le premier esclave qu’il possédât. Il est vraisemblable qu’il s’agisse d’un prisonnier fait par lui sur le Rhin et le Danube, d’origine germaine donc, mais il peut aussi l’avoir acheté.
L’affranchi avait tous les droits du citoyen romain, hors celui d’accéder aux magistratures romaines et, apparemment, locales, ce qui était une restriction importante pour ceux des grandes familles, sans grande signification pour tous les autres, dont les anciens maîtres en étaient également écartés. Le cas de Primulus vient nous rappeler un point qu’on oublie trop souvent quand on parle de diffusion de la citoyenneté romaine : tout citoyen romain, même récent, avait le pouvoir, qui paraît exorbitant par rapport aux règles de naturalisation aujourd’hui en vigueur, de créer des citoyens romains (les enfants des affranchis l’étaient sans restriction aucune). Dans les provinces où les citoyens romains étaient une minorité, cela a une conséquence étonnante : Primulus est ainsi passé du statut le plus bas, esclave, à une position privilégiée, supérieure de ce point de vue à celle de la plupart des Santons nés libres.
On a une trace, encore par un bout de mausolée inclus dans le rempart, d’un autre affranchi se rattachant à notre dossier[3]. On lit sur le fragment ci-contre C(aii) Iul(ii) Victoris l(ibert?) To : il s’agit d’un affranchi d’un Victor, le nôtre, son fils ou quelqu’un des siens, qui s’appelait évidemment Caius Iulius, dont nous n’avons malheureusement que le début du cognomen, qui aurait été instructif car vraisemblablement non latin (on en connaît très peu commençant par To).
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On peut conclure, puisqu’il faut conclure parce que nous avons été élevés à ça avant la loi d’orientation Jospin et le traité de Maastricht, que ce dossier exceptionnel, répétons le, nous donne un aperçu qui ne l’est pas moins sur ce qu’on appelle couramment les « élites » de la cité des Santons autour de l’an 1 de notre ère, ce qui nous ramène heureusement à Noël. Nous avons là trois hauts personnages, tous citoyens romains, tous d’origine gauloise, qui ont eu le bon goût, si rare, de nous laisser des informations sur leurs carrières et leurs filiations. Nous en avons aussi un quatrième, qui n’est pas un haut personnage, mais a, pour ce qu’on nous dit de lui, de nombreux points communs avec eux, et deux affranchis qui se promènent parmi ceux-là.
Le total donne ainsi une idée de la grande diversité des positions sociales alors parmi les citoyens romains de Gaule chevelue, tous Iulius et presque tous Caius. Ils avaient en commun qu’eux-mêmes ou un de leurs ascendants avaient reçu cette citoyenneté d’un Iulius, le conquérant qui les avait soumis à Rome, ensuite dictateur puis assassiné, son fils adoptif, qui a réussi à fonder un régime stable pour longtemps sans se faire assassiner, éventuellement l’arrière petit-fils de celui-là, rapidement assassiné d’ailleurs, et en tiraient des privilèges judiciaires et fiscaux. Ça n’en fait pas un groupe social homogène, puisque nous voyons là des membres de grandes familles gauloises qui l’ont eue dans les premiers temps de la conquête, qui l’ont donc héritée, un soldat parti de bas qui l’a méritée par ses années de service, et deux affranchis, d’un des uns et de l’autre, qui la tiennent de leurs anciens maîtres. Il est clair que pour tous la citoyenneté romaine était une amélioration importante de leur statut antérieur. Cela ne signifie qu’elle les faisait appartenir à un groupe dominant dont tous les autres étaient exclus. Il y avait certainement des Santons un peu moins chics, par leur extraction et leur fortune, que Rufus, Victor et Marinus, qui étaient alors pérégrins, mais participaient à la vie de la cité. Leur statut social dans celle-ci était-il inférieur à celui de Macer, revenu citoyen après des décennies de service très loin, ou de son affranchi ? Il est évident que non. Ceux-ci avaient pourtant des privilèges que ceux-là n’avaient pas. Ces choses là sont rudes.
Il y a cependant un point commun entre les quatre vedettes des inscriptions que nous avons tenté d’étudier. Ils ont tous des cognominaparfaitement latins, banalement latins même, Rufus, Victor, Marinus, Macer, et ont nommé de la même façon leurs enfants, quand ils sont cités, Victor comme son papa, Marina, féminin du sien, Matrona, et, s’agissant de Macer, son esclave ensuite affranchi, Primulus, alors qu’ils ont tous des ascendants, pourtant citoyens romains dans trois des quatre cas, avec des noms à coucher dehors. Cela semble indiquer que nous sommes à un moment où les Santons adoptent des noms totalement romains, qui ne correspond pas avec celui de l’acquisition de la citoyenneté. Les pères de Rufus et Victor l’avaient, la tenant apparemment de leur père Agedomopas, mais gardaient chacun un cognomengaulois, comme celui de Marinus dont on ne sait pas s’il était citoyen par son père ou non. Inversement, et c’est le plus intéressant, Macer était né pérégrin, d’un père avec un nom gaulois, mais avait néanmoins reçu à sa naissance ce nom latin, devenu des décennies plus tard son cognomende néo-citoyen. Nous voyons donc, avec ces inscriptions, le moment où les Santons adoptent des noms romains, ou du moins son résultat, puisque l’idée venait normalement de leurs parents. Ils n’en ont pas pour autant honte de leur ascendance gauloise, qu’ils affichent, en modifiant pour ce faire la règle normale quant à la mention de la filiation, qui la limitait au prénom du père, Caius pour trois des quatre. On a beaucoup parlé, ces dernières décennies, de romanisation, en ayant rarement le souci de se demander de quoi il s’agissait. Nous avons là une romanisation incontestable des noms, postérieure d’une génération à la romanisation juridique pour les trois premiers, antérieure pour Macer, mais revendiquant une continuité avec le passé. Il serait bien sûr très dangereux d’en tirer des conclusions au-delà de ce fait établi, même en matière de langue. Que ces Santons aient reçu des noms latins de leurs parents, et fassent des inscriptions latines ne suffit pas à prouver qu’ils se soient parlé couramment latin entre eux, que leurs pères aient eu des noms gaulois ne prouvent pas non plus qu’ils parlaient gaulois. Nous ne voyons là qu’une étape sur un point précis d’un processus qui nous échappe largement, hors son résultat, que le français d’aujourd’hui doit presque tout au latin, à peu près rien au gaulois, ce qui prouve que le second s’est effacé devant le premier, à un rythme que nous ne pouvons sérieusement prétendre mesurer.
Nous avons décidément là un dossier tout à fait exceptionnel dans le contexte de la Gaule chevelue, exceptionnel par son ampleur, exceptionnel par sa cohérence, exceptionnel aussi par sa date, très haut dans le premier siècle, alors que la plupart des inscriptions aussi intéressantes que nous ayons ailleurs datent du deuxième ou du troisième siècle. Il est aussi totalement exceptionnel, et c’est moins réjouissant, à Saintes même. Sur les 118 inscriptions santonnes publiées par le récent Corpus, nous n’avons en effet aucune autre trace de fonctions publiques exercées par des Santons, locales, provinciales ou romaines, et seulement quelques morceaux de carrières militaires, qui n’ont pas l’intérêt de celle de Macer. Les deux cousins, Rufus et Victor, sont les deux seuls prêtres santons du confluent connus, Marinus, le seul magistrat et le seul prêtre local, ce qui est beaucoup plus étonnant : on ne peut douter qu’il y en ait eu chaque année, pendant au moins quatre siècles, à Saintes plusieurs, quel que fussent leurs titres. Nous passons de l’abondance pour ces années là à un dénuement total. Il serait dangereux d’en conclure de la première que les Santons étaient exceptionnellement prospères au début de la période, de la seconde qu’ils ont ensuite connu une décadence inéluctable. Ce serait oublier de faire la part du hasard des découvertes : nous avons l’inscription de l’arc parce qu’il est resté debout, les autres parce que des Santons postérieurs ont eu la bonne idée de démolir des mausolées à peu près contemporains de l’arc pour récupérer leurs pierres pour bâtir le rempart. Les Santons n’ont certainement pas cessé de faire des monuments funéraires ensuite : il faut croire qu’ils les faisaient ailleurs, dans d’autres nécropoles qui n’ont pas été transformées en morceaux de rempart, ni retrouvées. Ce contraste n’en est pas moins troublant.
Pour terminer, voici les textes et traductions complets des cinq inscriptions principales que nous avons disséquées :
1) C(aius) Iuli[us], C̣(aii) Iuli(i) C[a]ṭuạṇẹụni(i) f(ilius), Rufụṣ, C(aii) Iuli(i) Ạgedomo[patis] nepos, Epoṭsọrọuidi(i) proṇ(epos), Ṿ[ol(tinia)], [sacerdos Romae et Au]gụṣtị [ad a]ṛam qu[a]ẹ esṭ ad Conflụenṭ[e]ṃ, prạefecṭus [fab]ṛu[m], d(e) [s(ua) p(ecunia) f(ecit)]
Caius Iulius Rufus, fils de Caius Iulius Catauaneunus, petit-fils de Caius Iulius Agedomopas, arrière petit-fils d'Epotsorovidus, prêtre de Rome et d'Auguste à l'autel du confluent, préfet des ouvriers, [a fait ce monument à ses frais ???] (inscription de l'Arc de Saintes, ILA, Santons, 7)
[Pro salute] Ti(berii) Caesaris Aug(usti) Amphitheatr [ ???] odio C(aius) Iul(ius) C(aii) f(ilius) Rufus sacerdos Romae et Aug(usti) [ ???] ilii f et nepos ex ciuitate Santon(um) d€ s(ua) p(ecunia) fecerunt.
[Pour le salut] de Tibère César Auguste. Caius Iulius Rufus, prêtre de Rome et d’Auguste […]fils et petit-fils (???), de la cité des Santons, firent à leur frais […] amphithéâtre (inscription trouvée à Lyon, à l'amphithéâtre des Trois Gaules, ILTG, 217).
2)Caio Iulio Congonnetubni f(ilio) Volt(inia tribu) Victori, Ag[ed]omopatis nepoti, praefecto fabrum, tribuno militum cohortis) [ ???] arum, sac[e]rd(oti) Romae et Aug(usti) ad confluentem, C(aius) Iulius Volt(inia tribu) Victor f[il]ius
À Caius Iulius Victor, fils de Congonnetodubnus, de la tribu Voltinia, petit-fils d'Agedomopas, préfet des ouvriers, tribun des soldats de la cohorte [???], prêtre de Rome et d'Auguste au confluent, Caius Iulius Victor, de la tribu Voltinia, son fils (ILA, Santons, 18)
3)C(aio) Iuli(o) Ricoueriugi f(ilio) Marino [flamini ? augus]tali primo, c(uratori) c(iuium) r(omanorum), quaestori, uerg(obreto), [Iulia ?] Marina filia
À Caius Iulius Marinus, fils de Caius Iulius Ricoveriugus, de la tribu Voltinia, premier flamine (?) augustal de la cité, curateur des citoyens romains, questeur, vergobret, Iulia Marina, sa fille,. (ILA, Santons, 20)
4) C(aio) Iulio Ag[e]dili[i filio Fabi(?)] Macro [ ???] duplicario alae Atectorigianae [???] santon(us ?) stipendis emeritis XXXII aere incisso, euocato[???] Gesatorum DC Raetorum, castello Ircauio, clupeo [???], coronis, aenulis aureis donato a commilitonib[us ???] Iulia Matrona f(ilia), C(aius) Iul(ius) Primulus l(ibertus) h(eredes) e(x) t(estamento)
À Caius Iulius Macer, fils d’Agedilius, de la tribu Fabia ( ?), Santons, duplicaire de l’aile Atectorigienne […], inscrit sur le bronze après avoir fait 32 ans de service évocat de 600 Gésates Rhètes dans le castellumd’Ircavium, décoré par ses compagnons d’armes d’un bouclier, de couronnes et d’anneaux d’or, Iulia Matrona sa fille et Caius Iulius Primulus, son affranchi, ses héritiers, selon son testament. (ILA, Santons, 14)
Bellegarde, décembre 2018.
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[1]Corpus Inscriptionum Latinarum, XVII, 1, datée de 52. Le temple cité varie par la suite.
[2]La mention dans le texte du Diuus Augustus, Auguste divinisé après sa mort, pourrait indiquer que l’inscription est postérieure à cette mort (août 14)… si ce n’était pas une restitution largement arbitraire.
[3]ILA, Santons, 43. http://petrae.huma-num.fr/160101200160, d’où nous tirons la photo.
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Par Emmanuel Lyasse le 24 Décembre 2018 à 15:48
Le début de cet article est ici
Petits Santons I Le Santon bâtisseur d'Arcla fin ici
Petits Santons IV Le Santon soldatII– Le cousin du rempart
On trouve en effet à Rufus un correspondant épatant parmi les bouts de mausolées retrouvé dans l’enceinte que nous avons évoqués beaucoup plus haut. D’après les morceaux qu’on a retrouvés, on a pu conclure que la même inscription existait en quatre exemplaires, certainement sur les quatre faces. Ces sympathiques Santons semblent avoir prévu les difficultés de lecture des épigraphistes modernes, et avoir voulu les aider. Ça ne suffit malheureusement ici à nous permettre de reconstituer le texte complet. Nous avons une inscription complète aux trois quarts, un quatrième bloc manquant à gauche, et une lettre par ligne entre le premier et le deuxième bloc[1]
une deuxième, que je donne d’après le Corpus des Inscriptions Latines (CIL)complète à droite mais avec un trou mal placé avant par rapport à la première, qui permet d’ajouter quelques lettres précieuses (les majuscules sont ce qui est sur la pierre, les italiques ce qu’on déduit du texte précédent, ou suppose), mais non d’avoir la totalité du texte[2]
une troisième qui n’apporte rien de plus, et une quatrième qu’on peut oublier puisqu’il ne s’agit que de quelques cailloux avec une ou deux lettres qui sont dans les précédents, publiés au XIXe siècle mais apparemment perdus depuis.
On voit au premier coup d’œil que ce garçon a été préfet des ouvriers et prêtre de Rome et d’Auguste au confluent, tout à fait comme notre Rufus. La ressemblance ne s’arrête pas là. Il s’appelle, comme lui, Caius Iulius, avec un cognomenbanalement romain, Victor, qui signifie vainqueur, ce dont il ne faut pas tirer plus de conséquences que de Rufus, Philippe et André, est comme lui de la tribu Voltinia, donne comme lui une filiation avec des noms à coucher dehors. Ce nom est au datif car il est la vedette, comme Tibère, Germanicus et Drusus de l’arc, de ce monument funéraire que lui dédie son fils, qui s’appelle exactement comme lui (au nominatif, à la fin). Comme Rufus, il place sa filiation après son nomen, et en rajoute, un peu moins puisqu’il n’y a que son grand-père, après son cognomen. Son père s’appelle Congonnetubnus, un nom qu’on trouve dans la Guerre des Gaules, au livre VII, où c’est celui d’un des Carnutes qui massacrent des Romains à Genabum au début le la grande révolte de 52[3]. Ce n’est évidemment pas le même, mais ça confirme que ce nom à coucher dehors est bien un nom gaulois. Le nom du grand-père, bien qu’incomplet, nous rappelle, quand nous ramassons les petits morceaux, quelque chose : nous avons A, G ou C, un trou, OMO puis, à la ligne suivante, PATIS. Il est difficile de ne pas conclure que ce grand-père était AGEDOMOPATIS, génitif d’AGEDOMOPAS, le même, comme on se retrouve !, que celui de notre connaissance précédente Rufus. Ces deux là étaient donc cousins germains (Des Germains santons, non des Germains bretons. Il faut donc d’autant moins leur taper dessus qu’ils ne le demandent pas apparemment).
Ce cousinage n’a été découvert que très récemment. Jusque en 1980, on lisait sur l’inscription de l’Arc, d’en bas, Gedomon ou Gedemon pour le cognomen du grand-père de Rufus, et on concluait que ce Gaulois avait vraiment un nom à coucher dehors, même pour un Gaulois. On le lisait d’autant plus qu’un bien intentionné avait, à une date indéterminée, peint les lettres pour qu’elles fussent plus lisibles, et l’avait fait d’après cette version officielle (qu’on voit donc bien sur la photo que nous avons reprise dans la première partie)[4]. C’est Louis Maurin qui a pu lire le véritable nom sous la peinture, et réunir cette belle famille longtemps dispersée.
Cette heureuse réunion a cependant une conséquence traumatisante pour l’épigraphiste. Le lecteur aura peut-être remarqué que l’inscription de Victor, à la différence de celle de Rufus, ne donne que les noms gaulois de ses ascendants. On sait désormais que le grand-père s’appelait Caius Iulius Agedemopas, d’où on déduit que le père était Caius Iulius Congonnetubnus, et que nous avons une lignée intéressante de citoyens romains remontant aux débuts de la domination de Rome sur la région. Avant la relecture de la généalogie de l’Arc, on croyait logiquement que Victor était un néo-citoyen et ses ancêtres des pérégrins, et on opposait cet homme nouveau à l’aristocrate Rufus. Ça montre l’extrême fragilité de nos connaissances. On a toujours considéré, depuis qu’on fait de l’épigraphie, qu’un personnage dont la filiation était indiquée avec un nom pérégrin unique était un fils de pérégrin fait citoyen romain : nos petits Santons nous donnent, assez méchamment, la preuve du contraire. On voit là que Victor fils a jugé préférable, comme Rufus, de citer ses ancêtres par les noms sous lesquels ils étaient connus que de les appeler Caius comme tout le monde et, contrairement à Rufus, inutile de signaler qu’ils étaient citoyens romains, ce que tout le monde savait probablement à Saintes. Ça donne de forts doutes sur tous ceux, en Gaule, qu’on classe comme néo citoyens parce qu’ils donnent une filiation pérégrine, sans avoir de point de comparaison comme on en a finalement trouvé un ici.
Si nous ne savons décidément pas si la fonction de praefectus fabrum, dont Victor, comme Rufus, mentionne le titre, était effective ou seulement honorifique, il a, contrairement à son cousin, exercé un commandement militaire réel, celui de tribun de cohorte. Ces tribuns là n’ont rien de commun avec ceux de la plèbe dont nous avons parlé récemment[5] : il s’agit du titre porté par ce qu’on appellerait aujourd’hui les officiers supérieurs de l’armée romaine. Celle-ci est alors composée, à parts apparemment à peu près égales, de légions, ne comprenant que des citoyens romains, et de troupes auxiliaires, en principe formées de pérégrins, mais commandées par des citoyens romains. Les plus importantes des unités auxiliaires sont commandées par un tribun : Victor était de ceux-là. Aucun des fragments conservés ne nous permet de savoir de quelle cohorte il s’agissait. On ne lit que la fin de son nom arum, qui semble la fin d’un génitif pluriel, logique puisqu’elles étaient souvent nommées par le nom du peuple ou de la région où elles avaient été recrutées. On a proposé Belgarum, qui est paraît-il la seule unité connue dont le nom puisse remplir la lacune (Que Victor ne soit pas belge mais aquitain n’est pas un problème, puisqu’il commandait en tant que Romain), mais, comme on est très loin de les connaître toutes, ce ne peut être qu’une hypothèse.
On aurait tort cependant de faire de Victor un militaire, et de l’opposer sur ce point à son cousin civil, à partir de cet unique commandement de haut niveau. Il a fort bien pu ne l’exercer que quelques années seulement, et très certainement sans être passé auparavant par des fonctions moins importantes. L’armée romaine sous Auguste et ses successeurs a cette particularité qu’alors qu’elle est devenue entièrement professionnelle pour ce qui est de la troupe et de l’encadrement subalterne, recrutés pour une vingtaine d’années, elle reste commandée par des amateurs, choisis en fonction de leur rang social et qui y consacrent rarement toute leur vie.
Ce titre nous donne en revanche une information essentielle sur la position sociale de Victor : pour être tribun, il fallait être chevalier. Pour comprendre ce dont il s’agit à Rome et dans l’empire romain, il importe de mettre de côté tout notre imaginaire d’origine médiévale. À l’origine, les citoyens étaient classés selon leur rang dans l’armée, lui-même lié à leur fortune, puisque d’elle dépendait leur armement. Les chevaliers, qui combattaient à cheval, étaient ainsi les plus riches, parmi lesquels étaient choisis les magistrats, donc les sénateurs, anciens magistrats. Le cheval leur était fourni par la cité, charge à eux de l’entretenir, d’où l’expression equo publico ornatus, doté du cheval public, qui désigne encore les chevaliers à notre époque. On a ensuite progressivement séparé deux ordres, les sénateurs et les chevaliers, ceux-ci étant alors les plus riches des citoyens, sénateurs exceptés. Enfin, sous Auguste, la richesse n’est plus une condition suffisante : il est nécessaire de posséder au moins 400 000 sesterces, mais il faut aussi avoir reçu du prince le titre de chevalier. C’est donc un titre honorifique qui distingue un groupe de citoyens fortunés, qui ne sont pas sénateurs. C’est aussi, à l’époque, le rang le plus haut que puisse atteindre un citoyen romain originaire des Trois Gaules, comme Victor, puisque on sait que le sénat ne leur sera ouvert que sous Claude[6]. Il est en pratique héréditaire : pour devenir chevalier, il faut avoir été distingué par le prince, ou recommandé à lui, pour cesser de l’être quand on est fils de chevalier, il faut s’être fait remarquer fâcheusement, ou avoir perdu sa fortune.
Il est important de souligner, car l’habitude de traiter savamment de carrières sénatoriales et de carrières équestres fait souvent oublier cette différence de nature entre les deux ordres, que le titre de chevalier n’est pas lié à l’exercice de fonctions. Certaines leur sont réservées, mais tous n’en remplissent pas, loin de là. C’est parce que notre ami Victor était chevalier qu’il est devenu tribun, non parce qu’il a été tribun qu’il était chevalier. C’est vraisemblablement parce que, du fait du tribunat, son appartenance à l’ordre équestre était évidente que son inscription funéraire ne la mentionne pas explicitement.
Le cas de la préfecture des ouvriers, et donc celui du cousin Rufus, est moins simple. La plupart de ceux qui la mentionnent sont chevaliers, soit qu’ils le disent, soit qu’ils aient, comme Victor, exercé ensuite des fonctions évidemment équestres. Mais il est difficile de savoir si elle en était elle-même une, ou une étape préalable vers le titre de chevalier. Dans le premier cas, Rufus l’est, et ne le précise pas parce que c’est évident, dans le second il n’est que juste en dessous, moins chic que son cousin. Il est possible que Victor ait été le premier de la famille à recevoir le cheval public, possible aussi que ç’ait été son père. Il est également possible que le grand-père l’ait eu en même temps que la citoyenneté, ou ses deux fils, ensemble ou séparément.
On ne peut être surpris que les deux Santons les plus brillants dont nous ayons trace à cette époque soient de la même famille. On sait que l’hérédité est la règle, pour une raison simple : le pouvoir est lié à l’argent, et l’argent s’obtient essentiellement par héritage. Le remarquable est ici que le hasard de la conservation des inscriptions, la précision exceptionnelle des généalogies et leur convergence nous permettent de le constater. En Gaule chevelue, les inscriptions conservées ou retrouvées sont rares, rarement datées, et presque tout le monde s’appelle Iulius : il est donc exceptionnel qu’on puisse reconstituer une famille.
Il est en revanche surprenant qu’ils aient été tous les deux prêtre au confluent, non parce qu’ils sont de la même famille, mais parce qu’ils sont de la même génération. Le sacerdosétait choisi parmi les délégués des cités gauloises, soixante apparemment d’après Strabon, qui se réunissaient chaque année pour célébrer le culte. Cela semble impliquer une forme de roulement entre cités, qu’illustrerait la liste d’une vingtaine de prêtres, d’origines très variées, dont nous avons trace sur les trois siècles au moins d’existence du sanctuaire, un roulement favorisant probablement les plus importantes, mais qui devrait exclure que la charge revînt à la même à peu d’intervalle. Il ne peut, sous la domination romaine, être question d’hégémonie d’une cité sur tout ou partie des autres : son pouvoir égalisateur, qui les place toutes directement face à elles, a au contraire aboli les anciens liens de clientèle qu’on aperçoit dans la Guerre des Gaulesde César. On a parfois expliqué cette anomalie par l’inscription de dédicace de l’amphithéâtre : pour remercier Rufus de son don magnifique, on aurait donné la prêtrise à son cousin peu de temps ares la sienne. Ça n’est pas totalement impossible, bien sûr, mais c’est néanmoins tout à fait gratuit. La dédicace de l’amphithéâtre (ou dite telle) est le seul document de ce type que nous ayons retrouvé. Il serait bien sûr absurde d’en conclure que c’est le seul don de ce type fait par un prêtre. Pour pouvoir juger de son caractère exceptionnel, il faudrait avoir des points de comparaison, que nous n’avons pas[7]. Si Rufus a eu la bonté de dater son arc à deux ans près, et sa prêtrise à quatre, nous n’avons aucune date pour celle de Victor : ce n’est que de leur cousinage que nous concluons qu’ils étaient contemporains. Il peut y avoir une différence d’âge assez importante entre cousins germains. Ils peuvent aussi avoir exercé la prêtrise à des âges différents : s’il semble improbable, vues les mœurs de l’époque (qui n’ont cessé que très récemment d’être les nôtres) qu’un tel honneur soit donné à un gamin, il y a une marge certaine entre la quarantaine et la fin de la vie. Il est donc fort possible que Victor ait été prêtre une vingtaine d’années après Rufus, ou une vingtaine d’années avant, puisque rien ne nous dit lequel était l’aîné. On aurait alors les deux fois, le tour des Santons venant, choisi le plus prestigieux d’entre eux, l’un et l’autre, non tout à fait par hasard, apparentés. Dans ces conditions, le seul point surprenant serait, nous nous répétons, que leurs deux noms aient été conservés quand nous en avons si peu.
Il faut encore signaler, avant de laisser cette sympathique famille, deux morceaux d’inscriptions très amochés qu’on lui a rapporté. Le premier[8] où on reconnaît une dédicace à un César, vraisemblablement Drusus, fils de Germanicus (aucun des deux précédents, donc, le neveu du premier, petit-fils du second) et on lit à la dernière ligne DUBNI F(ilisus), fils d’un gars dont le nom à coucher dehors se terminait par dubnus. Avec un peu d’optimisme, on peut restituer [Congonne]dubni, le père de notre Victor, avec un peu plus décider qu’il est l’auteur de la dédicace (ce pourrait être aussi un frère à lui, ou le fils d’un type en dubnus dont le nom commencerait autrement).
Il faut encore plus d’optimisme pour voir dans le deuxième, une dédicace au prince Claude daté de 49, un Iulius Victor qui serait, sinon le nôtre, du moins son fils ou son petit-fils. On ne lit en effet à la dernière ligne que VL C(aii) F(ilius) VOLT(inia tribu) V, où il n’est pas scandaleux de restituer [I]ul(ius) au début, vu le contexte où tout le monde s’appelle comme ça, mais nettement plus osé de décréter que le V final est le début de Victor, ce Iulius pouvant avoir n’importe quel cognomen commençant par V. Certains ont cet optimisme, qui est un hommage de plus à cette grande et belle famille.
III– Le Santon vergobret
On a trouvé, également dans le rempart, l’épitaphe d’un troisième personnage important, que nous verrons être de la même époque, sans lien familial apparent avec les deux précédents, mais avec quelques points communs[9]
Il manque clairement un bloc à gauche, et au moins un petit morceau du bloc de droite. On lit à la première ligne C(aii) IULI(i) RICOVERIUGI F(ilio) VOL(tinia tribu) MARINO. Il s’agissait du nom complet du défunt, au datif, avec la filiation, puis la tribu, puis le cognomen, Marinus (qui n’implique pas plus de rapport à la mer que Victor à la victoire ou Rufus à la rousseur). Manquent, qui étaient sur le premier bloc, le prénom et le nom du défunt. Le nom est évidemment Iulius, comme son père, le prénom très probablement Caius (Il y avait encore des originaux pour donner des prénoms différents à leurs fils, mais ils se faisaient rares). Sa fille, qui dédie le monument, a pour cognomenMarina, celui de son père au féminin. Son nomenétait très certainement sur le bloc manquant. C’était presque certainement Iulia, comme son père. (Les filles portaient parfois celui de leur mère, mais sa mère était très certainement une Iulia aussi). On sait que les femmes n’ont pas de prénom.
Comme les deux cousins, c’est un citoyen romain, fils de citoyen romain. Comme les leurs, son inscription mentionne, plutôt que la seule filiation par le prénom Caius qui n’aurait rien appris à personne, le cognomen, gaulois, de son père, Ricoveriugus. Comme Rufus, contrairement à Victor le farceur, il a le bon goût de mettre aussi devant ce cognomenCaius Iulius, qui nous garantit la citoyenneté romaine de ce père. Sa généalogie, comme c’est la norme, ne remonte pas plus haut. Nous ne pouvons donc pas savoir si Ricoveriugus était un néo citoyen, ou s’il avait hérité la citoyenneté de son père. Nous ne pouvons pas non plus exclure que Marinus ait été apparenté à Rufus et Victor : son père pouvait être un troisième fils d’Agedomopas, ou un neveu. Il peut tout aussi bien être d’une autre grande famille santonne ayant reçu la citoyenneté de César ou d’Auguste : il est peu probable qu’il n’y en ait eu qu’une seule.
Autre point commun avec les deux cousins, il s’est occupé du culte d’Auguste. Au début de la deuxième ligne TALI ne peut être restitué que par [Augus]tali, adjectif (au datif, comme tout le reste) formé sur le nom du prince, qualifiant une prêtrise qui lui est consacrée. Une telle prêtrise pouvait être soit individuelle, avec un seul titulaire, soit collégiale. L’inscription dit ensuite PRIMO, ce qui signifie que Marinus a été le premier à exercer cette charge, lors de sa création : cela implique qu’il était seul, et donc que ce n’était pas une prêtrise collégiale. De ce qu’on voit ailleurs (on n’a aucune autre trace d’un quelconque augustalischez les Santons) on peut supposer légitimement que le mot manquant était flamen. Sacerdoscomme au confluent, est également possible, mais très improbable : nous avons vu qu’il y était surprenant, et d’ailleurs suivi du génitif Augusti, non de l’adjectifaugustalis.
Germanicus est qualifié, sur l’arc de Saintes, de flamen augustalis. Il l’était à Rome, l’étant devenu lorsqu’on a institué, après la mort d’Auguste, le culte du Diuus Augustus, d’Auguste devenu un dieu. Les flaminats étaient des prêtrises consacrées chacune à un dieu, remontant à l’époque archaïque. On en créé de nouveaux quand on a divinisé César, puis Auguste[10]. Il va de soi que ce n’est pas la même chose. Les titres romains sont repris localement dans l’empire. Comme il n’y a ici aucune précision de lieu, on peut être certain que c’est sur place, chez les Santons, que Marinus a été le prêtre d’Auguste. On n’oubliera pas bien sûr qu’un prêtre dans le monde romain n’a rien à voir avec l’idée que nous en donne des siècles de foi catholique sur la terre de France : c’est un citoyen comme les autres, qui remplit occasionnellement des fonctions religieuses.
Qu’il ait été le premier, chez les Santons, donc, nous permet de dater approximativement sa carrière, et d’en faire un contemporain de Victor et Rufus. La précision est cependant toute relative. On serait tenté de croire que, puisque Germanicus est devenu flamen augustalisà Rome et que les Santons imitent ici le modèle romain, il ne peut l’avoir été qu’après cette date. Pas de chance : une inscription de Pise atteste de façon incontestable un tel flamendu vivant d’Auguste[11]. Le flaminat est une imitation du modèle romain, mais il a été appliqué à Auguste hors de Rome avant de l’être à Rome même, où il était interdit de l’honorer comme un dieu de son vivant. Nous avons déjà vu, avec le cas du confluent, que ce n’était pas le cas ailleurs. C’est à ces flaminats que Tacite fait allusion quand il fait dire, lors des funérailles d’Auguste, à ceux qui ne l’aiment pas « nihil deorum honoribus relictum, cum se templis et effigie numinum per flamines et sacerdotes coli uellet » (« rien n’était laissé aux honneurs des dieux, quand il voulait être adoré avec des temples et des statues divines, par des flamines et des prêtres »)[12], non à celui qui est en train alors d’être institué à Rome. Celui de Marinus à Saintes date donc probablement du règne d’Auguste, après 27, et en dernière limite du début du règne de Tibère. Il peut être de la génération de Rufus et Victor, ou de la précédente.
Il a également été CCR, que d’autres exemples nous permettent de développer par curator ciuium romanorum. C’est encore une fonction qui ne nous est connue que par des inscriptions, sans aucune explication. Mais son nom est assez explicite. Le curator, du verbecurare, est celui qui s’occupe de quelque chose (il a survécu en français dans le mot curé, qui s’occupe d’une paroisse). Comme pour le préfet, ce qui compte est ce qui suit, en général au génitif. Il s’agit ici des citoyens romains. Cela signifie que dans certaines au moins des cités gauloises où il y avait une minorité de citoyens romains, ayant de fait une double citoyenneté, et une majorité n’ayant que la citoyenneté locale, il y avait une institution spécifique pour cette minorité. Notre science s’arrête là. Ce curateur avait-il un rôle judiciaire, vus les privilèges en la matière des citoyens romains, qui ne pouvaient être jugés que par des institutions romaines ? Nous n’en savons rien. Cette charge avait-elle des aspects religieux, en rapport avec des cultes rendus par les citoyens romains seulement ? Ça n’est pas impossible, mais rien ne l’indique. On peut tout aussi bien supposer qu’il s’agissait de la direction d’un genre d’amicale des citoyens romains, sans rôle politique véritable, ou de la tête d’un groupe redoutable, contrôlant en fait la cité.
On se sent beaucoup plus à l’aise en lisant la suite, QUAESTORI (datif toujours, bien sûr). Le questeur est à Rome un magistrat chargé des finances, et on en trouve de très nombreux exemples dans les cités de type romain, ou sous influence romaine. On rappelle au passage que le mot magistrat désigne alors le titulaire de toute fonction civique importante, et que c’est une évolution aussi récente que regrettable qui le réserve presque aux juges, de même, par exemple, que le terme officier, désignant tout chargé d’une fonction sous nos feus rois, a été presque réservé par la république aux militaires, ces deux presque provoquant quelques confusions déplorables, quand un maire « premier magistrat » se prend pour un juge, ou un flic de bas étage « officier de police » pour un saint-cyrien. On pourrait aussi parler d’art culinaire, mais ce serait nous égarer : il vaut mieux revenir à Marinus.
On lit ensuite VER, puis une lettre un peu cassée qui est un G ou C, ce qui revient à peu près au même, la suite étant soit abrégée, soit dans un bloc ou une partie de bloc manquant. On a toutes les raisons de développer ou restituer Vergobretus. Il s’agit d’une magistrature cette fois ci gauloise, connue par un passage, un seul, de la Guerre des Gaulesà propos des Éduens, où César est chargé d’arbitrer une élection controversée[13], et par quelques inscriptions d’un peu partout. Cela semble avoir été, chez certains Gaulois au moins, avant la conquête, le magistrat suprême de la ciuitas, vraisemblablement annuel, et apparemment unique, quand les magistratures romaines étaient toutes collégiales. César donne quelques détails très instructifs sur ce qu’il était chez les Éduens, mais il serait parfaitement idiot de décréter qu’ils valent aussi pour les Santons : le vocabulaire est le même, mais il n’y a pas de raisons de penser que les institutions étaient identiques, chaque ciuitasétant indépendante.
Notre Marinus a donc exercé successivement une magistrature à nom latin puis une magistrature à nom gaulois. Ça nous donne un aperçu intéressant sur les institutions des Santons à cette époque. C’est malheureusement le seul que nous ayons. Nous n’avons conservé aucune autre inscription mentionnant une carrière locale, à plus forte raison aucune montrant le fonctionnement de ces institutions. Nous ne pouvons donc qu’essayer de comprendre à partir de ce que nous trouvons ailleurs. On observe une tendance générale, dans les Gaules et dans tout l’Occident romain, des cités indigènes à adopter des institutions de type romain, fondées sur trois éléments, une assemblée du peuple, des magistratures annuelles collégiales et hiérarchisées, un conseil restreint, formé apparemment d’anciens magistrats ou des membres des familles de magistrats, sur le modèle du sénat romain donc, qui semble être, comme lui à Rome avant le principat, l’élément essentiel, appelé le plus souvent ordre des décurions. Nous ignorons si cette évolution a été spontanée, les dominés adoptant d’eux-mêmes le modèle du dominant, ou si les Romains les y ont incités, voire forcés. Nous ne savons pas non plus si ces institutions étaient partout les mêmes, ou si chaque cité avait ses spécificités : les inscriptions ne nous donnent presque toujours que les noms des fonctions, sans nous permettre de savoir si elles correspondent partout à la même chose exactement. Nous trouvons dans de nombreuses cités des questeurs, des édiles, comme à Rome, des magistrats appelé duovirs ou quattuorvirs, iure dicundo, chargés de dire le droit, correspondant aux préteurs et aux consuls romains, avec quelques variantes et parfois une fonction originale, comme le très fameux préfet des vigiles et des armes de Nîmes. Cela ne nous dit pas si ces personnages avaient tous le même rôle, et étaient tous désignés de la même façon. Nous n’avons pratiquement qu’une seule description concrète du fonctionnement de telles institutions, très éloignée chronologiquement et géographiquement de nos Santons, une loi gravée sur bronze datant du dernier tiers du premier siècle de notre ère et définissant les institutions du municipe espagnol d’Irni[14] : il serait bien imprudent de conclure que tout ce qu’elle dit des questeurs s’applique à notre Marinus. Ajoutons pour compléter ce survol de nos ignorances que, comme les institutions gauloises d’avant la conquête nous sont à peu près totalement inconnues, nous n’avons aucun moyen d’apprécier l’ampleur du changement subi, hors l’adoption de noms latins.
De ce point de vue, le cas de Marinus montre que cette romanisation des magistratures avait commencé chez les Santons, puisqu’il a été questeur, mais n’était pas totale, puisque il a été vergobret. Nous n’en saurons pas plus. Il est possible que les institutions des Santons n’aient été alors que faiblement romanisées, gardant l’essentiel de leurs caractères d’avant la conquête. Il est également possible que le nom du magistrat supérieur soit la seule trace du passé dans un système ayant totalement adopté le modèle romain. On ne peut même pas, s’il est admis que le vergobret gaulois était un magistrat unique, être certain que les Santons n’aient pas déjà, en gardant le nom, adopté la collégialité romaine, avec deux vergobrets chaque année. Il serait logique que l’évolution se soit poursuivie vers un système totalement romain, mais nous n’en savons rien. Il faudrait une fermeté dont je suis incapable pour voir dans le bout de caillou ci-contre,[15]la preuve qu’il y a eu ensuite des duovirs ou des quatturovirs remplaçant le ou les vergobrets : ce uirpeut signifier bien d’autres choses. On ne peut donc exclure que les Santons aient gardé pendant toute la période romaine des vergobrets qui n’ont pas jugé bon de se faire connaître à nous, s’il est aussi possible que leur aient succédé d’autres magistrats tout aussi inconnus.
Il faut enfin s’intéresser à l’ordre dans lequel est présentée la carrière de Marinus. Il est certain qu’il était moins chic d’être questeur que vergobret, qu’il a été l’un et l’autre successivement, et que donc ces deux dernières fonctions sont données dans l’ordre où elles ont été exercées. Il serait hasardeux d’en déduire que les quatre fonctions sont données dans l’ordre. Autant qu’on puisse en juger, les prêtrises du culte impérial dans les cités étaient, au contraire des magistratures, à la différence de celle du confluent, viagères. Il était ainsi mieux d’être flamenque d’être vergobret, puisque tous les membres des grandes familles pouvaient être magistrats chacun à leur tour, d’année en année, alors que seul un par génération accédait au flaminat. Cela fait deux bonnes raisons de le citer en tête, que c’était le plus prestigieux, qu’il l’exerçait encore au moment de sa mort. Le cas de la curatelle est plus douteux : est-elle avant la questure parce que c’était aussi une fonction viagère, ou parce que c’en était une mineure, que Marinus a occupée avant d’être questeur ? Mystère.
Avec Marinus, nous avons un personnage qui appartient manifestement au même milieu social que Rufus et Victor, mais qui n’est pas, lui, allé plus loin qu’une carrière locale, tandis qu’eux ont atteint ce sommet gaulois qu’est la prêtrise du confluent, et même, au moins pour le second, l’ordre équestre romain. Il a aussi l’intérêt de nous donner une idée de ce qu’a pu être la carrière locale des deux cousins. La plupart des prêtres du confluent que nous connaissons en indiquent une. Il est probable qu’ils ont eux aussi été questeurs puis vergobrets, mais ne le mentionnent pas pour s’en tenir à ce qui était le plus prestigieux.
A suivre…
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[1]ILA, Santons, 18, http://petrae.huma-num.fr/inscriptions/liste/notice?p00=4497#4497(sans photo). La photo que nous utilisons vient du site des Musées d’Aquitaine http://www.alienor.org/collections-des-musees/fiche-objet-83017-epitaphe
[2]CIL, XIII, 1043. Une photo trouvée sur le site cité à la note précédente, sans le fragment (e) semble indiquer que des savants l’ont depuis attribué à la troisième, dont je ne trouve pas de photo. Nous passerons pudiquement, puisque ça ne change rien à notre propos.
[3]César, Guerres des Gaules, VII, III.
[4]Nous renvoyons à la notice en ligne http://petrae.huma-num.fr/fr/inscriptions/liste/notice?p00=3981#3981déjà citée plus haut pour le détail de l’historique des lectures.
[5]http://emmanuellyasse.eklablog.com/puisque-certains-parlent-des-tribuns-de-la-plebe-a148975410
[6]C’est l’objet du fameux discours connu par la table claudienne retrouvée à Lyon, dont Tacite donne le contexte.
[7]Je passerai pudiquement sur l’idée, totalement aberrante mais curieusement soutenue par la notice en ligne citée plus haut, qu’il faudrait restituer le nom de Victor comme co-dédicant de Rufus à la dernière ligne de l’amphithéâtre. On ne voit ni ce qu’il ferait là (une chose est certaine : ils n’ont pu être prêtre la même année, puisque il n’y en avait qu’un par an), ni comment il tiendrait sur la pierre, vue la faiblesse de la lacune.
[8]ILA, Santons, 8 (en ligne http://petrae.huma-num.fr/inscriptions/liste/notice?p00=3982#3982)
[9]ILA, Santons, 20 http://petrae.huma-num.fr/inscriptions/liste/notice?p00=3994#3994. Photo du site http://www.alienor.org/collections-des-musees/fiche-objet-60617-monument-funeraire-epitaphe-epitaphe-de-caius-julius-marinus-titre-factice
[10]J’ai écrit du temps où j’étais universitaire un article à ce sujet, que la revue Gerióna bien voulu publier, et qui est lisible en ligne ici
[11]Inscr. It., VII, 1, 7 = CIL XI, 1421 = ILS, 140, l. 42-43 et 48. Je renvoie à mon article cité ci-dessus.
[13]César, Guerre des Gaules, VII, XXXI-XXXII.
[14]Publiée par L’année épigraphiquede 1986. Des fragments trouvés ailleurs en Espagne conduisent à penser qu’il s’agissait d’un modèle commun à au moins une partie des municipes espagnols.
[15]ILA, Santons, 21, http://petrae.huma-num.fr/inscriptions/liste/notice?p00=3995#3995, où on a cette fermeté.
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